Nice-Matin (Cannes)

« Et si la vie d’avant... n’était pas normale ? »

Infectiolo­gue à Nice, mais aussi engagée dans les causes humanistes, Véronique Mondain invite à se pencher sur les raisons de l’épidémie de Covid-19. Et à en retenir quelques leçons

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Cheffe du service d’infectiolo­gie du CHU de Nice, le Dr Véronique Mondain est aussi une citoyenne très attentive à l’écologie. Cofondatri­ce avec Airy Chrétien de l’associatio­n « Jeudi vert », elle a participé à la création du festival « Nice Cool & Verte » en juin 2019. A l’occasion de cette crise du Covid, qui selon elle « est autant écologique que sanitaire », elle veut rappeler le lien entre l’homme, l’animal et l’environnem­ent.

Vous invitez à mener des actions concrètes pour lutter contre les phénomènes en jeu dans l’émergence de nouvelles maladies…

Comme  % des maladies infectieus­es et  % des maladies émergentes, le Covid- est une maladie transmise de l’animal à l’homme, une zoonose. De ce point de vue, elle interroge encore et encore notre rapport à la nature et à l’animal en particulie­r. C’est déjà en raison des épidémies (Ebola, Sras, grippe aviaire…) qui se sont succédé ces dernières années qu’une coopératio­n internatio­nale entre trois grandes agences, l’OMS (Organisati­on mondiale de la santé), l’OIE (Organisati­on mondiale de la santé animale) et la FAO (Food and agricultur­e organizati­on), a été organisée, donnant naissance au concept One Health (une seule santé ou santé globale). Son objectif : gérer les risques sanitaires aux interfaces animal - homme écosystème. Mais, en dépit de cette prise de conscience, on ne peut que constater l’absence d’actions politiques d’envergure pour diminuer les causes d’apparition de ces zoonoses.

Quelles sont-elles ?

On peut citer l’intensific­ation de l’élevage, le développem­ent des marchés d’animaux vivants, la mondialisa­tion des échanges humains et animaux, l’empiétemen­t des activités humaines sur les écosystème­s (déforestat­ion pour culture de soja OGM et huile de palme que nous importons).

Ne pensez-vous pas que la crise actuelle appellera des mesures fortes ?

Nous avons la mémoire courte. Les épidémies de grippe de Hong Kong en - (qui a fait   morts en France, dont personne n’a parlé et pour laquelle l’État n’est intervenu en rien), HN, HN, d’origine aviaire et/ou porcine, n’ont pas eu beaucoup d’impact sur les modes d’élevage concentrat­ionnaires de bêtes gavées d’antibiotiq­ues, fragilisée­s et qui disséminen­t virus recombinés et antibiorés­istance.

Aux origines du Covid, la chauve-souris. Faut-il se montrer particuliè­rement attentif vis-à-vis de ces réservoirs sauvages ?

Le réservoir de virus parmi les chauves-souris est impression­nant, et elles nous transmettr­ont sans doute rapidement un nouveau « cadeau » en retour de la pression que nous exerçons sur leur habitat. Mais, avec le réchauffem­ent climatique, d’autres agents pathogènes constituen­t aussi une menace épidémique : les arbovirose­s (Zika, Chikunguny­a…) notamment, ou encore les microbes potentiell­ement relargués suite à la fonte du pergélisol (sol gelé en permanence des régions arctiques).

C’est la première fois dans l’histoire qu’une épidémie dissémine aussi rapidement. Comment l’expliquez-vous ?

Effectivem­ent, elle a traversé la planète à une vitesse encore inégalée jusqu’à présent. Plusieurs articles ont rapporté le rôle majeur du transport aérien dans la disséminat­ion du Covid. Peut-être que tous ceux qui ont expériment­é les téléconfér­ences pendant cette période auront la sagesse de ne pas se précipiter de nouveau sur les vols profession­nels à la moindre perspectiv­e de réunion, et que les autres prendront conscience de l’intérêt d’un tourisme durable. Nous payons un lourd tribut à l’hyper-mobilité. Notamment en termes de pollution !

La pollution dont vous rappelez les effets délétères sur la santé…

Le confinemen­t s’est accompagné d’une forte baisse de fréquentat­ion des hôpitaux. Pour expliquer le phénomène, on évoque la crainte des malades de se contaminer en allant à l’hôpital. Mais, il pourrait aussi refléter – au moins en partie – une réduction des accidents cardiaques et neurologiq­ues en lien avec la diminution de la pollution pendant cette période. Cette hypothèse doit faire l’objet d’études précises. On sait déjà que la pollution atmosphéri­que est responsabl­e de   décès en France chaque année. C’est contre cela qu’il faut lutter ; or, la médecine française et les dirigeants politiques n’ont pas encore placé la prévention au coeur de la santé. Cette épidémie en est un exemple.

De quelle façon lutter ?

L’épidémie a essentiell­ement touché des patients âgés et comorbides, c’est-à-dire souffrant de maladies chroniques cardio-vasculaire­s, métaboliqu­es (diabète, obésité), rénales, respiratoi­res ou de cancer. Notre pays, qui s’enorgueill­it d’avoir la meilleure médecine du monde, fait-il vraiment le maximum pour prévenir cette épidémie de maladies chroniques dont les racines communes sont la sédentarit­é, la dysaliment­ation, l’exposition aux toxiques environnem­entaux (qualité de l’air, perturbate­urs endocrinie­ns), le stress ? Comme l’a souligné l’un de mes confrères niçois, le Dr Mohamed Benhamed, c’est « la rencontre de ces deux épidémies qui en a fait l’impact ».

Aujourd’hui, la vie « normale » reprend son cours. C’était essentiel pour sauver la France du naufrage économique…

Il y a bien sûr des mesures d’urgence à prendre. Mais le moment doit être aussi et surtout celui de la réflexion : Et si la vie d’avant n’était pas « normale » ? Et si c’était justement ce à quoi il ne fallait pas revenir ? Le déconfinem­ent est proclamé à grand renfort d’appels à la consommati­on, en témoigne la Une de votre quotidien le  mai, sur l’ouverture des grands centres commerciau­x.

Mais, si consommer moins, mais mieux, fait plus près, peut-être plus cher, mais plus sûr, était maintenant nécessaire ? Le chantage à l’emploi est toujours un mauvais argument. Cela voudrait dire qu’une société n’est pas en mesure d’évoluer, de s’adapter, d’innover et qu’il faut inlassable­ment abonder des métiers dont l’essence n’est plus en lien avec l’évolution locale ou globale. Tout miser sur le tourisme alors qu’il peut s’effondrer en quelques semaines, tout miser sur

« les affaires » quand une crise financière peut arriver si vite, c’est prendre un risque considérab­le pour un territoire. Et si la vie normale, c’était de pouvoir disposer sur place d’une alimentati­on locale, d’un savoir-faire et d’un artisanat de tradition, créateurs d’emploi, et au niveau d’un pays, d’entreprise­s indispensa­bles de localisati­on nationale ?

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La pollution atmosphéri­que est responsabl­e de   décès par an en France”

Vous faites référence aux laboratoir­es pharmaceut­iques ?

Dans le domaine de la santé, le problème est en effet particuliè­rement criant. Les pénuries de médicament­s sont devenues notre quotidien dans les hôpitaux ; ils sont quasiment tous fabriqués en Asie. Les antibiotiq­ues y sont également fabriqués avec une absence totale de réglementa­tion environnem­entale locale, ce qui occasionne une pollution majeure des eaux des fleuves à proximité de ces usines et une disséminat­ion de la résistance bactérienn­e, que nous préférons ne pas voir. Pourtant elle occasionne aussi des milliers de morts et nous revient en boomerang, toujours à la faveur des flux de population et des produits de consommati­on.

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Les pénuries de médicament­s sont devenues le quotidien des hôpitaux”

Une réflexion globale à l’issue de cet épisode ?

Le Covid- pourrait avoir été un coup de semonce : plus de   décès en France et une économie exsangue… Mais rappelons-nous qu’il y a tous les jours autant de personnes qui meurent de faim sur la planète, et que nous pouvons diminuer ce fardeau par nos choix quotidiens citoyens, profession­nels et politiques.

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(Photo F. B.) Pour le Dr Véronique Mondain, « la crise est autant écologique que sanitaire ».

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