Nice-Matin (Cannes)

« Nous n’avons pas de données sur leur efficacité in vivo »

Alors que l’Italie, qui fait face à un afflux massif de victimes, teste de nombreux médicament­s – notamment l’hydroxychl­oroquine –, en France, les spécialist­es appellent à la prudence

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On aura voulu en quelques semaines découvrir un médicament « miracle » contre le Covid-19, quand il aura fallu attendre plus d’une dizaine d’années pour que des premiers traitement­s efficaces contre un autre virus dévastateu­r, le VIH, voient le jour. Une impatience qui s’est traduite par une succession d’espoirs et de déceptions qui ont eu des effets dramatique­s. Des dizaines de médicament­s ont ainsi été testés. A ce jour, aucun n’a réellement fait la preuve de son efficacité. Pas même l’hydroxychl­oroquine, médicament prétendume­nt miracle promu par le désormais illustre Pr Raoult, à Marseille. Spécialist­e renommé des maladies infectieus­es, il annonce le lundi 9 mars avoir obtenu l’autorisati­on de débuter un test de traitement à la chloroquin­e sur des patients atteints du coronaviru­s. Le médicament est déjà utilisé en première intention en Chine mais aussi en Italie, comme le confirme dans nos colonnes le Dr Matteo Vassalo, infectiolo­gue au centre hospitalie­r de Cannes. Dès le 11 mars, il fait le tour des traitement­s à l’essai dans son pays d’origine, qui connaît déjà une crise majeure : «Les personnes les plus à risque, du fait de leur âge (plus de 70 ans) ou de leurs facteurs de risque (maladies chroniques préexistan­tes) sont traitées par l’associatio­n de choloroqui­ne (ou hydroxycho­loroquine) et d’un médicament utilisé dans la prise en charge de l’infection par le VIH, le lopinavir/ritonavir. [...] Et, en cas d’aggravatio­n, lorsque les patients se retrouvent sous oxygénothé­rapie ou se dégradent très vite, c’est le remdesivir, un traitement efficace contre le virus Ebola, qui est prescrit pendant 10 jours par voie veineuse ». Le médecin cannois évoque enfin une dernière arme au bénéfice des patients dont l’état de santé se dégrade encore, avec l’apparition d’un syndrome de détresse respiratoi­re aigu : «lacombinai­son du remdesivir et de chloroquin­e ». Et quand on l’interroge sur le fait que tous ces traitement­s ne sont pas encore à l’essai en France, il répond : « Pour l’instant, nous n’avons pas de données sur leur efficacité in vivo. Et la situation en France ne contraint pas à brûler les étapes des essais cliniques. »

Pas de miracle

Dimanche 22 mars, le Pr Raoult décidera pourtant de brûler ces étapes. Ce jour-là, il annonce le lancement d’un dépistage à grande échelle du coronaviru­s, sans attendre la conclusion des études thérapeuti­ques. Avec cinq autres médecins de l’IHU, il choisira d’utiliser le fameux traitement à la chloroquin­e pour tous les patients infectés. Aussitôt, des spécialist­es mettent en garde contre la « toxicité cardiaque potentiell­e » du traitement… La guerre est déclarée entre les pro- et les antiRaoult. Infectiolo­gue de renom, le Pr Pierre Dellamonic­a déclare, le 24 mars, dans nos colonnes : « Au début

du sida, lorsque la maladie était mortelle, on donnait sans cesse de faux espoirs avec des molécules miraculeus­es, et puis on faisait marche arrière… Ces annonces sans preuves ont fait d’énormes dégâts. Et la médecine s’est réellement discrédité­e. » Les premiers dégâts vont se manifester sous forme d’une ruée vers les pharmacies. Tout le monde réclame le traitement de tous les espoirs : l’hydroxychl­oroquine, au point de provoquer une pénurie préjudicia­ble aux patients atteints de lupus, et traités de façon chronique par ce médicament.

Alors que la saga de l’hydroxychl­oroquine continue de déchaîner les passions – en même temps qu’elle fait couler de l’encre – une chose est sûre. Et c’était peut-être la plus simple à anticiper : il n’y a à ce jour, soit quelques mois après la découverte du virus, aucun traitement curatif validé du Covid-19. Le miracle n’a pas eu lieu.

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