Nice-Matin (Cannes)

Devenu « djihadiste » Roger, amant du terroriste : « Il a jubilé devant un spectacle de dévastatio­n »

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Il était le seul ami de Mohamed Bouhlel. Il a surtout été son amant…

Dans son coquet appartemen­t du quartier Magnan à Nice, Roger Battesti raconte avoir d’abord été « paralysé par la stupeur » ,au matin du 15 juillet 2016, avant de laisser éclater «sarage» contre son ami. « Pendant plus de six ans, nous nous sommes vus tous les week-ends, et parfois un soir ou deux par semaine ! »

Roger a attendu quatre ans avant de livrer l’histoire de sa relation avec le terroriste du 14 juillet : « Avant de devenir amis, si proches, si respectueu­x l’un de l’autre, nous avions très longtemps été amants », confesse-t-il.

Par crainte que cette relation si intime puisse l’impliquer injustemen­t dans les horreurs perpétrées par Mohamed Bouhlel, il avait préféré la taire.

À 78 ans, ce retraité qui longtemps tint un sauna à Pigalle, fait vingt ans de moins que son âge. Stupéfiant­e silhouette qu’il doit à la pratique quotidienn­e du sport, mais surtout à la fontaine de jouvence d’un patrimoine génétique manifestem­ent hors norme.

Leur rencontre ? Une salle de sport à Nice. Printemps 2010. Roger se « prend la tête » avec un Italien pour une histoire d’alternance à un poste de musculatio­n. « Je capte alors le regard cruel que lance vers nous un mec d’une grande beauté. Je ne suis pas tranquille. Dans les vestiaires, l’athlète au regard cruel m’apostrophe d’une petite voix douce à la Marlon Brando dans Le Parrain. On reparle de l’incident en riant. On va prendre un verre… »

« Il haïssait les Arabes »

Roger le drague un peu. Bouhlel, lui, se raconte très vite. Il a 25 ans. Il ne cache rien de ses pulsions sexuelles et de son attirance boulimique pour les femmes. Il parle de son mariage qui va mal. «Ilme confie s’être marié pour avoir des papiers en France et surtout couper les ponts avec l’éducation très à la dure, souvent ponctuée de véritables passages à tabac par son père », assure-t-il.

Et bien que Tunisien, Bouhlel confesse à Roger « haïr les Arabes » et tous les interdits qu’au nom de l’islam on voudrait lui imposer. «Il ramènera chez lui un gros saucisson que je lui avais offert juste pour mettre sa famille en fureur. On allait très souvent au Café de Lyon .Sila seule table libre était à côté de celle de Maghrébins, il fallait absolument qu’on change de place. En tant que pied-noir, je trouvais ça drôle. »

« Cher ami »

La relation s’installe. Un café par ci. Une invitation chez Roger par là. Ce dernier aime faire la fête au champagne avec un groupe d’amis que Bouhlel intègre très vite. « Plutôt que de m’appeler par mon prénom, il me donne du “cher ami”. Jusqu’au bout, ce sera un jeu entre nous. »

Son occupation exclusive, Roger la mesure vite : c’est la drague : «Il me dit qu’il branche les femmes dans la rue. Tout le temps. Toujours très direct. Je tente de lui expliquer que ce n’est pas le moyen le plus élégant, ni le plus sûr pour séduire quelqu’un de bien. Il me confirme que ça ne marche que très rarement. Qu’il se fait le plus souvent éconduire fermement, mais que parfois… »

Sa seule passion, avec le karaté « pour sculpter son corps », c’est la danse. La salsa. Il aime aller en soirée. « Il s’y fait passer pour un juif et se fait appeler Isaac. »

Un amant soumis

Roger s’est fait une raison : ses tentatives de séduction restent vaines. En quelques semaines, l’amitié est là. Bouhlel est un solitaire. Il passe son temps à se promener. Il sollicite très souvent Roger (plus de 1 500 appels téléphoniq­ues l’année précédant l’attentat), lui présente son épouse, ses trois enfants.

Et puis à la fin de l’été 2010, contre toute attente, Bouhlel fait le premier pas. Il se plaint de démangeais­ons sur le sexe : «Tu peux me dire si c’est grave ? » L’amitié se transforme en liaison dont le tueur du 14 juillet exige qu’elle soit scénarisée : « Il voulait toujours avoir le rôle d’une femme. Son fantasme préféré : le rôle de la clocharde qu’un gentil bourgeois sort de la rue… »

Roger l’initie au nudisme sur les plages de Pampelonne dans le golfe de Saint-Tropez. Le retraité devient son mentor.

« Quand il bat son épouse, je le traîne chez lui à Nice-Nord. Hajer, sa femme, ignore tout de notre liaison, mais j’exige qu’il lui fasse devant moi des excuses. Il a une tendance naturelle à la soumission et il fera toujours ce que je conseille. » L’islam radical dans tout cela ? Roger, comme beaucoup d’autres, n’en voit aucune trace : «Il me parlait bien de son oncle qui vit à Nice et qui tenait des discours proDaesh [l’enquête ne permettra pas de le confirmer, Ndlr] mais c’est tout. »

Fêtes et soirées à gogo

Les fêtes et les soirées se succèdent chez Roger. Bouhlel est toujours partant. Beaucoup de champagne. Il est même la coqueluche du petit groupe d’amis du retraité. Mais début 2016, peu après l’agression d’un automobili­ste dont il se rend coupable, Bouhlel se referme. Janvier 2016. «Ilestde plus en plus effacé, préoccupé. Il est désormais séparé. Il redoute sa comparutio­n en correction­nelle [il sera condamné à six mois de prison avec sursis en mars 2016, Ndlr]. »

Quand Bouhlel lui demande des conseils sur la location d’un camion pour « un Arabe du boulot qui doit déménager », Roger lui fait la leçon : « Je lui interdis d’avancer l’argent pour cette personne qu’il me dit connaître finalement assez peu. »

Trois jours avant l’attentat, Bouhlel est d’une des fêtes – barbecue au champagne – que Roger aime à donner sur sa terrasse. Mais le retraité se souvient qu’il n’est plus que l’ombre de luimême.

« On finit par s’habituer »

Quelques mois plus tôt, dans le petit studio que Bouhlel avait dû louer au 62, route de Turin après sa séparation, Roger suggère une petite pendaison de crémaillèr­e : « Je lui avais fait la surprise de meubler son petit appartemen­t. » La soirée se passe jusqu’à ce que le futur terroriste propose à son mentor de visionner sur son PC des vidéos : « Sur la première, un individu, manifestem­ent de Daesh, égorgeait à la queue leu leu huit prisonnier­s. C’était insoutenab­le. La seconde, c’était l’empalement d’un prisonnier. Je n’avais pas eu la force de la regarder jusqu’au bout. ‘‘Comment peux-tu regarder des horreurs pareilles ?’’, lui avais-je demandé sous le choc. Comme pour s’excuser, il m’avait répondu : “On finit par s’habituer.” » Maintenant qu’il y pense, cet aveu renvoie Roger à un épisode des premiers temps de leur amitié. Cela lui avait semblé alors anecdotiqu­e. Plus maintenant.

10 mai 2010. Ils sont ensemble sur la Prom’ alors qu’un coup de mer colossal emporte tout sur son passage : « Au péril de leur vie, cherchant à sauver leur matériel, les plagistes s’exposaient aux rafales de galets que la mer déchaînée soulevait. Il avait fallu que je hausse le ton pour qu’il cesse enfin de jubiler et de pousser des cris de joie devant ce spectacle de dévastatio­n. »

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(Photo d’archives Sébastien Botella) Ce  juillet , Bouhlel a semé la mort sur la promenade des Anglais.
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Roger a pris cette photo du terroriste trois jours avant l’attentat. (Photo DR)

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