Le rorqual à la queue coupée est de retour
Suivi depuis des années en raison de son lourd handicap, l’animal, dont la survie reste un mystère, a été aperçu, hier, au large de Beaulieu-sur-Mer
Fluker est de retour. Ce rorqual femelle, facilement reconnaissable à sa queue amputée, a été aperçu par un pêcheur, hier matin, à 65 mètres des côtes de Beaulieu-sur-Mer, entre Nice et Monaco. Une présence qui, d’ordinaire, interpelle mais n’étonne plus : l’animal est un habitué de longue date du sanctuaire de Pelagos, dont il est devenu une mascotte faisant régulièrement le bonheur des réseaux sociaux. Mais cette fois, tout était différent…
Vivre avec son handicap
Signalé à plusieurs reprises et photographié pour la première fois en juin 2006 par une équipe de WWF, le mammifère présente alors une impressionnante blessure à la queue : le lobe gauche est en grande partie cisaillé, probablement par un filet de pêche. Une blessure censée condamner l’animal, qui « s’adapte pourtant à son handicap et survit », souligne le Dr Franck Dhermain, vétérinaire et président du Groupe d’étude des cétacés en Méditerranée. Fluker « apprend, après trois prises d’élan, à plonger sans relever sa nageoire caudale » abîmée et « invente même une nage unique : tandis que les rorquals utilisent leur queue pour se propulser, elle utilise ses nageoires pectorales, comme si elle pratiquait la brasse. »
Nouvelle blessure
« C’est peut-être pour cela qu’elle semble amaigrie : elle sollicite et développe d’autres muscles », avance encore le vétérinaire, en réponse à ceux qui imaginent le cétacé en fin de vie depuis sa seconde blessure. Car l’été dernier, Fluker est photographiée au large du cap Ferrat avec, cette fois, la queue totalement amputée. La chair est à vif : la blessure a quelques jours, trois à quatre semaines tout au plus.
« Les traces observées en amont de la coupure laissent penser qu’un filet de pêche est encore à l’origine de la blessure », observe le Dr Dhermain.
À sa sortie des radars (l’hiver, l’animal met le cap au sud de la Méditerranée), on craint de ne jamais revoir Fluker…
En mai, l’espoir renaît quand une vidéo suggère sa présence en Syrie ; mais le document est de trop mauvaise qualité pour l’attester. Début juin, on la subodore au large de la Grèce. Mais il faut attendre des observations venues de Calabre, il y a deux semaines, pour confirmer qu’elle n’a pas succombé à cette nouvelle blessure.
Dernières heures ?
« On ne sait pas expliquer sa survie. Son état devrait entraîner des problèmes graves de foie, de reins… On ne sait même pas comment elle se nourrit » . Les krills, grosses crevettes des profondeurs dont les rorquals sont friands à raison d’une à deux tonnes par jour, « se trouvent à 300 ou 400 mètres sous la surface. Une profondeur qui paraît difficile à atteindre avec un tel handicap. Se débrouille-t-elle pour en trouver moins loin, ce qui expliquerait sa présence si près des côtes ? Ou vit-elle sur ses réserves de l’année dernière, ce que certaines baleines sont capables de faire ? Auquel cas, elle risque de bientôt les avoir épuisées…» Passera-t-elle un été tranquille dans le sanctuaire de Pelagos, ce havre de paix pour cétacés qui forme un triangle entre Hyères, la Sardaigne et la Toscane ? Vit-elle ses dernières heures ? Chaque apparition de Fluker, désormais, sera scrutée avec inquiétude par tous ceux qui se sont passionnés pour l’incroyable odyssée du rorqual à la queue coupée.