Nice-Matin (Cannes)

L’argent sale transitait par l’Italie et la Côte d’Azur

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Si j’avais su que je risquais de la prison, je n’aurais jamais pris de tels risques. » Hier à Lyon, les convoyeurs de fortes sommes d’argent entre la France et l’Italie ont raconté comment l’appât du gain les a fait basculer dans l’illégalité.

Ce réseau de blanchimen­t et de transferts illégaux dont les ramificati­ons s’étendaient en France, en Algérie, en Italie et à Dubaï, aurait fait transiter illégaleme­nt plus de 70 millions d’euros, selon l’enquête qui s’est déroulée entre 2017 et 2018.

Des centaines de milliers d’euros convertis en bijoux

Ibrahim K., issu comme les 12 autres prévenus de la communauté kabyle, raconte à la barre comment «unamidela famille » l’a sollicité pour effectuer des voyages entre Lyon, Paris, l’Italie et le sud de la France à bord d’un véhicule chargé d’argent liquide, puis de bijoux, dans une cache située au niveau des ailes arrières.

Appelé à la dernière minute, cet homme de 31 ans devait rejoindre au plus vite un «saraf» (« changeur » ou « banquier ») de banlieue parisienne qui lui confiait des « paquets d’argent », estimés selon les voyages à entre 300 000 et plus d’un million d’euros, qu’il transporta­it jusqu’à la ville italienne d’Arezzo, en Toscane. Dans cette localité réputée pour ses orfèvrerie­s, le Lyonnais y rencontrai­t un individu répondant au surnom de « Moustache ». Ce dernier lui échangeait l’argent contre des bijoux qu’il devait remettre à d’autres contacts dans le sud de la France, à Antibes ou Marseille. Une grande partie des bijoux étaient ensuite expédiés en Algérie, évitant ainsi des transferts d’argent onéreux et risqués.

« Paquets de mozzarella »

Ibrahim K. raconte que les membres du réseau changeaien­t régulièrem­ent de téléphone portable sur injonction d’un «raïs» (« chef »), devaient voyager avec leurs épouses pour ne pas éveiller les soupçons, et utilisaien­t un langage codé pour désigner le nombre de paquets à transporte­r.

« On parlait de pointures, de tailles. “Taille 42” signifiait 42 paquets. Et pour les bijoux, on parlait de paquets de mozzarella » ,explique le prévenu.

« Je savais que c’était interdit, mais pas que je risquais la prison. Si j’avais su, je ne l’aurais jamais fait », raconte à son tour l’aîné Belkacem G., 60 ans, qui avoue avoir introduit son «neveu» Ibrahim dans le trafic.

Mais il peine à expliquer devant la présidente pourquoi il a continué à voyager «chargé» entre la France, l’Italie et parfois l’Algérie en ferry, alors qu’il avait écopé d’une forte amende et d’une peine de prison avec sursis pour des faits similaires en 2013. Au moment de son arrestatio­n en avril 2018, il se trouvait en possession de 700 000 euros en liquide. Ibrahim, lui, avoue. « C’est l’appât du gain, le fait d’avoir des ressources complément­aires » qui l’empêchaien­t d’arrêter, malgré un « car-jacking » aussi traumatisa­nt que mystérieux subi en mars 2018. À chaque voyage – au rythme de parfois trois par semaine – il empochait, selon ses dires, 2 000 euros. Et il a même engagé son père Abdelbasse­t, qui comparaît également, pour assurer des trajets lorsqu’il n’était pas disponible.

Issu du trafic de drogue ?

Au cours de l’enquête, les enquêteurs ont établi qu’au moins une partie de l’argent provenait du trafic de drogue. Ibrahim reconnaît tout juste que « certains remettants ne lui inspiraien­t pas confiance », alors que Belkacem préfère évoquer à la barre « l’argent de retraités, de commerçant­s qui travaillen­t en espèces ».

Les 13 membres du réseau – dont trois femmes – sont poursuivis pour de nombreux chefs, dont celui de « participat­ion à associatio­n de malfaiteur­s en vue de la préparatio­n d’un délit puni de 10 ans d’emprisonne­ment ».

Le grand absent du procès est le cerveau présumé du réseau, Mohamed C. – le « raïs », désigné par tous comme le donneur d’ordres. Malgré un mandat d’arrêt internatio­nal, il n’a pu être interpellé. Selon les prévenus, il résiderait à Dubaï.

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