Nice-Matin (Cannes)

«Onvavivre une révolution »

- C’est votre cas ? Bref, il faut faire la police ? Vous semblez très préoccupée par le sujet ? Avez-vous déjà été confrontée à la violence sexuelle ? Un club de sport peut-il tout contrôler ? La parole a tout fait exploser... Vous ne l’avez donc jamais reg

✓ Née le 7 novembre 1939 à Saint-Raphaël. Née Fastelli de parents italiens. 80 ans.

✓ Deux enfants (un garçon Brice, une fille Charlotte).

✓ Professeur de Lettres de 1967 à 1974.

✓ PDG Sodica Centre E.Leclerc Le Cannet depuis 1974. Depuis 1989, Président de la Lecasud, Centrale d’Achat des Centres Leclerc du Sud Est regroupant 53 magasins sur 11 départemen­ts, 1ère entreprise de commerce de la Région PACA. ✓ Présidente du Racing Club de Cannes (Volley-ball féminin) de 1992 à 2016.

20 titres de champion de France 19 Coupes de France

2 titres de champion d’Europe

✓ Présidente de l’AS Cannes football depuis juillet 2019

✓ Officier de la Légion d’Honneur (Promotion du 14 juillet 2008) (Chevalier en 1996)

Anny Courtade aime citer Camus : « Plutôt mourir debout que vivre à genoux ». Elle est droite comme un i. Malgré les épreuves, malgré les tempêtes. Femme d’affaires respectée, dirigeante réputée, Anny Courtade est hors norme. La preuve...

Les affaires ne cessent de secouer le monde sportif. Comment le vivez-vous ? Mal. Je suis atterrée par ce que je lis, par ce que je découvre. Je suis touchée par les histoires, par les victimes. Je suis révoltée, écoeurée par les agissement­s des prédateurs sexuels. Il faut les dénoncer, il faut les condamner. Quant aux dirigeants qui ont fermé les yeux sur des exactions, ils n’ont aucune excuse. Ils ont couvert des coupables, ils doivent partir. Démissionn­er. Point. Les présidents de Fédération, de Ligue ou de club qui ont en charge des enfants, des adolescent­s, doivent être d’une extrême vigilance.

J’ai été présidente du Racing Club de Cannes pendant  ans. J’avais jusqu’à  filles sous ma responsabi­lité. Aujourd’hui, je dirige le club de football de l’AS Cannes qui compte  gamins dont  filles. Hier comme aujourd’hui, j’ai mis en place un cordon de veille à l’intérieur du club afin d’être à l’affût et à l’écoute des problèmes qui peuvent se poser. J’ai également toujours choisi les entraîneur­s, les éducateurs, les dirigeants et le staff médical avec un soin très particulie­r. Tout le monde doit passer au tamis pour réduire au maximum les risques de se tromper sûr la personne.

Parfois, il faut savoir ‘’fliquer’’. Au volley, je logeais les filles de l’équipe première et quelques jeunes à Cannesla-Bocca dans une même résidence, au même étage. Là, il y avait aussi les entraîneur­s, les adjoints et le préparateu­r physique à qui je demandais d’être irréprocha­bles. Les entrées et sorties étaient surveillée­s. Tout comme les comporteme­nts.

Vous êtes-vous retrouvée face à un problème de harcèlemen­t sexuel ?

En  ans de présidence, je suis intervenue sur deux ou trois dossiers. Mais je n’ai pas eu à sanctionne­r car les faits n’étaient pas avérés. Dans le cas inverse, je me serais montrée intraitabl­e. Être une femme, être une mère a exacerbé ma vigilance. Peut-être aussi parce que j’ai été professeur de lettres à  ans. J’avais des élèves qui avaient entre  et  ans. Je sais donc combien il est facile d’exercer un pouvoir sur des jeunes quand vous avez l’autorité et le savoir. Si vous y ajoutez la séduction, les choses peuvent vite tourner. Il peut y avoir une certaine fascinatio­n pour son maître, son prof, son coach. Dans ce cas, le prédateur, qu’il soit un homme ou une femme, devient très dangereux.

Depuis toute jeune, j’ai toujours su tenir à distance celui qui pouvait se transforme­r en harceleur.

Le harcèlemen­t flirte parfois avec la quête du résultat ? On ne peut pas avoir des résultats à n’importe quel prix. On faute, on paye.

Un club a un rôle sociétal. De présidente, je me suis très souvent transformé­e en assistante sociale. J’ai vu l’autorité s’écrouler. L’éducation disparaîtr­e. Faillite de l’école, faillite des parents. Pour certains, il est trop tard ou presque. Ils ne comprennen­t pas qu’on mette des règles, des interdits.

Ils sortent du cadre. Dans un club, il faut de

‘‘ la bienveilla­nce, de l’empathie, de l’écoute, mais il faut aussi de l’autorité. Les gens commencent à me connaître. Ils savent que s’ils venaient à se frotter à moi, ils auraient fort à faire.

Vous êtes une grande dirigeante dans le monde du sport, mais aussi dans votre vie profession­nelle. Et le harcèlemen­t est partout... J’ai eu jusqu’à  employés sous ma coupe. Le moindre comporteme­nt déviant entraînait une sanction.

La libération de la parole arrive tard, mais plus rien ne sera comme avant. Maintenant, il ne faut pas piétiner la présomptio­n d’innocence. Ça peut faire des dégâts considérab­les. Il faut laisser faire la police, la justice. Ne pas condamner sans preuve. Attendre la fin des enquêtes. Mais depuis que la parole s’est libérée, il y a une prise de conscience générale et salutaire. Les femmes n’ont plus peur de dire les choses. Il y a peut-être des bavures, mais il fallait en passer par là.

On a parlé de femmes-objets quand vous avez sorti le premier calendrier du RC Cannes. Ça vous a touché ?

Je l’ai senti venir. Mais c’est moi qui ai eu l’idée du calendrier. Je l’ai décidé.

Je l’ai assumé. Malgré nos titres de championne­s de France et d’Europe, nous restions sous-médiatisée­s. Nous n’avions pas la même exposition que les garçons. Nous n’avions presque rien dans l’Équipe et pas assez dans Nice-Matin. Je trouvais ça injuste. Il fallait faire un coup d’éclat. J’ai réuni les filles et je leur ai dit : ‘’Vous êtes des filles, vous avez du talent, vous êtes belles : on va revendique­r votre féminité.’’ J’avoue qu’elles étaient pour le moins dubitative­s... On s’est lancé. Les photos étaient esthétique­s. Ça n’était pas calqué sur le calendrier des rugbymen du Stade Français qui allait bien trop loin pour nous.

Jamais. Je déplorais qu’il faille en passer par là, mais je voulais qu’on parle de cette équipe. Le succès du calendrier fut immédiat. Même Canal + et Stade  se sont intéressés à nous.

Egalité dans le traitement médiatique, mais aussi au niveau financier. L’égalité hommes-femmes est un combat que je m’épuise à mener depuis toujours. Je préfère le mérite et la compétence, mais s’il faut passer par la parité et les quotas, alors allons-y. une femme dans un monde d’homme ?

Je fais face. J’ai toujours essayé de faire évoluer mon club, mon sport. Certains hommes sont fossilisés à leur place. Cloués à leur fauteuil. Ils veulent que rien ne change. Face à une mission nouvelle, une femme va se dire ‘’Est-ce que je vais être capable ?’’ Un homme ne se pose jamais la question. Il accepte. Après, il voit. Les hommes adorent les hochets de la vanité.

Mais le monde change ?

Il change, il bouge. Il y a des mouvements. On va vivre une révolution. Qui sait, bientôt, ce sont les hommes qui vont rester à la maison. Et un jour, ils iront manifester avec leur slip pendu au bout des pics (rires).

Vous êtes passée du volley au foot. Drôle de transition... Le foot et le volley sont aux antipodes. Ce n’est pas le même monde. Le foot rend fou. Il rend fou tout le monde : présidents, dirigeants, joueurs, supporters. Personne n’en sort indemne. J’ai enrichi mon dictionnai­re de gros mots. J’en apprends tous les week-ends.

Vous gardez un oeil sur les volleyeuse­s cannoises ?

Je suis présidente d’honneur du Racing. Ce club, c’est un pan de ma vie. C’est là que j’ai connu le sorcier chinois Yan Fang mais aussi mes inoubliabl­es Ravva, Centoni, Salinas, Fomina...

C’est ma deuxième fille. Vica a quitté la Géorgie et sa famille à l’âge de  ans. Elle est partie seule. Elle est allée en Azerbaïdja­n puis en Turquie avant d’arriver chez nous. Elle avait  ans. Vous imaginez tout ce qu’elle a dû surmonter, tous les dangers qu’elle a dû affronter, tous les regards, les gestes qu’elle a dû écarter. Vica est belle. Elle a dû attirer des prédateurs. Mais c’est une fille bien éduquée qui a toujours su se défendre.

La vie est courte. Il faut en faire quelque chose. Essayer de la rendre merveilleu­se. On naît, on meurt, entre les deux, il faut se battre. Le destin ne m’a pas épargnée. J’avais  ans quand j’ai perdu ma mère. Et  quand j’ai perdu mon père. J’ai été élevé par ma grandmère au Dramont, un hameau de Saint-Raphaël où en , les mineurs poussaient les wagons avec les mains. Je ne voulais pas de cette vie de misère. J’ai été prof puis PDG. Deux fois veuve à  et  ans. Malgré les épreuves, je suis debout. Toujours dans le coup. Les coeurs se brisent ou se bronzent. J’ai choisi.

L’égalité homme-femme est un combat que je mène depuis toujours”

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