Nice-Matin (Cannes)

VIES DE FLICS

Immersion à Nice avec un équipage de police secours Violences, vols : ils sont en première ligne

-

Sophie, Djamal et Benjamin sont affectés à police secours. Ils sont trente dans ce service en action 24 h sur 24. Jeudi, ils ont ouvert leur coeur et les portières de leur voiture sérigraphi­ée à un journalist­e. Il est 13 heures, Djamal, adjoint de sécurité depuis deux ans, est à la bourre et se fait chambrer par Benjamin, gardien de la paix depuis 2017. Sophie, yeux bleus et rouge à lèvres, sous-brigadier, seize ans de police et presque autant de terrain, est chef de bord. Ambiance bon enfant à la prise de consignes. Le major répartit les missions : «Un équipage sera à l’hôpital. » Un homme blessé au couteau mais mis en examen pour tentative de meurtre doit rester sous bonne garde. « Ça fait partie des servitudes », murmure Sophie. Elle, sera chargée de patrouille­r avec ses deux équipiers jusqu’à 22 heures. « Soyez attentifs aux rassemblem­ents de personnes. » Allusion aux affronteme­nts communauta­ires qui agitent l’impasse des Liserons à Nice ces derniers jours.

Le chef attribue une voiture quasiment neuve pour accueillir l’observateu­r extérieur prié d’enfiler, comme les autres, un gilet pare-balles. Une manière de rappeler que ce métier n’est pas une sinécure dans une ville meurtrie par l’un des pires attentats terroriste­s qu’a connu la France. Le policier est devenu une cible privilégié­e, un trophée de choix.

Sophie se souvient du funeste soir du 14 juillet 2016. « À l’époque, ma fille avait deux ans et je me suis retrouvée à prendre en charge une mère qui avait perdu son enfant du même âge. Elle a dû quitter Nice pour tenter de survivre. »

À côté de ces pires moments, « il y a la satisfacti­on de sauver quelqu’un du suicide, de retrouver une ado fugueuse ou un retraité désorienté, de consoler une femme battue ». Sophie a tenté un jour d’intégrer un service d’enquête, elle est vite revenue sur le terrain : « Trop de procédures, trop de bureau pour moi », précise-t-elle dans un sourire.

Le sous-brigadier dresse l’inventaire du matériel

Casques lourds et boucliers sont en place dans le coffre en cas de coup dur. Benjamin est au volant. Top départ. Direction les Liserons où la République malmenée tente de reconquéri­r le terrain. Une opération d’enlèvement des épaves est en cours. Sur place, un capitaine demande à l’équipage d’accompagne­r un maître-chien et son malinois qui inspectent les voitures. Sophie, Benjamin et Djamal surveillen­t les balcons. « Des types sont capables de vous balancer une boule de pétanque ou un four micro-onde », confie un officier.

Sur les ondes, un appel au  pour un « VIF »

Traduire : violences intrafamil­iales. « C’était 80 % de nos interventi­ons pendant le confinemen­t », rappelle Sophie tout en courant vers la voiture. Dans police secours, il y a « secours ». Benjamin actionne le gyrophare et le deux-tons. L’équipe fonce en direction de la rue Barberis. Sophie, en copilote appliquée, dirige la manoeuvre : «à gauche, à droite, attention au cyclo…» Sur la banquette arrière Djamal s’accroche. L’adrénaline monte d’un cran. Une femme est en danger. Elle a déjà plusieurs fois déposé des mains courantes informe la SIC, la salle d’informatio­n et de commandeme­nt avec laquelle l’équipe est en liaison permanente. Un homme torse nu vient à la rencontre de l’équi- page et le guide à l’entrée de l’immeuble : « Elle a hurlé pendant au moins un quart d’heure », indique-t-il. Au pas de course, les policiers s’engouffren­t dans les étages. « Vous êtes bien courageux et dire que certains vous jettent des pierres », glisse une voisine croisée dans la cage d’escalier. Pas le temps de la remercier pour ses encouragem­ents.

Le mari ouvre la porte comme si de rien n’était. Il est étonnammen­t calme. L’orage conjugal est passé. Dans la chambre une femme sanglote, suffoque. Sophie la fait s’asseoir sur le lit, lui sert un verre d’eau. Les traces de coups sont visibles. Un signe discret à Benjamin invité à passer les menottes au suspect : « C’est une question de sécurité pour nous. Je ne vous connais pas », lui explique Benjamin. L’homme comprend, il tente de se justifier : « On ne s’entend plus. Je suis tombé dans un guet-apens. Elles (sous-entendu sa femme et sa fille) ont tout préparé. Je l’ai poussée mais pas frappée. » Dans la cuisine de cet appartemen­t coquet, une adolescent­e au visage triste est invitée à venir au commissari­at. Elle sera entendue comme témoin. Le visage défait, sa mère confie qu’elle subit des accès de violences depuis quatre ans. Un équipage du quartier arrivé en renfort la prend en charge. Une fois fouillé, le tyran domestique est embarqué. « Depuis qu’elle sait que j’ai une maîtresse, ça dégénère », dit-il sur le trajet qui le conduit tout droit en garde à vue.

« Vous faites quoi dans la vie ? » « Je suis chauffeur de tram ».

À la caserne Auvare, le service du quart prend le relais. Les policiers tapent les déposition­s des protagonis­tes. Le parquet décidera des suites judiciaire­s. Sophie n’a pas le temps d’attendre l’épilogue de l’histoire. Elle repart sur une autre mission.

Selon toute vraisembla­nce, le mari violent sera jugé dès aujourd’hui lundi en comparutio­n immédiate. Tous les trois jours une femme meurt sous les coups de son conjoint en France. Pour les policiers de terrain, ce n’est pas qu’une statistiqu­e : le phénomène est réel, palpable. À Nice, le service qui suit les violences conjugales est débordé : il a fallu le renforcer.

En route pour les Moulins

Un quartier dit « sensible ». Sophie en a vu d’autres : elle a fait ses armes dans une CDI, une compagnie d’interventi­on en SeineSaint-Denis. « J’étais une pionnière et ça n’a pas toujours été facile à l’époque avec les collègues. J’avais seulement droit à un paravent dans l’unique vestiaire et à des blagues du genre : ‘‘Tu connais l’article 12 : baisse

‘‘ Depuis qu’elle sait que j’ai une maîtresse, ça dégénère ”

ta culotte et soulève ta blouse’’ .» Les relents de sexisme et de racisme perdurent chez certains mais ni plus ni moins que dans la population, affirme le trio. Djamal, que certains communauta­ristes traiteraie­nt de « vendu », le confirme : « Personnell­ement, je n’en ai jamais souffert. Pour moi, la police c’est une passion. Je taille ma route. Je veux passer le concours de gardien de la paix à l’issue de mes trois ans de contrat. »

La radio grésille...

« Appel équipage. Rue Pégurier, un homme frappé par un chauffeur de taxi. » Gyrophare et sirène activés, Benjamin accélère. Sur place, un homme, arcade ouverte et sanguinole­nte, raconte, essoufflé, sa mésaventur­e : « Il m’a menacé de mort, m’a cassé mes lunettes. J’ai toutes les vidéos. » Sophie le rassure, le fait rentrer dans son atelier pour qu’il se calme. La victime équipe les taxis et un différend l’oppose à l’un des chauffeurs. Benjamin questionne l’agresseur présumé : « Un mec de 120 kg qui me pousse, je réponds. J’ai eu un réflexe mais je ne l’ai pas lynché. Moi aussi je porte plainte. »

« Ça ne justifie pas les coups, lui explique Benjamin. Vous lui avez mis une bonne pastèque. Ce n’est pas très proportion­né... » Les pompiers prennent en charge le blessé. Les suites judiciaire­s seront décidées par le procureur.

Retour aux Moulins

À peine arrivé, déjà repéré : les « Ara, Ara » retentisse­nt, signal des guetteurs (les « choufs ») à l’arrivée de la police. Des jeunes s’égaillent comme une volée de moineaux. Des poubelles placées en travers empêchent la voiture de pénétrer dans les allées. Djamal montre sur son téléphone une vidéo postée par les dealers sur l’applicatio­n Snapchat : « Regardez, il y a le plan d’accès avec les tarifs. On reconnaît le bâtiment. » Un jeune homme est contrôlé. Il tremble. Il habite Cagnes-sur-Mer. Sa sacoche est fouillée : deux barrettes de shit sont découverte­s : « Ecrasez-les », intime Sophie. Le jeune s’exécute, semelle sur le bitume, et repart. Dans quelques mois, si l’expériment­ation se concrétise, il devra s’acquitter d’une amende de 200 euros. Un automobili­ste hèle la patrouille qui a repris ses rondes : « J’habite le quartier, franchemen­t y en a marre des mecs qui font de la mécanique sauvage. Y a au moins une dizaine de voitures en bas de chez moi, plus moyen de se garer. » « Composez le 17 la prochaine fois qu’on puisse venir constater le flagrant délit », conseille Sophie. « Merci vous êtes super. »

Rue Mère-Teresa, un jeune sans casque s’amuse à défier la police en roue arrière sur son scooter. Plutôt que de s’engager dans une course-poursuite dangereuse et sans doute vouée à l’échec, la patrouille décide d’inspecter un dédale de caves nauséabond­es. Des jeunes seraient en train de trafiquer des motos dans un sous-sol boulevard Paul-Montel dénoncent des résidents. Vérificati­ons faites, les deux motos sont en règle.

« Rue d’Italie, homme  ans...

... costume et parapluie, porteur d’un cutter, a menacé une boulangère », annonce la radio. Benjamin appuie sur l’accélérate­ur, se faufile dans la circulatio­n, utilise un porte-voix pour s’ouvrir le passage. Une autre équipe arrive simultaném­ent. Tout autour, les badauds affluent, téléphone portable en main.

« On est constammen­t filmés » ,explique Sophie qui, elle, est dotée d’une caméra piéton. « Toutes les deux heures il faut changer les batteries. C’est une sécurité pour nous, ça calme nos interlocut­eurs mais ce n’est pas très pratique. »

La boulangère, visiblemen­t sous le coup de l’émotion, n’est pas blessée. Elle ne souhaite pas déposer plainte. Elle décrit un homme qui s’est emporté.

« N’hésitez pas à nous rappeler », insiste le policier. La pause est de courte durée. La salle de commandeme­nt souhaite que l’équipage se rende place Ile-de-Beauté. Une femme de 38 ans avec une poussette a déposé plainte contre son conjoint violent. Il rôderait à nouveau dans le quartier.

« S’il est là, il faut l’interpelle­r », prévient Sophie. La patrouille fait le tour de l’église : R.A.S. Un chien battu à coups de bâton dans une résidence étudiante à la Bornala ? Rien de concret non plus. Les faits remonterai­ent à plus d’une semaine. Un vol de collier est signalé rue de France, un autre à Nice Nord. La descriptio­n des vêtements de l’auteur est diffusée. Autre événement : un individu a lancé un colis par-dessus les murs de la maison d’arrêt.

« La dernière fois, j’ai saisi les paquets : c’était de la viande congelée. J’espérais qu’elle renferme des stups. On a attendu la décongélat­ion. Eh bien non ! J’étais trop déçue ! » Aux abords de la prison, un automobili­ste croise les policiers, téléphone scotché à l’oreille.

« Monsieur, coupez le moteur s’il vous plaît ». Benjamin reposition­ne Djamal, encore en apprentiss­age : « Replace-toi au niveau de l’essieu. Là, s’il tourne les roues et qu’il démarre, il t’écrase. » L’automobili­ste fait amende honorable. Il était en ligne avec son patron, il roulait au pas. Il s’en tire avec une bonne leçon de morale. « S’il avait été agressif, impoli, on l’aurait verbalisé », affirme Benjamin.

Retour à la caserne

‘‘ Auvare pour taper les mains courantes de la journée. Une halte dans le réfectoire avec les collègues. L’un d’eux régale les troupes avec des crèmes glacées. « Prenez-en une, on n’est jamais sûr de pouvoir faire une pause pour manger. »

La ronde infernale se poursuit sous une chaleur suffocante. Un accident grave s’est produit sur la voie rapide. L’équipage est trop éloigné pour intervenir.

 heures, direction Cyril-Besset

Les sapeurs-pompiers viennent de découvrir à son domicile un homme de 83 ans. « Delta Charlie Delta », annonce la radio. Autrement dit « décédé ». Sophie, d’expérience, sait que ses trois prochaines heures de boulot seront consacrées à cette macabre découverte. « Je pense même que nos collègues de nuit nous relaieront pour la levée de corps ». Le légiste fait savoir qu’il ne sera pas là avant 21 heures.

Un officier de police judiciaire sera dépêché sur place. Les pompiers sont passés par la fenêtre car la porte était fermée à clef de l’intérieur. Il y a un peu de désordre. On ne peut exclure pour l’instant l’hypothèse criminelle. L’odeur pestilenti­elle saute à la gorge.

« La mort remonte à plus d‘une semaine vu le nombre d’insectes » ,indique le lieutenant des sapeurspom­piers. Sophie et Djamal cherchent une pièce d’identité, fouillent dans les tiroirs. Quelques photos accrochées au mur témoignent de la vie de cet inconnu qui est mort seul. « On entre dans l’intimité des gens. C’est toujours un peu gênant », admet Sophie. On apprend au fil des recherches que le défunt n’a pas de famille. Son dernier signe de vie est une conversati­on avec la fille de feu sa compagne. Cela remonte à trois

semaines.

Fin de mission

Le gilet pare-balles est remisé. Il faut une douche, vite, pour effacer l’odeur de la mort, de la détresse et de la misère croisées tout au long d’une journée… ordinaire.

On est constammen­t filmés ”

 ??  ??
 ??  ?? Scooter à l’antivol cassé. Le jeune homme assis dessus est contrôlé. Fausse alerte
Scooter à l’antivol cassé. Le jeune homme assis dessus est contrôlé. Fausse alerte
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France