La semaine de Roselyne Bachelot
Lundi
L’éditorialiste Alain Duhamel estimait que le général de Gaulle avait des Français une vision circonspecte et goguenarde. Ces deux qualificatifs étaient particulièrement idoines si l’on veut bien considérer la séquence médiatique de ces derniers jours. Le roman national avait – presque – réussi à nous faire croire que nous étions une nation de courageux Résistants. Las, les images de la tournée triomphale de Philippe Pétain en , à quelques semaines du Débarquement, montrent les foules extatiques acclamant le chef d’un État français auteur des lois scélérates qui ont envoyé de nos compatriotes juifs dans les camps de la mort, les ont spoliés de leurs biens et au mieux condamnés à l’exil ou à la clandestinité. L’abjection impardonnable est bien que les Français savaient. Quand de pareils crimes sont commis avec le bras armé des préfets et des policiers, que des expositions antisémites sont proposées au grand public, que les partis politiques au pouvoir professent la haine des Juifs, la thèse de l’ignorance collective est insoutenable. Certes il y eut des Français magnifiques, certes un Juste qui sauve un homme sauve le monde, mais ils et elles étaient si peu nombreux… Alors qu’on ne vienne pas me dire, comme je l’ai entendu tout au long des manifestations de « Gilets jaunes » : le peuple a toujours raison, mantra absurde tant de fois mis en pièces. De façon plus frivole, la séquence itérative du peuple-qui-a-toujoursraison continua donc tout le week-end avec les conclusions de la Convention citoyenne sur le climat. Non pas que toutes les préconisations présentées soient absurdes, loin de là, mais réunir tant de braves gens pendant plusieurs mois et les entourer d’experts prestigieux, pour in fine sortir un catalogue aussi convenu, voilà qui ne justifie en rien un flot de louanges non exemptes d’électoralisme. Comble de l’ironie, voilà que défilent devant les micros certains participants, qui tels des Monsieur Le Trouhadec saisi par la débauche, sont pris de délire messianique et nous enjoignent d’accepter leurs propositions sans plus d’inventaire. Nous sommes le peuple, c’est à prendre ou à laisser. Ivresse de la médiatisation, la couronne de l’arrogance se pose sur leurs têtes parfois chenues. Encore plus frivole, quoique… À peine étions-nous remis de ces extravagances que la Fête de la musique nous rendait les images d’une foule désinhibée faisant valser les plus élémentaires mesures de précaution. Les bacchanales étaient justifiées par le calvaire du confinement, l’absolue nécessité de décompresser après un cauchemar de l’enfermement, à croire que ces
pauvres minets avaient poussé des wagonnets au fond de la mine. En ce lundi matin, j’avais presque envie de casser ma télévision, puis je suis passée sur une chaîne musicale pour entendre Daniel Barenboïm jouer une sonate de Beethoven et j’ai pensé que l’homme pouvait, aussi, être capable du meilleur. Sans la musique, la vie ne serait qu’une erreur.
Mercredi
Je sais bien que je m’aventure hors de ma zone de confort tant le professeur Raoult compte de soutiens dans la région azuréenne. Je n’entrerai donc pas dans un débat scientifique qui n’a pas sa place dans ces colonnes. Lors de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, j’ai regardé, abasourdie, un savant reconnu, couvert d’honneurs et de subventions publiques, complètement envahi par un hybris dévastateur, entouré de parlementaires pantelants devant tant de violence et de mépris. Pour Didier Raoult, les médecins hospitaliers sont des ignorants qui laissent volontairement mourir leurs patients, les modélisateurs sont des fous, les savants de l’Institut Pasteur sont des blaireaux dans leur terrier, l’usage de la dexaméthasone est une couillonnade inventée pour les médias… Toute bienveillance, toute confraternité, toute élégance avait disparu. Pire, ceux qui ne sont pas d’accord avec lui ont été achetés par des laboratoires pharmaceutiques, la preuve dirimante en serait
apportée par le fait qu’un des membres du Conseil scientifique tutoyait le patron de Gilead, firme que monsieur Raoult décrit de fait comme l’auteur d’un complot mondial ourdi contre lui. La plus intéressante interpellation fut celle du député du Gard, Philippe Berta, par ailleurs savant généticien, qui lui posa calmement et poliment la seule question qui vaille : pourquoi n’avez-vous pas fait des essais cliniques dignes de ce nom ? Philippe Berta vit alors se déchaîner l’onde de choc d’un mépris incommensurable. Heureusement, sa question était la dernière, sinon continuer l’audition aurait tourné au carnage. À la sortie, les médias agglutinés attendaient le prétendu paria, mais il avait décidé de donner l’exclusivité pour le lendemain à la matinale de l’intervieweur le plus pugnace de l’audiovisuel, Jean-Jacques Bourdin. Et chacun de se demander si ce dernier allait maîtriser
() un homme qui ne pratique la politique de la main tendue que pour vous la coller en pleine figure !
Vendredi
Après la désastreuse affaire Cahuzac, François Hollande avait décidé l’instauration d’un Parquet national financier. Depuis son installation le er mars , ce PNF fait l’objet de soupçons récurrents d’instruire à charge un certain nombre d’affaires concernant des personnalités politiques, en particulier François Fillon. Entendue devant une commission d’enquête parlementaire, l’ancienne procureure du PNF a alimenté la machine à soupçons en indiquant avoir subi des injonctions incessantes d’information sur les procédures de la part de sa supérieure, la procureure générale de Paris, informations dont on sait qu’elles aboutissent dans l’heure sur le bureau du garde des Sceaux. Il n’en fallait pas plus pour alimenter les théories du complot politicojudiciaire. Il paraît toutefois curieux de reprocher à cette instance d’avoir accéléré les procédures. François Fillon étant candidat à l’élection présidentielle, il était au contraire indispensable d’aller vite. Non, ce n’est pas là qu’il faut chercher le dérèglement, mais bien plutôt que cette affaire soit allée devant le PNF, dont elle ne relevait absolument pas. On peut juger avec quelques raisons l’attitude de François Fillon au mieux légère, au pire peu reluisante, mais elle relevait d’une simple enquête menée par le bureau de l’Assemblée nationale. Quant au complot politique, il se heurte à une impossibilité majeure : il n’aurait pu être manigancé que par le pouvoir en place alors, c’est-à-dire Hollande. Or chacun sait que ce dernier haïssait Emmanuel Macron qu’il considérait comme un traître et un renégat. Pourquoi aurait-il monté une machination qui aurait servi un rival détesté ? La seule explication qui reste est celle de l’hostilité du juge d’instruction Serge Tournaire, celui qui mit François Fillon en examen. Était-il mû par une haine politique ou par une conception intransigeante de la justice ? L’une n’est pas exclusive de l’autre…
« Pour Didier Raoult, les médecins hospitaliers sont des ignorants qui laissent volontairement mourir leurs patients. »
1. Jeudi matin, le maître de l’interview s’est fait disperser façon puzzle par le Marseillais. Comme je m’y attendais, il lui était impossible de résister à tant d’agressivité sauf à sortir du cadre de la raison.