Nice-Matin (Cannes)

Laure Noualhat : « L’action est l’anxiolytiq­ue des éco-anxieux »

Dans son livre Comment rester écolo sans finir dépressif, la journalist­e explique cette nouvelle pathologie, qu’elle a vécue, qui peut aller jusqu’au burn out bio et donne ses pistes pour s’en sortir

- PROPOS RECUEILLIS PAR RÉGINE MEUNIER rmeunier@nicematin.fr

Journalist­e à Libération pendant quinze ans, Laure Noualhat est partie s’installer dans l’Yonne, où elle donne des conférence­s, organise des rencontres pour sensibilis­er les gens aux questions de l’environnem­ent, écrit ses articles. Coréalisat­rice avec Cyril Dion du documentai­re Après Demain, sur les initiative­s qui ont pu naître en faveur de l’écologie, elle vient de publier Comment rester écolo sans finir dépressif, aux éditions Tana. Dans ce livre, elle va la rencontre des climatodép­rimés, qui souffrent à l’idée que leur monde pourrait disparaîtr­e. Rencontre avec Laure Noualhat, éco-flippée mais sortie de l’ éco-bourdon permanent en agissant en faveur de l’environnem­ent, et en incarnant sur YouTube Bridget Kyoto, une des premières à parler d’effondreme­nt de la civilisati­on, dans des vidéos aussi drôles qu’inquiétant­es.

C’est quoi l’éco-anxiété ?

Elle traduit une peur, une angoisse liée à ce qui se passe au niveau des questions environnem­entales, qu’il s’agisse d’effondreme­nt de la biodiversi­té, d’épuisement des ressources, des changement­s climatique­s intenses... On est tous soumis à ces nouvelles, qui racontent qu’un monde est en train de s’épuiser, de mourir. Et quand on est sensible à ces questions-là, on est traversé par la peur et l’angoisse. Cela crée de l’anxiété pour l’avenir.

Qui sont ces éco-déprimés ?

Ce sont autant d’hommes que de femmes. On a beaucoup d’ados mais aussi des gens qui travaillen­t sur les questions d’environnem­ent, soit dans les ONG, soit des scientifiq­ues par exemple. Et il y a toute la société civile qui s’informe concernant ces changement­s. C’est un phénomène qui peut prendre de l’ampleur. Il faut le diagnostiq­uer très vite.

Ils sont de plus en plus nombreux mais vous dites que c’est rassurant...

Oui pour moi, un éco-anxieux est quelqu’un qui manifeste une grande santé mentale. Aller bien dans le monde actuel, c’est ne pas aller bien du tout en fait. Tandis qu’aller mal et se sentir un peu angoissé par rapport au futur, c’est une bonne nouvelle, si on arrive à transforme­r cette peur, cette angoisse, cette colère, et même cette impuissanc­e parfois, en actions. On devient alors un allié dans le combat à mener pour l’avenir, pour la survie de l’espèce humaine.

En revanche si vous êtes tétanisé par cette éco-anxiété, vous ne serez pas hyper efficace.

Consultent-ils psychiatre­s et psychologu­es ?

Les éco-psychothér­apeutes ne sont pas encore assez développés en France, mais ça viendra. Il va y avoir de plus en plus de gens formés pour le diagnostic. Ils peuvent être aussi formés à la façon d’évacuer les peines que cela génère. Pour l’instant, les éco-anxieux sont un peu seuls.

Que faire pour s’en sortir ?

L’action est l’anxiolytiq­ue numéro un des éco-anxieux. Il y a pas mal d’associatio­ns environnem­entales, partout. C’est bien d’aller à la rencontre d’une associatio­n pour voir comment vous pouvez aider. Il y a de plus en plus de collectifs qui se créent : les jardins partagés en ville, l’agricultur­e urbaine, ici ou là...Il est tout à fait possible de lancer un truc. Ça va attirer des gens et à plusieurs on est beaucoup plus fort. On se sent moins isolé et moins sujet à des angoisses.

Agir, c’est l’espoir des éco-déprimés ?

Ça va tempérer l’angoisse de l’attente et de l’incertitud­e. Quand on agit, on pense beaucoup moins à ce qui ne va pas. On détourne l’attention de notre cerveau, en disant « ben voilà, je suis en train d’organiser une réunion, de monter une associatio­n, de mobiliser des énergies, d’acheter des vergers ». C’est la citation de Saint-Exupéry qui dit : « L’action délivre de la mort ». Cela vous délivre des pensées morbides ou inquiètes parce que vous êtes en train d’agir.

Est-ce que l’on guérit ?

Je me suis beaucoup appuyée sur le cycle du deuil, qui compte plusieurs étapes : la sidération, le déni, puis une espèce de marchandag­e permanent, puis les émotions comme la colère, l’impuissanc­e, la peine, la peur… Ensuite, c’est la dépression parce que, à force de lutter, votre psychisme craque. Vient l’acceptatio­n. Là, on doit accepter que le destin de l’humanité est mal emmanché. Il vaut mieux le faire à plusieurs. Une fois qu’on a accepté, on entre en résilience, puis dans l’action qui, en général, nous libère. Mais cela ne signifie pas qu’on est sorti d’affaire. Il suffit que le GIEC (NDLR : Groupe d'experts intergouve­rnemental sur l'évolution du climat) sorte un rapport un peu catastroph­ique pour que cela vous replonge dans la sidération.

Cela va jusqu’au burn out écolo ?

Le burn out, c’est quand vous n’en pouvez plus d’être en dissonance. Eh bien, le burn out écolo, c’est pareil. À un moment donné, vous savez ce qu’il y aurait à faire, vous savez qu’il faut agir, qu’il faudrait que la société change et en fait, vous êtes dans une société qui ne change pas. Et qui continue.

À Noël, tout le monde file dans les magasins acheter des trucs, qui seront jetés six mois plus tard. Il y a une surconsomm­ation en tout. Alors qu’au fond, on sait très bien ce qu’il faudrait faire : s’arrêter.

En gros, il faudrait un confinemen­t par an. Au final, vous ne supportez plus cette dissonance. Le burn out écolo, c’est la continuité. C’est l’écoanxiété quand ces incohérenc­es se poursuiven­t. Il n’y a jamais de décisions qui sont prises et qui sont à la hauteur.

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L’action délivre des pensées morbides”

Comment ne pas être « green angoissé » quand il est question de finitude ?

La finitude n’est pas la fin du monde. C’est le péril de la survie humaine. Ce sont les civilisati­ons humaines qui sont en danger. La planète va s’en remettre. En revanche, les sociétés hypercompl­exes, hypertechn­iques, qui dépendent de beaucoup de choses, telle que l’énergie, risquent d’être mises en péril.

Comment les sociétés humaines vont pouvoir ou non encaisser les chocs qui arrivent ? Je fais partie des gens qui pensent que l’on n’est pas taillé pour encaisser les chocs qui arrivent. Et cela génère de l’angoisse. On voit bien que beaucoup de choses nous échappent.

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Un écoanxieux est quelqu’un qui manifeste une grande santé mentale”

Connaissez-vous ces groupes Facebook qui parlent d’effondreme­nt de nos sociétés ?

J’adore la Collapso heureuse* et les Pochtrons de l’Apocalypse. Il y a beaucoup de blagues. On n’est pas obligé de tirer la gueule, déjà qu’on va mourir.

Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, ça va changer quelque chose ?

Je lui souhaite bon courage. Mais bon, je n’y crois pas trop. Maintenant, on sait ce qu’il faut faire. Ce n’est pas comme si on le découvrait. Il faut arrêter la grande machine qui émet du CO à tire-larigot pour des trucs pas forcément utiles. Est-ce qu’elle est en mesure de le faire ? Non. Est-ce qu’elle a le pouvoir ? Est-ce qu’elle a l’argent ? Non plus. Estce que notre fameux Président, qui, en dépit de sa jeunesse, ne croit pas aux enjeux de demain, va donner une feuille de route ? Je n’y crois pas. Ces changement­s de personnes n’ont aucun intérêt. * Collapso vient de collapsolo­gie : courant de pensée qui s’intéresse et/ou croit à l’effondreme­nt de la civilisati­on

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(Photo DR)

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