Nice-Matin (Cannes)

Macha Méril : « Cette épidémie est presque une aubaine »

Confinée entre Paris et sa propriété du Loiret, l’actrice et écrivain nous raconte avec sa franchise habituelle, comment elle a vécu cette période si particuliè­re

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN GRASSET

Le confinemen­t s’est-il bien passé ?

Pour nous les artistes, le confinemen­t c’est un peu notre pain quotidien. Quand j’apprends un texte pour le théâtre ou quand j’écris, j’ai besoin de solitude et ne pas être dérangée par le monde extérieur. Donc, je pense que nous sommes un peu avantagés par rapport aux autres parce que nous faisons des choses personnell­es et souvent à la maison. Le confinemen­t ne m’a pas changé totalement la vie. Bien sûr, j’avais des voyages prévus dont le tour de France des librairies. Tout a volé en éclats. Mais je pense que cette épidémie est presque une aubaine.

Vous le croyez sérieuseme­nt ?

Oui. Et pour trois raisons. J’espère qu’on va arrêter de se faire des bisous sans arrêt. Depuis une dizaine d’années, tout le monde se faisait des bises. Je n’utilise pas ce mot, bisous. Je le trouve petitbourg­eois et ridicule. Je dis qu’on s’embrasse, qu’on se serre la main, mais pourquoi se lécher le museau ? Deuxièmeme­nt, j’espère que les Français vont un peu se ressouder. On va arrêter de méconnaîtr­e la vie des autres. C’est peut-être un voeu pieux. Et, troisièmem­ent, on va relocalise­r les industries de première nécessité comme les médicament­s ou les pièces de rechange des voitures. On a choisi de fabriquer en Chine parce que ça coûte

‘‘ dix fois moins cher et qu’on exploite les ouvriers de ce pays. Maintenant, il faut réindustri­aliser la France, relocalise­r des métiers. Dans un futur proche, on va tous gagner moins. Les salaires des acteurs diminuent. Ils seront encore plus bas ! [rires]

Ne résisteron­t que les vrais passionnés du métier. J’ai beaucoup aimé ce qu’a dit Nicolas Hulot : « Ce virus est un ultimatum. » Ou on change maintenant, ou la planète va à la catastroph­e. Il a raison. Ce virus est une bonne fée qui nous dit : attention ce monde ne tourne pas rond. Je prône désormais une certaine frugalité. Moi-même, je ne résistais pas à l’achat de bijoux, d’un T-shirt. Maintenant, j’achète juste ce dont j’ai besoin.

Vous étiez confinée à Paris ?

Oui. Je suis restée chez moi pendant le premier mois avec beaucoup de choses à faire. A commencer par la promotion de mon livre Vania, Vassia et le fils de Vassia. J’ai continué à faire des interviews au téléphone, par Skype ou Facetime. J’ai aussi rangé toute ma bibliothèq­ue, ce que je me jurais de faire depuis dix ans. J’ai relu aussi des ouvrages tels que Guerre et paix de Tolstoï et La Peste de Camus. Et puis, comme il faisait beau, j’ai eu envie d’aller dans la belle propriété de La Mothen dans le Loiret que nous avions avec Michel Legrand [son mari décédé le  janvier , ndlr].

A un péage, les gendarmes m’ont contrôlée très aimablemen­t quand je leur ai expliqué que j’avais des salaires à payer à mes employés...

Une vie bien différente par rapport à Paris ?

La propriété est en fleurs avec ce printemps qui s’en fiche pas mal du Covid-. La nature suit son cycle et il fallait que je sois là. Je me suis occupée de mon potager, j’ai planté du basilic, du persil, des tomates. Mais aussi des fleurs comme les pétunias, les surfinias, etc. Je suis aussi allée me ravitaille­r dans des supermarch­és qui étaient bondés. Et je me suis rendu compte que les gens ne faisaient pas attention puisqu’ils ne mettaient pas leurs masques. Ce mauvais esprit français m’énerve. Nos compatriot­es n’obéissent pas aux instructio­ns gouverneme­ntales. Moi, je suis toujours avec mon masque depuis le début. Je suis très scrupuleus­e. J’en avais gardé une petite réserve du temps où mon Michel [Legrand, ndlr] était malade. Vous savez quand j’ai vu le décès de mon ami Patrick Devedjian, qui est parti en quatre jours, je me suis dit que ce virus frappe tout le monde. La politique de ce gouverneme­nt pour ce confinemen­t a été la bonne. Il n’y en avait pas d’autre.

En lisant votre livre, Vania, Vassia et le fils de Vassia, on a le sentiment qu’il est très autobiogra­phique ?

Un livre, c’est un moment de la vie. Je m’étais toujours dit qu’il fallait que je raconte ce que mes parents m’avaient raconté. Mais je flemmardai­s. Je suis russe d’origine. Mes parents ont quitté la Russie après la Révolution de . Après avoir tout perdu, ils ont recommencé à zéro. Or, depuis que nous vivions ensemble avec Michel, toutes les semaines il me disait : « Alors, tu sais ce que tu vas écrire. Il faut que tu fasses un grand livre que tu n’as pas encore fait. » Il me cassait les pieds, mais il avait raison. Ces dernières années, j’étais tellement préoccupée par sa santé que je me suis dit, dans les derniers mois, qu’il fallait que Michel puisse lire cet ouvrage. Prise par l’urgence, je l’ai écrit en trois mois ! Et Michel a lu les cent premières pages. Il était content pour moi parce que j’avais enfin signé un livre ambitieux. Et puis, j’aurais bientôt  ans et je voulais que ce roman soit comme le bilan de ma vie. J’ai donc eu l’idée de cette trouvaille littéraire

Il faut réindustri­aliser la France, relocalise­r des métiers.”

Ce virus est une bonne fée qui nous dit : attention ce monde ne tourne pas rond.”

qui est de mêler le destin de cette communauté des cosaques très heureux que la France les ait accueillis avec des choses de ma propre vie. J’ai rencontré Mendès-France, Boris Eltsine, j’ai vécu la Nouvelle Vague...

Le succès est au rendez-vous ?

Vingt mille exemplaire­s vendus sur Amazon et les grandes surfaces entre autres depuis le début du confinemen­t, c’est formidable ! J’ai vraiment bien réussi. Excusez-moi, je ne suis pas modeste ! Et puis, vous savez, il y avait un préjugé. Je suis une actrice qui écrit et ça ne passe pas toujours. J’ai été invitée par François Busnel dans son émission, La Grande Librairie (sur France ). C’est lui qui m’a offert mon passeport d’écrivain. Et ce dimanche [lire aujourd’hui, ndlr], je suis invitée en duplex du JT de  h de France . J’ai des choses à dire. Je ne rechigne pas à la « com ». C’est un acte créatif.

Le déconfinem­ent c’est comment ?

Je suis rentrée à Paris. Je ressens le besoin de revoir mes amis, de refaire des dîners, moi qui adore la cuisine et ai le goût des autres. Et je prépare un spectacle pour la rentrée où je lirai des textes de Marguerite Duras. Textes que je vais répéter avec le metteur en scène Stéphane Druet.

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(Photo Pascal Gascuel)

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