À Nice, scènes ordinaires d’une élection extraordinaire
Dans le bureau de vote, l’électeur masqué se penche pour émarger. L’assesseur lui propose un stylo : « Je l’ai désinfecté ». Refus poli de l’électeur : « Vous savez, on n’est jamais trop prudent… » Il rit, un peu gêné. Puis signe avec son propre stylo.
Scène ordinaire d’une élection extraordinaire, ce dimanche 28 juin à Nice. Municipales 2020, épisode II, plus de cent jours après le premier tour. Une éternité. Depuis le 15 mars, il y a eu le confinement, le pic épidémique, le déconfinement, la distanciation. Alors, hier, électeurs et assesseurs viennent boucler une séquence électorale historique. Malgré un taux d’abstention qui promet de l’être tout autant. À l’école maternelle Les Magnolias, boulevard Napoléon-III à Niceouest, chacun connaît désormais la chanson. « Gardez vos distances », rappelle un panneau à l’entrée. Jeunes ou retraités, quasi tous se présentent avec un masque. Sans quoi Léa, l’Atsem à l’entrée, leur en fournit un. Certains viennent en tongs, en béquilles… Ou coiffés d’un casque de vélo, à l’instar de Didier. Ce quinqua, qui travaille à l’imagerie dans les hôpitaux, s’attendait à « ce qu’il y ait plus de monde. À devoir faire la queue à cause de la distanciation. En fait, il n’y a personne. Ça m’inquiète, d’ailleurs. » Sous son masque, Didier s’esclaffe. Puis se rembrunit. Déçu que « les gens ne se sentent pas plus impliqués dans la vie politique de la région. Ils font la queue pour aller acheter un burger au McDo, mais pas pour aller voter… Ça me désole un peu. »
« On n’a pas envie d’être reconfinés deux mois ! »
Car voter est « important », martèle une trentenaire d’origine turque. Elle préfère rester discrète – elle est plutôt venue voter « contre » que « pour ». Elle ne s’était pas déplacée le 15 mars, « à cause de la Covid. Je ne le sentais pas. J’ai même hésité pour le second tour. » La voici rassurée. « C’est bien organisé : tout le monde porte un masque, ils proposent un stylo… » Danièle, une retraitée qui a « un peu plus de 70 ans », confirme : « Les conditions de protection sont très bien assurées. »
Un tour des locaux en atteste. Tout brille. Tout est pensé, balisé. « Toutes les heures, on nettoie les toilettes, les bureaux de vote… On a la chance de voir les gens nettoyer au fur et à mesure », salue l’agent d’entretien. Cette femme dégage la force de l’habitude, la sérénité du soldat sur le front sanitaire depuis la fin de l’hiver. Mais dans notre « monde d’après », l’obsession hygiénique est devenue le lot de chacun.
Bientôt midi. Au bureau 211 « Montréal », Farid, assesseur de 43 ans, se nettoie les mains pour la énième fois. « Il ne faut pas croire que le risque va disparaître parce que l’été est arrivé ! On le voit bien dans certains pays où il fait très chaud, et où il est plus virulent encore. » Tables, urne, isoloir : le désinfectant ne chôme pas, atteste Danielle, 67 ans, l’aînée du bureau. « On fait attention. On n’a pas envie d’être reconfinés encore deux mois ! »
« Aucune excuse »
À ses côtés, Pascaline, 37 ans, salue le civisme des électeurs. « Les gens sont très respectueux des gestes barrières… Ici, en tout cas. » Elle n’a pas digéré ces images de foule agglutinée lors de la Fête de la musique. « Certains ne sont pas conscients de la crise par laquelle on est passés… C’est dommage. »
Midi passé. Les taux de participation sont encore plus faibles qu’au premier tour. 13,13 % au bureau 208, « Joseph Giordan », à l’étage inférieur. Les trop rares électeurs sont « surtout des personnes âgées », observe la présidente, Anne-Marie. À cet instant précis surgit un jeune homme. Il s’est trompé de bureau. Côté équipement, la pénurie est un lointain souvenir : lingettes, gel, spray, masques, visières, purificateurs d’air, stylos… Laurence, assesseur, s’exclame : « Il n’y a aucune excuse pour ne pas venir voter ! »
« On a bien appris »
Paradoxe : cette fois-ci, « le virus circule peu. On était dans un contexte beaucoup plus anxiogène la dernière fois », relève Emmanuel Fouché, 35 ans, enseignant. Sa femme Alexandra, médecin de 36 ans, pense que « les gens ont plus envie d’aller à la plage que d’aller voter… » Eux y ont mis un point d’honneur. Ils craignent que l’abstention ne favorise certains extrêmes. Voter ? « Il fallait voter, et on a voté avec plaisir », sourit derrière son masque Paolo Bandini, 52 ans. Pour cet architecte génois, établi à Nice depuis cinq ans, il était temps. « C’était nécessaire pour décider le budget du prochain mandat. » Loin du «flou» du premier tour, sa femme Laura Bandini-Canepa, 58 ans, estime que « tout est bien en place. Désormais, nous savons quoi faire. On a bien appris ! » Faudra-t-il s’habituer à ces élections masquées ? À cette ambiance de triste carnaval citoyen ? Paolo Bandini soupire : « Voter masqué, vivre masqué, ce n’est pas facile. Dans six ans, j’espère qu’on sera revenu aux habitudes précédentes. Et si on parle de la présidentielle, en 2022… Franchement, j’espère que le virus nous aura quittés. »