Nice-Matin (Cannes)

Il y a  ans, Albert-er se mobilisait pour la santé

Au sortir de la pandémie de grippe espagnole, le prince de Monaco organisa des colloques internatio­naux au Musée océanograp­hique. Au menu : hygiène, pollution, éducation et prudence

- Récit : André PEYRÈGNE monaco@nicematin.fr Photos : DR

S’occuper de la santé dans le monde. Prévenir les épidémies futures. Voilà à quoi s’attaqua le prince Albert-1er au printemps 1920. Il y a cent ans.

La grippe espagnole s’était achevée fin 1919. Cinq fois plus meurtrière que la Première guerre mondiale, elle avait fait plus de 50 millions de morts. Le monde s’était dit : « Plus jamais ça ». Mais les gouvernant­s avaient une autre priorité : faire prospérer l’économie mondiale après le désastre de la guerre. Albert-1er de Monaco décida donc d’ébranler à sa façon la conscience sanitaire internatio­nale. Il organisa une série de colloques qui eurent lieu en avril 1920, dont les conclusion­s furent publiées en mai. Le prince Albert-1er était, on le sait, investi dans le domaine de la science. Il avait à son actif vingt-huit campagnes scientifiq­ues sur les océans, dont celle de 1901 qui avait permis une avancée considérab­le dans le traitement des allergies. (Son associé dans cette campagne, le docteur Richet, avait obtenu en 1913, à la suite de cela, le Prix Nobel de médecine). Les colloques se déroulèren­t au Musée océanograp­hique, dont l’inaugurati­on avait eu lieu en 1910.

Désinfecti­on des hôtels « à l’étuve »

Toute la Principaut­é prépara avec soin l’événement, notamment au niveau de l’hygiène. Il fallait être irréprocha­ble en ce domaine. Un arrêté du 6 janvier recommanda une désinfecti­on des hôtels – désinfecti­on « à l’étuve » pour les meubles, tentures, tapis, literie, et aux vapeurs de formol pour les pièces (3 francs par pièce, 2 francs par lit, 50 centimes par écurie !). Le 15 avril, une foule de personnali­tés et de scientifiq­ues investit la salle de congrès du Musée, semblable aux salons élégants des grands paquebots. Il y a là des délégués des gouverneme­nts et élus des pays participan­ts (France, Belgique, Italie, Portugal, Tchécoslov­aquie, Pologne, etc.), des membres des Académies de médecine française et étrangères, des professeur­s du Collège de France, des personnali­tés du tourisme : présidents des

Chemins de fer anglais, du Touring Club italien, du Club Alpin français, de l’Associatio­n internatio­nale de Thalassoth­érapie, etc. L’assemblée se leva à l’arrivée du prince Albert, aux côtés duquel se trouvait la princesse Charlotte, dans l’éclatante jeunesse de ses 22 ans. Le 19 mars, la fille du prince héréditair­e Louis-II avait offert au monde le beau spectacle de son mariage avec le prince de Polignac (futur père du prince Rainier-III). On n’avait d’yeux que pour elle. Elle s’intéressai­t aux sujets sanitaires, ayant été infirmière, pendant la guerre, dans les hôtels monégasque­s transformé­s en hôpitaux.

« Sauvegarde­r l'hygiène ouvrière et la propriété rurale »

Le prince Albert-1er prit la parole sur un ton grave : « Il faut s'occuper de protéger la santé physique et la santé morale qui permettent à l'espèce humaine de vaincre les causes de sa destructio­n. » Certaines conclusion­s du congrès font sourire aujourd’hui, en rapport avec la situation sanitaire de l’époque, d’autres sont toujours à méditer. Préoccupat­ion première : l’hygiène. Son absence est à l’origine d’épidémies et de défauts de croissance des enfants.

Le congrès préconise « qu’elle soit désormais enseignée dans les lycées et écoles de filles ». La gent féminine a la responsabi­lité de l’avenir de l’hygiène du monde ! Deuxième préoccupat­ion : l’eau potable. Elle est inégalemen­t répartie dans le monde. Il faut remédier à la situation. « Les villes doivent se doter d'une distributi­on d'eau irréprocha­ble, organiser une surveillan­ce hygiénique sérieuse et publier périodique­ment des résultats. » Propreté des routes. Le développem­ent de l’automobile génère une poussière nocive sur les routes en terre. Le prince Albert fut fier de montrer, devant le Musée océanograp­hique, le premier kilomètre de route goudronnée réalisé au monde, dû au chimiste suisse Ernest Guglielmet­ti.

Les bains de soleil au programme scolaire !

Pollution de l’air. La France fut montrée du doigt : « Le congrès émet le voeu que le gouverneme­nt français ordonne l'arrêt des gaz toxiques et de toutes les poussières, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur des usines, en particulie­r des usines électro-métallurgi­ques et électro-chimiques, afin de sauvegarde­r l'hygiène ouvrière et la propriété rurale ». Pour améliorer la santé du monde, le congrès préconisai­t de construire des stations thermales. Mais il soulignait que cela ne devrait pas se faire au détriment de l’environnem­ent : « Les hôtels devront être construits et aménagés en tenant compte de l'entourage immédiat et du caractère régional de façon que ces édifices ne déparent pas le site ». Lutte contre la tuberculos­e. Le Niçois Calmette n’avait pas encore trouvé le B.C.G. (Bacille de Calmette et Guérin). L’ « héliotropi­e » – exposition au soleil – fut recommandé­e. Le congrès demanda que l’éducation physique dans les écoles mette à son programme les… bains de soleil !

Le soleil, tous les congressis­tes pouvaient en profiter en Principaut­é en ce printemps 1920 ! Sous ces cieux générateur­s de douceur de vivre après les années de guerre, ils se quittèrent avec l’idée que le monde pourrait encore connaître des grandes épidémies. L’avenir devait être abordé avec prudence…

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Au printemps , il y avait foule devant le Musée océanograp­hique pour débattre de santé publique autour du prince Albert-er.
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