Huit semaines durant lesquelles le temps était suspendu
Toute la population cloîtrée du 17 mars au 11 mai : une situation sans aucun précédent dans l’histoire
Du jour au lendemain, le pays s’est arrêté – ou presque. Chacun est resté cloîtré chez lui. Une situation absolument inédite. Lorsque, le 23 janvier, les habitants de Wuhan, d’où est partie l’épidémie, ont été assignés à résidence, jamais en France nous n’aurions pu imaginer que moins de deux mois plus tard, nous connaîtrions le même sort. Deux mois, c’est aussi le temps qu’aura duré le confinement total dans notre pays. Rappelons-nous : le 16 mars, Emmanuel Macron nous annonçait « seulement » deux semaines. Nous resterons confinés quatre fois plus longtemps. Il n’en fallait pas moins pour contenir la flambée de l’épidémie. Et c’est la moitié du globe qui s’est mise au diapason. Pour mémoire, le 11 mars, l’OMS qualifie la situation de pandémie. Et l’Europe en est l’épicentre. Trois jours plus tôt, le 8 mars, les régions les plus durement touchées de l’Italie sont placées en quarantaine par le président du Conseil, Giuseppe Conte ; une mesure aussitôt étendue à l’ensemble du territoire transalpin. Le 12 mars, Emmanuel Macron, dans une allocution télévisée, annonce la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et universités à compter du lundi suivant et ce « jusqu’à nouvel ordre » (Nice-Matin du 13 mars). Le samedi 14 mars, ordre est donné par l’exécutif de baisser les rideaux « des lieux recevant du public, non indispensables à la vie du pays ». « Des mesures prises après consultation du Conseil scientifique, composé de dix experts, et alors que le pays passe officiellement au stade 3 de l’épidémie », complète le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon. Les Français sont appelés à des « sacrifices » età «plusde discipline » (Nice-Matin du 15 mars). Lorsque la semaine suivante démarre, c’est un peu le système D. Parents et élèves ont eu à peine quelques jours pour s’organiser. Le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, a prévu des mesures pour faciliter l’enseignement à distance (Nice-Matin du 13 mars). Mais ce n’est pas une partie de plaisir et les critiques ne tardent pas à fuser. « Jeudi dernier, Jean-Michel Blanquer annonçait que les écoles ne fermeraient pas, et puis c’est tout le contraire qui s’est passé. En dehors du Cned (Centre national de l’enseignement à distance, Ndlr), rien n’a été envisagé », s’emporte Kevin Rio, professeur des écoles à l’école Daniel-Pennac de La Colle-surLoup et membre du SNUipp-FSU 06 dans notre édition du 17 mars. Et le site du Cned cafouille, victime d’une « surcharge de connexions, puisqu’en 24 heures, la formule “Ma classe à la maison” va enregistrer 220 000 inscriptions supplémentaires. »
Pénurie et angoisse
Toujours le 16 mars, Emmanuel Macron reprend la parole au JT de 20 heures et durcit le ton. Pendant le week-end, de nombreuses images de groupes de personnes pique-niquant dans les parcs et se rassemblant sans aucune distanciation physique ont montré que visiblement, tout le monde n’a pas pris conscience de la gravité de la situation. En conséquence, le chef de l’État annonce l’instauration d’un confinement total à partir du lendemain – mardi 17 mars – à midi et ce « pour quinze jours au moins » (Nice-Matin du 20 mars) . On ne pourra sortir que pour une raison valable (achat de produits de première nécessité, rendezvous médical, etc.) et muni de son attestation dérogatoire de déplacement dûment remplie. Affolée, la population se rend massivement dans les supermarchés pour faire des réserves. D’aucuns ont violemment critiqué cette ruée sur le papier toilette et les pâtes, signe évident d’un début de panique. La grande distribution va essayer de tempérer les inquiétudes. Ainsi, le 27 mars, la direction de Carrefour explique dans nos colonnes qu’« il n’y a pas de problème : on a un mois
de stock pour tout, même si certains produits apparaissent manquants momentanément. La pénurie vient du stress des clients, le réassort a lieu tous les jours, nous sommes livrés tout à fait normalement. » Interrogés quelques semaines plus tard, des psys « excusent » les mouvements de panique. « Le contexte est particulièrement stressant. On parle d’épidémie, de morts, de guerre… Faire des réserves de pâtes n’a donc rien d’irrationnel, au contraire », analyse le psychanalyste Saverio Tomasella (NiceMatin du 19 avril).
La moitié de l’humanité confinée
Entre mars et avril, de nombreux pays ferment tour à tour leurs frontières et prennent des mesures similaires. Le monde entier est comme suspendu : la moitié de l’humanité est confinée. L’activité économique marque le pas, la nature reprend ses droits dans les centres-villes désertés. À Nice, on n’hésite pas à utiliser des drones pour surveiller les lieux publics : l’initiative revient à la préfecture des Alpes-Maritimes qui a, pour cette expérimentation, réquisitionné la société niçoise Drone 06. L’appareil survole les grands axes en diffusant deux messages préenregistrés : « Les déplacements sont interdits sauf dérogation » ; « Respectez les distances de sécurité, s’il vous plaît. » Le mégaphone volant va faire sensation, provoquant même une forme de sidération chez les passants (NiceMatin du 20 mars).
Appel au comportement citoyen
Le Premier ministre reprend la parole le 27 mars pour dire que le confinement durera 15 jours de plus. Nice-Matin titre explicitement le lendemain « Ça va être long ». Et comment ! Déjà la rumeur enfle : on évoque un déconfinement pour mai. Une éternité… Un peu partout, les lieux de balade, les plages sont interdits d’accès. Pourtant, même après deux semaines de confinement, cela reste difficile à faire accepter par tous. « Les gens doivent comprendre qu’ils ne peuvent sortir que pour un motif légitime et raisonnable », assène le commissaire Aurélien Froger, adjoint à la Sûreté départementale lors d’une vaste opération de contrôle (Nice-Matin du 5 avril).
Le 6 avril, le préfet des Alpes-Maritimes Bernard Gonzalez, le procureur de la République de Nice Xavier Bonhomme, et le maire de Nice Christian Estrosi vont unir leurs voix à distance, en vidéo, pour appeler « au comportement citoyen de chacun ». Annoncer plus de sévérité. Et donner corps au scénario d’un usage des masques généralisé, voire obligatoire. L’édile niçois va prendre une série d’arrêtés, dont certains seront contestés, afin de renforcer le confinement. Parmi ceux-ci, l’instauration d’un couvre-feu à 20 heures dans certains quartiers. Il entend aussi « limiter la pratique du sport en extérieur de 6 h à 12 h et de 18 h à 20 h » (Nice-Matin du 7 avril).
Le 13 avril, l’annonce tombe : le confinement va perdurer sous cette forme jusqu’au 11 mai, date à laquelle commerces, écoles, etc., rouvriront progressivement. Un mois de plus de cette routine qui s’est mise en place. Chaque soir à 20 heures, la population sort applaudir à sa fenêtre les soignants dont le dévouement aura été unanimement reconnu – ils obtiendront quelques semaines plus tard une prime qui divisera, plutôt qu’elle n’apaisera leurs attentes légitimes d’une revalorisation.
Çà et là, des voisins font connaissance, une forme d’entraide s’instaure. Les jeunes vont faire les commissions des plus vieux. Les réunions de travail, les dîners de famille se font désormais en visioconférence. L’habitude est prise.
Mais cette quarantaine a aussi des conséquences dramatiques : les violences intra-familiales augmentent, des gens perdent beaucoup de revenus, de plus en plus de personnes vont chercher de l’aide pour se nourrir auprès des associations… Une chose est sûre, cette période a été une épreuve pour tous. Certains s’en sont mieux sortis que d’autres. Mais saurons-nous en tirer des conséquences positives sur le long terme ? Pas sûr.