Hallali sur les épis !
Coup de feu chez le barbier. Parce que ces dames n’ont pas le monopole de la coquetterie, les messieurs se sont précipités au salon, dès hier, à l’heure du laitier. Ambiance chez Absalon à
Silence, ça pousse. D’un centimètre par mois, nous dit la science. Après huit semaines de jachère, ça peut finir par démanger. Soudaine envie de légèreté. Comme une urgence à ce que trépasse tout ce qui dépasse. Sus aux tifs, à ce stade c’est l’hallali sur les épis. Pellicule, on te follicule !
Alors, panique au bac ? Il se dit que les Français, douilles en bataille et mèche rebelle, placent la visite chez le coiffeur tout en haut sur l’échelle de leurs priorités. Pour le vérifier en assistant à la curée, rendez-vous est pris dès potron-minet chez Absalon, rue Meyerbeer, à Nice. Un vrai barbier. Avec fauteuils Belmont et cols en papier crépon. Ici, zéro blaireau. Les clients post-confinement sont plus pressés qu’avant mais toujours aussi élégants. Annick ne fournit pas. L’ambiance n’est pourtant pas à la foule. Plutôt trois pelés et un tondu, puisque l’ennemi juré, c’est la promiscuité. Distanciation oblige, il faudra repasser pour les effusions. Se succèdent un agent immobilier, un acrobate du BTP, un étudiant, un peintre du dimanche. Un mot gentil pour chacun et la moisson peut commencer. À raison de 100 000 à 150 000 cheveux par tête, Annick n’a pas trop le temps de souffler. C’est le triomphe de l’esthétique sur la technique : ciseaux, coupe-choux, rien d’électrique, elle fait dans le classique. La formule a fait ses preuves : « Une clientèle, ça met du temps à se faire. Mais quand elle est là, c’est magnifique. »
« Un être nouveau »
« Le cheveu a repris ses droits » ,observait hier, dans ces mêmes colonnes, le sociologue Michel Messu. Qui, soit dit sans malice, n’a pas un poil sur le caillou. Pour lui, « le coiffeur, c’est à la fois le médecin – qui soigne l’image – et le sorcier – on ne sait pas le faire à sa place. » Clic-clicclic, ça étête, ça épointe. «Etau bout apparaît un être nouveau… » Nouveau, c’est beaucoup dire. Mais un être raccourci. Rafraîchi. Une façon de traiter le mâle par la racine qui fait le succès d’Absalon depuis trente ans. Collier, bouc, moustache, pattes, rouflaquettes, Annick a la main partout et la conversation facile. Rien de rasoir. Tout un art de la répétition que cette « barbière » pionnière pratique avec un grand talent. Le confinement, dit-elle, lui a permis de prendre du recul : « On vit à deux cents à l’heure, mais pour quoi faire ? » Il est 14 heures, elle vient déjà de mettre un coup de balai sur ses résolutions. « Je m’étais promis de ne plus sauter de repas et de ne prendre aucun rendez-vous après 19 h. » Encore raté.