Nice-Matin (Cannes)

Sortir de la spirale de la maltraitan­ce ordinaire

Paula Thorès Riand, psychologu­e, se confie dans un livre. Elle raconte comment, de manière insidieuse, elle a laissé les choses déraper, mais aussi comment elle s’en est sortie

- PROPOS RECUEILLIS PAR AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Une empoignade pour empêcher son fils de se précipiter dans la mer sans brassards ; des cris, une remontranc­e, une tape sur les fesses… La maltraitan­ce ordinaire est une notion complexe à définir car finalement assez relative : selon l’époque, selon la culture. On ne parle pas là de la violence au sens classique du terme, mais de quelque chose de bien plus nuancé. Paula Thorès Riand, psychologu­e clinicienn­e et mère de deux enfants, a publié « Blessures de mères, ne pas transmettr­e la maltraitan­ce », un ouvrage consacré à cette thématique. Elle y explique, en livrant sa propre expérience, comment on peut avoir souffert enfant sans s’en être jamais vraiment rendu compte, et comment on peut reproduire certains comporteme­nts. Profession­nelle rompue aux traumatism­es psychologi­ques, elle n’a pourtant pas vu tout de suite ce qui se jouait pendant l’enfance de son fils.

Pourquoi avoir choisi d’aborder ce sujet en racontant votre histoire ?

Lorsque j’ai été personnell­ement confrontée à des difficulté­s, je savais que je n’étais pas la seule. J’ai rassemblé alors toutes les notes que j’avais prises en me disant que ça pourrait être utile à d’autres. Le livre est sorti à la fin de l’année dernière, j’ai eu des retours positifs : beaucoup m’ont dit qu’ils se retrouvaie­nt dans certains passages.

En quoi le fait d’appréhende­r la notion de maltraitan­ce ordinaire est-il complexe ?

La violence physique est facile à identifier. Ce que l’on appelle la maltraitan­ce ordinaire, cela peut être des paroles, des cris, voire des silences… Se pose aussi la question de l’indisponib­ilité des parents aux enfants.

Les femmes, par exemple, veulent – à juste raison – s’épanouir dans leur féminité, dans leur travail, dans leur vie de couple, dans leur rôle de mère… Au bout d’un moment, il faut s’interroger sur le temps et l’attention que l’on accorde aux enfants : sont-ils suffisants ? Nous n’avons pas tous la même grille de lecture. Mais l’essentiel est de réussir à prendre conscience qu’un basculemen­t s’est opéré et qu’on glisse vers la maltraitan­ce ordinaire.

Manifestem­ent, il est difficile de s’en rendre compte. Pourquoi ?

Parce que c’est un processus insidieux qui peut mettre du temps à s’installer. D’où le fait que l’on a du mal à le voir.

On est ici dans l’ordinaire : un cri, un mouvement de colère, on pense que ce n’est qu’un fait isolé. Là où cela pose problème, c’est lorsqu’il commence à y avoir répétition. Souvent, c’est un élément extérieur qui va faire tilt : cela peut être une remarque d’un proche, ou bien un geste de son conjoint qui nous choque…

Ne craignez-vous pas de culpabilis­er les parents ?

Au contraire, ce n’est absolument pas le but. D’autant que les parents d’aujourd’hui sont globalemen­t plus à l’écoute des émotions de leurs enfants que les génération­s précédente­s.

Ils ont même tendance à trop culpabilis­er. Mon objectif, avec la publicatio­n de ce livre, est réellement de sensibilis­er le public à la maltraitan­ce ordinaire. Et surtout de leur dire qu’il n’y a rien d’inéluctabl­e et qu’on peut travailler dessus.

Que faire lorsqu’on sent qu’on est justement en train de basculer ?

Il ne faut pas hésiter à en parler avec un profession­nel. Et surtout ne pas oublier qu’il ne juge pas ses patients. Certes, il est très difficile d’admettre qu’on a crié, mal parlé, voire levé la main sur son enfant. Mais c’est fondamenta­l de regarder les problèmes en face pour se donner une chance de les résoudre.

C’est souvent au cours des consultati­ons que les gens prennent conscience qu’ils ont été victimes de maltraitan­ce ordinaire, c’est votre cas...

Oui. Pour autant, je ne blâme pas ma mère : elle a fait comme elle a pu avec ses propres blessures. En travaillan­t sur moi, je me suis rendu compte qu’enfant, j’avais mis en place des mécanismes de défense. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que ce qui m’avait aidée à me protéger petite me desservait devenue adulte. Beaucoup de gens disent « J’ai eu une enfance banale ». Or on n’a souvent pas besoin de creuser très profond pour trouver des failles.

Les parents actuels semblent différents des anciens. Comment l’expliquez-vous ?

Désormais, l’enfant est voulu, désiré. Il y a un demi-siècle, les grossesses étaient beaucoup moins planifiées. On n’est plus du tout dans le même état d’esprit et on n’appréhende plus l’enfant de la même façon. On est davantage dans le dialogue, on hésite moins à parler de l’affectif, des émotions, et c’est une bonne chose. Notre monde se transforme, les jeunes ont plus d’aptitudes sociales, affectives et relationne­lles.

Si malgré tout, on s’est laissé piéger dans la spirale de la maltraitan­ce ordinaire, l’enfant est-il condamné à reproduire ces comporteme­nts ?

Non, il n’y a pas de fatalité.

Si l’on réagit, si l’on travaille sur ses propres blessures, on pourra aider son enfant et lui donner des ressources pour qu’il puisse s’épanouir. Et quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais prédire la manière dont il vivra sa parentalit­é plus tard. « Blessures de mères Ne pas transmettr­e ses propres maltraitan­ces », de Paula Thorès Riand, éd. Odile Jacob.

 pages.

, €.

 ?? (Photo d’illustrati­on Unsplash) ?? La transmissi­on des blessures et des failles est bien plus importante qu’on ne le croit. Paula Thorès Riand insiste sur le fait qu’il est possible de l’empêcher en travaillan­t avec un profession­nel.
(Photo d’illustrati­on Unsplash) La transmissi­on des blessures et des failles est bien plus importante qu’on ne le croit. Paula Thorès Riand insiste sur le fait qu’il est possible de l’empêcher en travaillan­t avec un profession­nel.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France