La semaine de Roselyne Bachelot
Lundi
Dans un paysage démocratique fracturé, dévasté par les affaissements idéologiques, miné par des conflits de personnes peu ragoûtants, agressé au quotidien par les réseaux sociaux, les maires apparaissaient comme protégés de la vindicte, parés de toutes les vertus de la proximité et quasiment sanctifiés dans leur rôle de distributeurs de masques. Las, les élections municipales viennent de leur asséner un coup terrible, celui de l’indifférence, plus grave finalement que celui de la détestation. Certes, les raisons qui ont amené électeurs sur à bouder les bureaux de vote sont connues, le contexte pandémique, la tenue du scrutin sur la première vague de départ des juillettistes, l’abolition de l’effet d’entraînement d’un premier tour trop éloigné et d’une campagne électorale quasiimpossible. Mais au-delà, on sent bien que la fatigue citoyenne est plus existentielle que simplement conjoncturelle. Elle s’est aussi traduite par un émiettement des votes qui ne sera pas sans poser une vraie question de légitimité. Nombre de maires ont été élus de façon minoritaire au bénéfice de triangulaires ou de quadrangulaires ce qui est particulièrement le fait des nouveaux édiles écologistes. Un exemple parmi tant d’autres : Jeanne Barseghian, la nouvelle maire EELV de Strasbourg est élue au bénéfice d’une triangulaire avec moins de % des électeurs inscrits et % des votants, dans un contexte de , % d’abstention. Pire, grâce à la prime majoritaire inique dont son équipe va bénéficier, celle-ci va empocher sièges sur au conseil municipal, réduisant ses opposants à la portion congrue ! Il est plus que temps de se pencher sur les deux anomalies démocratiques qui altèrent profondément les élections municipales. D’une part cette prime majoritaire dont le niveau extravagant est devenu inacceptable, d’autre part le maintien du système PLM dans les trois principales villes de France. La magouille menée en son temps par Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, pour garder la mairie de Marseille, avait établi un scrutin par arrondissement permettant de sordides manoeuvres lors de l’élection du maire par le nouveau conseil municipal. Malgré certains complots,
Madame Rubirola n’ayant pas été privée de sa victoire, sans coup férir, la couronne de la carabistouille devrait revenir à Paris. Pour s’acquérir les voix des écologistes en fusionnant les listes PS/EELV au second tour, Anne Hidalgo leur avait promis une mairie d’arrondissement. Son premier adjoint, élu avec % des voix dans le XIIe arrondissement, a donc été prié de dégager la piste au profit d’un écolo inconnu piteusement éconduit par les électeurs au premier tour avec moins de % des inscrits. Les électeurs de ce quartier de
Paris vont en rester… médusés !
Jeudi
On a l’habitude de dire que chez les médecins la confraternité est une haine vigilante… Comment faudrait-il qualifier la détestation qui sourdait de toutes les déclarations de la procureure générale Catherine Champrenaut devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’indépendance de la justice ? Après le témoignage troublant de l’ex-procureure du parquet financier, Eliane Houlette, relatant les pressions incessantes et les demandes d’information émanant de Madame Champrenault lors de l’affaire Fillon, fallait-il y voir des « jalousies de bonnes femmes » comme l’avançait
avec beaucoup d’élégance un ténor du barreau, ou, plus sérieusement, des dysfonctionnements d’autant plus pervers qu’ils touchent des personnes au coeur du réacteur de la démocratie ? En tout cas, « je fais confiance en la justice de mon pays » est une assertion culte que les politiques feraient bien d’abandonner quand ils sortent des prétoires. Petit conseil de lecture, lisez donc le portrait de François Fillon par le journaliste Tugdual Denis « La vérité sur le mystère Fillon » (Ed. Plon). Le premier abord vous paraîtra peut-être hagiographique puis l’on comprend les mécanismes psychologiques qui font qu’un homme tombe dans un gouffre impensable. Fascinant.
Vendredi
Les commentateurs qui ont vu dans le nouveau premier ministre une sorte de Mister Nobody, simple ensemblier des décisions du président de la République risquent d’en être pour leurs frais. Le poste de premier ministre dans son acception française est d’une profonde originalité. En Europe, l’exécutif est détenu en général par un homme ou une femme directement issu du scrutin législatif et ne procédant que de cette légitimité parlementaire.
Nous avons choisi en ce que le doyen Georges Vedel appelait un
« bicéphalisme administratif » et Maurice Duverger – autre pape du droit public – un régime « semi-présidentiel ». Nombreux sont ceux qui voudraient occire cette exception française. Ils pourraient le regretter. Le choix est simple. Soit nous revenons à un régime parlementaire et nous devrons renoncer à élire le président de la République au suffrage universel, et l’on voit mal les Français renoncer à cette prérogative, soit nous allons vers un régime présidentiel à l’américaine en supprimant le poste de premier ministre et nous ne ferions que renforcer un pouvoir présidentiel jugé par certains trop étendu. Préservons donc ce particularisme institutionnel au lieu de tirer des plans sur la comète en imaginant qu’un premier ministre n’a le choix qu’entre l’asservissement ou la confrontation. La loyauté qui fonde un pacte de gouvernance n’est pas un agenouillement. Jean Castex est un homme d’honneur, un serviteur de l’Etat. On pourra le combattre, il sera difficile de ne pas l’apprécier.
P.-S. Au fait, il ne semblait pas trop chagrin de quitter l’Hôtel de Matignon. Pour tout dire, Edouard Philippe semblait même au bord de la jubilation, ce qui tranchait avec ce flegme british qui le caractérise habituellement. A croire que ceux qui décrivent le lieu imaginé par l’architecte Jean Courtonne comme une gare où un train déraille tous les quarts d’heure exagèrent à peine.
« Pour tout dire, Edouard Philippe semblait même au bord de la jubilation, ce qui tranchait avec ce flegme british qui le caractérise habituellement. »