Sortir de la spirale de la maltraitance ordinaire
Paula Thorès Riand, psychologue, se confie dans un livre. Elle raconte comment, de manière insidieuse, elle a laissé les choses déraper, mais aussi comment elle s’en est sortie
Une empoignade pour empêcher son fils de se précipiter dans la mer sans brassards ; des cris, une remontrance, une tape sur les fesses… La maltraitance ordinaire est une notion complexe à définir car finalement assez relative : selon l’époque, selon la culture. On ne parle pas là de la violence au sens classique du terme, mais de quelque chose de bien plus nuancé. Paula Thorès Riand, psychologue clinicienne et mère de deux enfants, a publié « Blessures de mères, ne pas transmettre la maltraitance », un ouvrage consacré à cette thématique. Elle y explique, en livrant sa propre expérience, comment on peut avoir souffert enfant sans s’en être jamais vraiment rendu compte, et comment on peut reproduire certains comportements. Professionnelle rompue aux traumatismes psychologiques, elle n’a pourtant pas vu tout de suite ce qui se jouait pendant l’enfance de son fils.
Pourquoi avoir choisi d’aborder ce sujet en racontant votre histoire ?
Lorsque j’ai été personnellement confrontée à des difficultés, je savais que je n’étais pas la seule. J’ai rassemblé alors toutes les notes que j’avais prises en me disant que ça pourrait être utile à d’autres. Le livre est sorti à la fin de l’année dernière, j’ai eu des retours positifs : beaucoup m’ont dit qu’ils se retrouvaient dans certains passages.
En quoi le fait d’appréhender la notion de maltraitance ordinaire est-il complexe ?
La violence physique est facile à identifier. Ce que l’on appelle la maltraitance ordinaire, cela peut être des paroles, des cris, voire des silences… Se pose aussi la question de l’indisponibilité des parents aux enfants.
Les femmes, par exemple, veulent – à juste raison – s’épanouir dans leur féminité, dans leur travail, dans leur vie de couple, dans leur rôle de mère… Au bout d’un moment, il faut s’interroger sur le temps et l’attention que l’on accorde aux enfants : sont-ils suffisants ? Nous n’avons pas tous la même grille de lecture. Mais l’essentiel est de réussir à prendre conscience qu’un basculement s’est opéré et qu’on glisse vers la maltraitance ordinaire.
Manifestement, il est difficile de s’en rendre compte. Pourquoi ?
Parce que c’est un processus insidieux qui peut mettre du temps à s’installer. D’où le fait que l’on a du mal à le voir.
On est ici dans l’ordinaire : un cri, un mouvement de colère, on pense que ce n’est qu’un fait isolé. Là où cela pose problème, c’est lorsqu’il commence à y avoir répétition. Souvent, c’est un élément extérieur qui va faire tilt : cela peut être une remarque d’un proche, ou bien un geste de son conjoint qui nous choque…
Ne craignez-vous pas de culpabiliser les parents ?
Au contraire, ce n’est absolument pas le but. D’autant que les parents d’aujourd’hui sont globalement plus à l’écoute des émotions de leurs enfants que les générations précédentes.
Ils ont même tendance à trop culpabiliser. Mon objectif, avec la publication de ce livre, est réellement de sensibiliser le public à la maltraitance ordinaire. Et surtout de leur dire qu’il n’y a rien d’inéluctable et qu’on peut travailler dessus.
Que faire lorsqu’on sent qu’on est justement en train de basculer ?
Il ne faut pas hésiter à en parler avec un professionnel. Et surtout ne pas oublier qu’il ne juge pas ses patients. Certes, il est très difficile d’admettre qu’on a crié, mal parlé, voire levé la main sur son enfant. Mais c’est fondamental de regarder les problèmes en face pour se donner une chance de les résoudre.
C’est souvent au cours des consultations que les gens prennent conscience qu’ils ont été victimes de maltraitance ordinaire, c’est votre cas...
Oui. Pour autant, je ne blâme pas ma mère : elle a fait comme elle a pu avec ses propres blessures. En travaillant sur moi, je me suis rendu compte qu’enfant, j’avais mis en place des mécanismes de défense. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que ce qui m’avait aidée à me protéger petite me desservait devenue adulte. Beaucoup de gens disent « J’ai eu une enfance banale ». Or on n’a souvent pas besoin de creuser très profond pour trouver des failles.
Les parents actuels semblent différents des anciens. Comment l’expliquez-vous ?
Désormais, l’enfant est voulu, désiré. Il y a un demi-siècle, les grossesses étaient beaucoup moins planifiées. On n’est plus du tout dans le même état d’esprit et on n’appréhende plus l’enfant de la même façon. On est davantage dans le dialogue, on hésite moins à parler de l’affectif, des émotions, et c’est une bonne chose. Notre monde se transforme, les jeunes ont plus d’aptitudes sociales, affectives et relationnelles.
Si malgré tout, on s’est laissé piéger dans la spirale de la maltraitance ordinaire, l’enfant est-il condamné à reproduire ces comportements ?
Non, il n’y a pas de fatalité.
Si l’on réagit, si l’on travaille sur ses propres blessures, on pourra aider son enfant et lui donner des ressources pour qu’il puisse s’épanouir. Et quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais prédire la manière dont il vivra sa parentalité plus tard. « Blessures de mères Ne pas transmettre ses propres maltraitances », de Paula Thorès Riand, éd. Odile Jacob.
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