« Le gouvernement n’a plus la confiance de sa police »
Affranchi de son devoir de réserve, un ancien policier azuréen dit l’écoeurement de cette profession après les annonces de Christophe Castaner. Lui plaide pour le maintien de la clé d’étranglement
Il a rangé l’uniforme mais gagné sa liberté de ton. Nicolas Til, 53 ans, est un tout jeune retraité de la police nationale. Il compte trente-deux ans de service de Paris à Nice, entre brigade anti-criminalité, police secours et escorte de détenus dangereux. Et il ne supporte plus de voir ses excollègues sous le feu nourri des critiques. Le mouvement mondial contre le racisme et les violences policières, né de l’affaire George Floyd, puis les annonces de Christophe Castaner, ont conduit les policiers à manifester leur écoeurement. Solidaire, le major honoraire Nicolas Til a tenu à livrer son témoignage, affranchi du devoir de réserve. Un éclairage utile, alors qu’un groupe de travail planche, dès aujourd’hui, sur les alternatives à la technique de la clé d’étranglement, si controversée.
Pourquoi êtes-vous en colère contre votre ancien ministre ?
M. Castaner réécrit, à sa sauce, le Code pénal et le code de déontologie de la police nationale. Mais M. Castaner n’a jamais connu le milieu policier ! Il a été mal conseillé. Ses conseillers techniques sont bien souvent des commissaires divisionnaires, voire contrôleurs généraux : des policiers, mais des technocrates et des ronds de cuir qui ne connaissent pas les réalités du terrain. Pourquoi n’aurait-on pas aussi, au sommet de l’Etat, des conseillers techniques issus de la base – apolitiques, eux ?
Que signifierait l’abandon de la fameuse clé d’étranglement ?
C’est une technique vitale pour nous dans le cadre d’une intervention. On ne peut pas la supprimer ! Oui, elle peut être dangereuse si l’individu se débat, mais c’est une bonne technique pour immobiliser un individu. Sinon, comment fait-on ? Avec nos poings ? Les poings aussi peuvent faire beaucoup de dégâts. On ne va quand même pas utiliser notre arme...
Quid du Taser ?
Le Taser peut être dangereux. Si un individu a des problèmes cardiaques, ou si son organisme réagit mal à cette impulsion électrique, son coeur peut s’arrêter de battre... En proportion, la clé d’étranglement est moins dangereuse que le Taser.
Vous est-il arrivé de la pratiquer au cours de votre carrière ?
Oui, cela m’est arrivé. Je pense que tout policier de terrain en a fait... Ou a essayé de la pratiquer. C’est difficile de la faire dans les règles de l’art, comme on l’a appris dans les écoles de police avec un formateur : là, on ne s’entraîne pas avec un collègue qui fait le plastron et joue le jeu...
Comment avez-vous réagi aux images de la mort de George Floyd à Minneapolis ?
Cela m’a choqué. Je pense qu’on est tous d’accord : ce qui s’est passé est inadmissible. Rester huit minutes avec le genou au niveau du cou pour couper la circulation, pour moi, c’est un meurtre.
Le racisme dans la police est-il une réalité en France aussi ?
La police nationale est à l’image de la population. Peut-être y a-t-il des cas isolés. Mais dans son ensemble, la police nationale n’est pas raciste ! Quand j’étais chef de brigade en région parisienne, je m’arrangeais, autant que possible, pour former des équipages à l’image de la diversité de la France. C’était un moyen d’être mieux accepté par la population, et de protéger les personnels, d’apaiser les tensions, d’éviter ces accusations de racisme que l’on a un peu facilement à la bouche.
Du racisme, il y en a dans d’autres corporations que la police...
Mais cela n’a pas les mêmes conséquences dans la police, qui incarne l’Etat et sa force...
C’est un métier difficile. On travaille sur le fil du rasoir. On se doit d’être exemplaire. Quand vous intervenez sur le terrain, tout le monde vous observe, certains vous filment avec leur téléphone portable... Bien sûr, il faut un cadrage des interventions.
Les caméras piétons peuvent-elles être utiles ?
J’y serais favorable pour éviter les problèmes. C’est une contrainte de les avoir, et encore faut-il que le matériel marche... Mais c’est, selon moi, le moyen imparable de protéger les policiers. Pour qu’ils ne soient pas taxés de racisme, de violences volontaires, de ces maux dont on les accuse actuellement.
Comment vivez-vous ces manifestations monstres place de la République à Paris ?
C’est un mouvement important, il y a effectivement beaucoup de personnes, mais elles ne représentent pas la population française dans son ensemble. J’ai lu dans un sondage récent que % des Français ont confiance en leur police nationale...
Reste qu’il existe une fracture avec une partie de la population. Comment renouer le lien ?
En revenant à une police de proximité, au système des îlotiers dans les cités. Avant cela, il faut que les policiers rentrent dans les cités et occupent le terrain, au risque de déranger ceux qui y font leur business. Ça, c’est politique...
Le mal de la police est profond ?
M. Castaner a touché à un pilier de la République. C’est très grave ! Contrairement à ce qu’a dit Mme Belloubet, ce n’est pas un mouvement d’humeur passager. Ce sont des revendications fortes. Mes anciens collègues sont dégoûtés, usés. Ils ont été mis à rude épreuve : les attentats, le mouvement des « gilets jaunes », le Covid... Et plutôt que de nous défendre, on nous met encore plus la tête sous l’eau ! Le gouvernement français n’a plus la confiance de sa police.