A l’Hôtel des étrangers à Sospel...
h, dans la salle à manger de l’Hôtel des étrangers, il y a des gens qui mangent. Aussi incroyable soit-elle, l’affirmation est exacte. Ils ne se font pas vraiment face mais ils mangent
« comme au restaurant ». Les assiettes ont été disposées en quinconce, explique Céline, selon les consignes qu’elle a reçues.
« Ceux qui mangent » ne sont pas des touristes : c’est un escadron de gendarmerie, un de ceux que l’hôtel héberge depuis plus de ans maintenant. « L’année où ils sont arrivés, on aurait peut-être fermé. » La mise aux normes du vieil établissement – depuis dit la carte de visite – a été coûteuse, la crise migratoire et les forces de l’ordre envoyées en renfort à la frontière italienne l’ont sauvé. L’activité saisonnière est devenue permanente : j sur , mois sur , gîte et couverts garantis. « Quand tout le monde a dû être confiné, on est resté ouverts, on est un peu comme une gendarmerie en fait », rigole Céline. Lorsque les premiers képis ont débarqué, tous les clients n’ont pas rigolé, et l’Hôtel des patronne. Lorsqu’on lui a annoncé que l’escadron du mois de mars devait venir de la région parisienne, elle a tiqué : « On sait que c’est là-bas qu’il y a le plus de cas » . Finalement, ce sont des Hyérois qui sont arrivés. Elle sourit : « Ils se lavent bien les mains. Je garde mes distances hein, mais j’ai préféré continuer à faire les repas, plutôt que rester chez moi. » Ça fait « deux mois » qu’il n’est pas « descendu ». Il a posé sa bouteille de gel hydroalcoolique à côté de son gobelet de café, et s’en arrose de temps en temps les mains. Pas de masque : « Avec le sport que je fais, qu’est-ce-que tu veux que je risque ? Avant, y’avait pas de masques, et maintenant, ils veulent m’en fourguer de partout ! » À Sospel, aucun cas de Covid-19 n’a été détecté dans la population et chacun ici s’estime un peu protégé.
« Viens viens viens, je te fais la bise ! ». Salim a bondi – il ne fera pas la bise au nouveau venu, mais sort un masque de sa poche : « J’ai un truc pour toi ». L’autre hésite. « Prends, j’en ai plein » . Il est 12 heures, Salim ramasse sa bouteille de gel. « Ma fille arrive, je rentre à la maison. Et demain, s’il fait beau, je vais aux morilles. » Jean-Pierre caresse d’une main ses boucles grises : « Vous vous rendez compte, il y a une coiffeuse qui prend 12 euros de supplément pour la coupe ! 12 euros ! » On n’a pas très bien compris si la coiffeuse est installée dans le village ou «vue àlatélé » , mais les autres ne sont pas choqués : « Avec tout ce qu’ils doivent acheter… » Jean-Pierre proteste : « Je suis plombier, je vais pas facturer 70 euros en plus le stress d’aller chez les gens. Et pourtant… » Il a travaillé pendant les deux mois de confinement parce que « confiné et pas d’eau c’est pas possible » et dit qu’il n’a cessé de répéter de s’écarter à ses clients. « J’ai travaillé chez le vieux, celui qui a le triporteur, je lui disais “écartez-vous” il avait du mal ». JeanPierre parle et il avance en même temps avec de grands gestes : « C’est pourtant pas compliqué les distances de sécurité. La route par exemple, ils auraient mis un mec, un mec et un mec – bien écartés, ils auraient déjà fini les travaux. »