Au fil des routes, tranches de vie du jour J
Choses vues et entendues au cours de la traversée du département en huit étapes en ce premier jour de déconfinement
On s’était donné rendez-vous dans deux mois, avec la promesse qu’on se ferait une gigantesque fiesta. Ça c’était le mars. Hier matin, on y était. La libération, même sous condition, allait être une grande jubilation. Tout en prudence, mais à savourer sans modération. Le grand jour du bal social masqué. Et bim, comme si une puissance non gouvernementale pour une fois avait cherché à mettre quelques limites à notre impatience collective, le ciel nous est tombé sur la tête. Le premier jour d’après en a été changé. Le même lundi au soleil eût été différent. Sans doute plus festif, plus exubérant.
Quoique ! Notre périple d’est en ouest sur les routes de la Côte d’Azur, des hypercentres aux petits villages du moyen pays avait un air de qui va piano, va sano.
Comme si cette liberté retrouvée devait être apprivoisée. Au fronton de ce jour d’après, on aurait pu inscrire : recherche doucement à reprendre les repères ! Mais, au fil des heures, les réflexes sont revenus.
La tempête est partout. Dehors où les rafales d’un orage exubérant battent le front de mer, sous le crâne de tout un chacun. La tempête est pourtant en ce jour 1 de l’an 0 du Covid-19 un élément à appréciation variable. La météo ébouriffante est un don de dieu pour les adeptes du surf. Et les Beach Boys de la Côte ont tous fourbi leurs planches.
Maxime, étudiant en géologie rentré des US au tout début de la pandémie, est de ceux-là. Avec son pote, Léo, la trentaine, ils sont allés dès l’aube enfourcher les vagues du côté de la Salice à Antibes : «Je suis infirmier à l’hôpital. Ces deux mois ont été durs, j’ai pas pu résister à l’appel des vagues. » Toute la matinée, les deux compères ont enchaîné les sessions de « beach break » sur la plage antiboise où les vagues déferlent sur un fond de sable. « Les policiers municipaux étaient cool. C’est encore interdit, mais ils se contentaient de nous adresser des grands coups de sifflet depuis la plage… Pas de casse, on n’a pas été verbalisé. » Maxime, qui rentre d’Hawaï où il effectuait son master en géologie, avant la pandémie ne comprend pas pourquoi ici le principe US de « la plage active » n’est pas appliqué : « Rester sur sa serviette les uns à côté des autres, je comprends que cela soit un peu tôt, mais ne pas permettre aux gens de nager, de surfer, etc., ça me dépasse un peu. On prend moins de risques ici que dans un centre commercial, il me semble. »
Sans doute. C’est sans doute ce que se sont dit une bonne centaine de surfeurs qui, quelques heures plus tard, entre midi et 13 h 30 semblent s’être tous donnés rendez-vous dans les déferlantes de O Key Beach à Cannes et jusqu’aux portes de Mandelieu. Spectacle saisissant d’un mini-embouteillage sur le plan d’eau. Sans fermer les yeux, à Cannes comme le matin à Antibes, les policiers municipaux se contentent de rappeler à l’ordre… avant, face à la ruée sur le plan d’eau, d’être contraints de siffler la fin du match. Tout gyrophare dehors, le bateau pneumatique de la municipale vient faire la police du surf. Jusqu’à quand ? « C’est la lose, on nous annonce des conditions météo idéales et rares chez nous pour surfer en Méditerranée », peste Maxime, venu après sa session du matin à Antibes assister au spectacle. Contraints de ranger les planches, les « Brice de Cannes » sortent leur smartphone pour vérifier si la levée de l’interdiction de baignade est enfin d’actualité : « David Lisnard, le maire de Cannes, a demandé au préfet que l’accès à la mer soit rétabli pour certaines activités sportives… Je peux te dire qu’on est tous avec lui. »
L’impatience est partagée par le patron de la plage Waikiki. Avec un fort accent de l’est, il n’en reste pas moins le gardien de l’interdiction balnéaire : « Ne restez pas là» , lance-t-il à un couple, trempé jusqu’aux os mais heureux comme des enfants de pouvoir se promener sur le sable : « Avec les caméras de surveillance, je risque d’avoir des ennuis. »