Bruno Oger, toujours aux anges malgré l’enfer...
Le chef étoilé aurait souhaité fêter autrement le dixième anniversaire de la Villa Archange et du Bistrot des Anges au Cannet, mais il est déjà prêt à repartir de plus belle après confinement
Il y a deux jours, il fêtait ses 54 ans en famille, dans l’intimité. Aujourd’hui, il aurait dû célébrer les dix ans de ses deux restaurants, La Villa Archange et Le Bistrot des Anges, hélas sous confinement. L’enfer du coronavirus n’a eu que faire du paradis étoilé des gastronomes ! Dès le 14 mars à minuit, Bruno Oger a dû fermer sa superbe Bastide au Cannet, sans savoir quand il pourrait à nouveau nous régaler. Mais entre recettes sur Facebook pour conserver un lien avec ses fidèles clients, partage d’instants sacrés en famille, et souci de préserver et protéger ses salariés, le chef doublement distingué par le Michelin n’a pas vraiment « chômé », malgré l’arrêt de son activité. Et si ce mois de mai, d’habitude si festif et prolifique, ne lui a pas permis de faire ce qui lui plaît, sa ténacité de Breton le retrouve déjà frais comme un gardon pour rouvrir les portes de son sanctuaire culinaire, dès que l’autorisation sera donnée. Interview.
Dix ans après, votre regard sur la Bastide, un sacré pari ?
C’était une expérience inconnue,
‘‘ une création dans un lieu magique qu’il fallait ressusciter.
Jadis, l’ancienne propriétaire,
Alice
Chavanne de Dalmassy, était en lien avec l’univers de la mode et invitait Pierre Cardin ou Yves Saint-Laurent à goûter. Amoureuse de la cuisine, elle en a édité un livre, que j’ai toujours dans mon bureau. Après un an de travaux dans cette maison à l’abandon durant quarante années, on était content de respecter l’histoire du lieu, avec même certains meubles que l’on a restaurés. Dans notre idée, c’est avant tout une maison d’hôtes, avec
cet esprit convivial et élégant, pas du tout bling-bling. Après, l’implication du personnel nous a permis d’être classés Relais
Château et d’obtenir deux étoiles, parce que nous sommes des professionnels désireux d’aller au bout de cette démarche.
La troisième étoile ?
Nous exerçons notre métier avec beaucoup de passion et comme un sportif rêve d’être champion olympique, on a toujours envie d’aller chercher cette troisième étoile. Mais elle ne se décroche pas que sur un bon repas, et ce n’est pas que la signature d’un chef. C’est aussi un parcours, une histoire, une équipe, la quête du Graal.
Comment avez-vous vécu ce confinement ?
Au début, j’avais envisagé un service de vente à emporter, mais devant l’ampleur de l’épidémie, j’y ai renoncé pour assurer la sécurité de mon personnel, car en tant que chef d’entreprise, j’en suis responsable. Tous les deux jours, je me suis quand même rendu aux restaurants, j’ai arrosé les plantes, nourri Fifi, la chatte que l’on a recueillie et soignée à la Bastide.
Malheureusement, elle n’a pas pu manger deux étoiles Michelin comme d’habitude, mais elle vient quand même pour les croquettes ! [rires].
Le lien avec la clientèle, vous l’avez conservé via des recettes sur Facebook ?
C’était une demande. On en a profité pour poster des recettes simples et bonnes à faire chez soi, dont la fameuse madeleine que l’on fait depuis ans, un clin d’oeil de la maison. Ce qui est étonnant et très sympa, c’est que nombre d’habitués ont déjà acheté des bons cadeaux pour nous soutenir, lorsqu’on va rouvrir. Mais ce qui me désole, c’est que ce sera ma première année sans Festival de Cannes depuis , alors que c’est un univers et une période que j’aime beaucoup. Deux choses ont vraiment guidé ma carrière à Cannes : le
Festival et le Michelin. Et puis l’ouverture du Festival arrive souvent juste après mon anniversaire, c’est quand même sympa.
Vous l’avez fêté quand même en famille ?
Oui, ma femme m’a fait un très bon gâteau, un carré au citron dans un plat rond, une façon de résoudre la quadrature du cercle [rires]. Avec mes fils et mon épouse, on a de la chance, on vit très bien ce confinement en famille.
Vous envisagez déjà la réouverture ?
On espère rouvrir vers le juin, si tout se passe bien, mais ce sera dans des conditions difficiles. À ce sujet, je ne comprends pas qu’on autorise Cap ou Polygone à rouvrir, alors que les restaurants demeurent fermés en raison du risque sanitaire. Nous, notre priorité, c’est la sécurité. On a commencé à stocker gel, gants, masques. Et au Bistrot, on retire une table sur deux. À la Villa, ce n’est pas la peine, car l’espace entre les tables y était déjà. Dès cette semaine, on va travailler sur la nouvelle carte avec les produits de saison, mais ce sera trop tard pour certains produits, comme les asperges. Mais nous, on a toujours acheté des produits frais du territoire, et je suis choqué qu’on soit si dépendant de la Chine ! Moi, mon bar breton, il vient de Bretagne. Après, notre Bastide est une machine déjà prête à repartir. Mais j’ai toujours peur de perdre trente ans de travail en trois mois d’arrêt, car le confinement, c’est quand même % de moins sur notre chiffre d’affaires ! Heureusement, il y a le prêt de l’État et l’annulation de charges. Mais on aimerait aussi que les assurances soient là pour assurer, sinon autant prendre la moins chère !
La troisième étoile, ce n’est pas qu’un bon repas, c’est tout une histoire”
‘‘
Notre priorité pour rouvrir, c’est la sécurité. Au Bistrot, On a retiré une table sur deux”
Pas de célébration ?
Pour l’instant, il faut surmonter cette épreuve difficile. Rester positif, et faire preuve de bonne volonté pour redonner de l’élan à toute l’équipe.