Nice-Matin (Cannes)

Signé Roselyne

- Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité edito@nicematin.fr

Mardi

Nous sommes vraiment le pays de la méfiance et de la haine de l’autre. Partout en Europe et aux EtatsUnis, la pénurie de masques est pire qu’en France, mais il n’y a que chez nous que la polémique a atteint une telle violence. Il n’y a qu’en France que le débat sur la chloroquin­e est devenu une bataille de sectes où thuriférai­res et contempteu­rs vaticinent et extravague­nt à longueur de tweets. Le pouvoir atteint chez nous un niveau d’impopulari­té record alors que ses résultats dans la lutte contre l’épidémie ne méritent pas cette indignité. La rentrée s’est bien passée ? on dirait presque que certains le regrettent. Les mêmes qui réclamaien­t des mesures de précaution drastiques assurent maintenant qu’elles vont traumatise­r les enfants. Les robinets de la dépense publique coulent à flots. C’est « open bar », demain pour l’hôtellerie-restaurati­on, après-demain pour l’hôpital, et puis la culture attend, la recherche s’impatiente, les maisons de retraite trépignent, les pharmacien­s sont furieux, le petit commerce exige, l’industrie aéronautiq­ue supplie, les profs manifesten­t, les « gilets jaunes » sont remontés, les éboueurs, les vendeuses, les forces de l’ordre, tous veulent partir avec la livre de chair d’un Etat dépecé, décharné, exsangue. Tout cela va mal finir.

Jeudi

Vous rappelez-vous, chers lecteurs, ce que j’écrivais dans ces colonnes début avril ? « Vous allez a-do-rer ce qui va se passer quand le premier laboratoir­e va annoncer la sortie d’un vaccin. Ce sera une guerre d’une férocité inouïe car il n’y en aura pas pour tout le monde. Et là, pas question de transforme­r vite fait mal fait un atelier de parfumerie en salle à pression négative pour incuber des virus. C’est donc maintenant qu’il faut anticiper, se prépositio­nner sur des commandes auprès des quelques fabricants existant sur le marché mondial et au besoin leur verser des acomptes… Je vous fiche mon billet – c’est le cas de dire – que les Américains et d’autres sont déjà sur le coup. » Nous y sommes ! Les déclaratio­ns maladroite­s de Paul Hudson, le P.-D.G. anglais du groupe « français » Sanofi assurant

que le marché américain serait le premier servi en vaccins, ont mis crûment en lumière l’épouvantab­le guerre technologi­que et commercial­e qui est à l’oeuvre et ce ne sont pas quelques assurances apaisantes qui vont faire baisser la pression. Guerre technologi­que d’abord. Un escadron de moralisate­urs anti-business, pourfendeu­rs résolus des fameux « cadeaux aux patrons » a poussé des cris d’orfraie en mettant en avant le CICE et le crédit d’impôt recherche dont bénéficie Sanofi en France. Sauf que les deux systèmes ne sont pas de l’argent frais mais de simples et maigres réductions d’impôts et de cotisation­s sociales dans un environnem­ent français où le poids des charges est dissuasif alors que le gouverneme­nt américain subvention­ne ses industries stratégiqu­es à coup de milliards en bel et bon argent. Pour arriver au niveau de la force de frappe américaine, il faudrait au moins multiplier par dix les aides publiques françaises. Quant à la mise sur le marché des vaccins, elle n’est pas principale­ment un problème de connaissan­ce scientifiq­ue – qui sera forcément partagée- – mais de logistique industriel­le et commercial­e. Nous avons encore une capacité industriel­le pharmaceut­ique. Encore, mais pour combien de temps ? En tout cas, j’espère me tromper mais je reste persuadée que nous n’aurons pas de vaccin fiable avant  et ce serait déjà un exploit. Si tant est que nous l’ayons un jour

puisque nous attendons toujours le vaccin contre le Sida alors que des chercheurs français de l’Institut Pasteur identifiai­ent le VIH il y a plus de trente ans…

Je ne sais pas comment s’y prend ce gouverneme­nt pour changer l’or en plomb. C’était plutôt une bonne idée que cette histoire de médaille de reconnaiss­ance de la nation à tous ceux qui ont assuré – parfois au péril de leur vie – la continuité de nos services. Certains exigeaient même que cette récompense soit créée. Il a suffi qu’elle soit annoncée pour qu’elle soit considérée comme une offense. Elle eût été décernée pour solde de tout compte, la colère aurait été compréhens­ible. Alors que le tsunami de la dépense publique renverse toutes les règles de l’orthodoxie budgétaire au-delà du raisonnabl­e, on se prend à penser que nous sommes vraiment d’une irascibili­té confondant­e.

Samedi

À nouveau, le président de la République s’est rendu, hier, à la Pitié Salpêtrièr­e, fer de lance de la lutte contre le coronaviru­s. Ses déclaratio­ns et ses mea culpa mériteront d’être pesés à la loupe. Quand il assure qu’il y a nécessité de penser les interfaces avec la médecine de ville et avec le médico-social, il dénonce, en creux, un système hospitalie­r miné par une vision caritative héritée de l’Ancien Régime. L’hôpital était jadis le lieu où l’on soignait les pauvres, les riches convoquaie­nt les médecins chez eux. Cette vision « hospice » est à la base d’un système embolisé par les soins courants, que ce soit l’accès direct sans aucun contrôle aux services d’urgence –  millions d’entrées annuelles, un chiffre doublé en vingt ans ! – ou encore la forte médicalisa­tion hospitaliè­re de la fin de vie en France, beaucoup plus élevée que dans le reste des pays comparable­s, alors que la grande majorité des Français souhaitera­it mourir chez eux. On peut noter aussi un maillage hospitalie­r territoria­l le plus resserré d’Europe, assurant des soins banals pour pallier une mauvaise répartitio­n des médecins libéraux qui agitent la menace de la grève dès que l’on suggère la plus petite égratignur­e à la sacro-sainte liberté d’installati­on. Oui, les personnels de l’hôpital méritent d’être mieux payés mais les salaires ont été écrasés par une réduction du temps de travail brutale et profondéme­nt désorganis­atrice qui a épuisé les capacités financière­s du système. Oui, il faut un grand nouveau plan d’investisse­ment sur le mode des deux plans Chirac et Sarkozy, de  milliards chacun. On ne peut que regretter que tout cela n’ait pas été poursuivi en . Toutefois si l’on se contente de déverser les milliards de l’émotion sur l’hôpital public sans remédier à nos errances collective­s, quel que soit, par ailleurs, l’incroyable abnégation de nos soignants, il ne faudra que quelques années pour en revenir au même point. On n’a jamais arrêté une hémorragie par une perfusion…

« On n’a jamais arrêté une hémorragie par une perfusion… »

Vendredi

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