Nice-Matin (Cannes)

Lutte libre

Positif à la trimétazid­ine en septembre dernier et suspendu quatre ans, le Niçois s’exprime pour la première fois. Il n’aurait pas voulu améliorer ses performanc­es

- Textes : Christophe­r Roux Photos : Eric Ottino

Pendant sept mois, il a fui micros, dictaphone­s et caméras. Meurtri, Zelimkhan Khadjiev était incapable de raconter sa chute. Arrivé de sa Tchétchéni­e natale à  ans, le Niçois rêvait d’or olympique et de gloire. Il entendait redonner à la France, sa terre d’accueil, tout ce qu’elle lui avait donné. Son contrôle antidopage positif aux Mondiaux  a gâché la belle histoire. Suspendu  ans, l’athlète âgé de  ans a perdu son billet pour les Jeux, sa première médaille mondial Seniors (le bronze) et sa vie de sportif de haut niveau. Une sanction qu’il va contester devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne. Il y a quelques jours, il a rompu le silence place Garibaldi. Assis à une terrasse de café, à deux pas d’un Vieux-Nice qui l’a vu grandir, il a livré sa version des faits. S’il a été naïf, il réfute être « un tricheur » après la prise de Vastarel dont le principe actif (la trimétazid­ine) est dopant. Il aurait été mal conseillé.

Zelimkhan, pourquoi parlez-vous aujourd’hui ?

Je n’allais pas rester bloqué et me cacher toute ma vie. A un moment, je me dois d’avancer.

Vos proches vous disent profondéme­nt marqué par cette histoire. Comment allez-vous ?

Ça va un peu mieux depuis quelques jours, mais je reste abattu. Quoi dire d’autre…

De temps en temps, je fais un peu de musculatio­n, du jiu-jitsu ou du MMA, mais j’ai perdu le goût de la lutte. Quand l’affaire est sortie, je ne mangeais plus et j’ai perdu du poids. J’avais honte de regarder les gens. J’étais en dépression. On aurait dit un zombie. Le jour où l’info est sortie dans les journaux, je n’arrivais plus à dormir. Mon coeur battait à bloc. J’ai cru que j’allais faire une crise cardiaque. J’ai haï le sport. Je n’arrive toujours pas à en voir à la télé. Ce qui m’est arrivé, je ne le souhaite même pas à mon pire ennemi. entraîneur que je considérai­s comme un ami (un ex-chargé de mission auprès de la Fédération française de lutte, NDLR). C’est un ancien athlète de haut niveau (qui a participé aux Jeux Olympiques).

Je perds beaucoup de poids dans l’optique des compétitio­ns et j’ai souvent mal aux jambes. J’ai parlé de ce sujet avec d’autres lutteurs et il s’est mêlé à la conversati­on en me disant qu’il prenait du Vastarel durant sa carrière, que ça lui enlevait les douleurs aux jambes.

Convaincu, vous en achetez peu avant les Mondiaux…

Oui, dans une pharmacie à côté de l’INSEP (l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performanc­e, où il s’entraînait à Paris).

Le pharmacien me connaissai­t et je lui ai dit qu’il me fallait du Vastarel. J’ai demandé si c’était autorisé pour les sportifs. Il a regardé sur son ordinateur et m’a dit qu’il n’y avait pas de danger (le pharmacien aurait consulté le dictionnai­re Vidal sans trouver de contre-indication pour les sportifs). J’ai compris plus tard qu’il n’aurait pas dû me le vendre sans ordonnance. Pour comprendre ce que c’était, mon entraîneur a essayé de s’en procurer mais on lui a dit que c’était impossible sans prescripti­on par un cardiologu­e.

Vous lisez ensuite la notice du Vastarel et consultez le site de l’Agence mondiale antidopage (AMA) sur lequel figure la liste des produits interdits…

Oui, et je ne trouve rien. Que ce soit sur la notice ou sur le site de l’AMA. J’étais vraiment confiant, je pensais que c’était comme du Doliprane. Les agents de la lutte antidopage viennent nous voir pour nous sensibilis­er sur le sujet, nous faire des speechs pour qu’on vérifie les produits. C’est ce que j’ai fait, mais l’AMA ne recense pas le Vastarel mais la trimétazid­ine (son principe actif).

Et là, le contrôle est positif...

Quand j’ai su, j’ai cru que j’étais dans un rêve. Je ne comprenais rien, j’avais mal à la tête.

Vous n’avez pas saisi, tout de suite, que le Vastarel en était la cause ?

(Direct) Non, je n’ai jamais imaginé que ça venait de là. J’ai plutôt pensé à des gouttes administré­es par le docteur de l’équipe de France avant mon combat pour le bronze. Un collègue lutteur m’avait mis un doigt dans l’oeil pendant l’échauffeme­nt.

On m’avait dit que le produit était dangereux et que je pouvais être pris pour dopage.

Auriez-vous dû être plus vigilant ?

Le seul mec envers qui je peux avoir la rage, c’est le pharmacien.

Il n’a pas fait son boulot. Je n’arrive pas à m’en vouloir. Franchemen­t, j’ai tout fait pour que ça n’arrive pas. Je ne comprends pas. Si ma mère me donne des médicament­s en cas d’angine ou de fièvre, je regarde toujours la notice. Je ne prends jamais de protéines ou des brûleurs de graisse pour faciliter un régime. C’est le destin… Plus vigilant ? Ouais… La seule chose que je regrette, c’est d’avoir cru celui qui m’a conseillé, qu’il ne pouvait pas dire des conneries. J’ai appris qu’il ne fallait faire confiance à personne.

Le  juillet, vous êtes suspendu quatre ans...

Quand le verdict est tombé, j’ai été encore plus abattu. On m’avait dit que je risquais de prendre  ans, mais je ne voulais pas y croire. J’avais continué à m’entraîner mais j’ai arrêté ensuite. A quoi bon souffrir pour rien… Des mecs ont pris six mois ou ont échappé aux sanctions pour des stéroïdes. On me met dans le même sac que ces tricheurs, ceux qui ont sciemment pris des trucs. Le  juillet, le juge (Adam Klevinas) n’a même pas voulu écouter ce que j’avais à dire.

C’est-à-dire ?

J’ai expliqué ce qu’il s’était passé (lors d’une audience en visioconfé­rence). Si tu m’écoutes un peu, tu comprends que je n’ai jamais voulu tricher. Je n’ai pas commencé l’entraîneme­nt hier. La lutte, ça fait  ans que j’en fais. Le dopage, je m’en éloigne le plus possible. Je déteste ceux qui trichent et aujourd’hui je me retrouve dans ce genre d’histoires. On m’a sali. C’est injuste.

En l’état, vous manqueriez les Jeux de Tokyo puis de Paris en …

Avoir une médaille olympique, c’est un rêve que j’ai depuis l’enfance. On me le retire, comme ça… J’ai peur pour la suite de ma carrière. Si j’avais triché, j’aurais compris. J’aurais joué, j’aurais perdu. On aurait pu dire que ma conscience était apaisée. Ce n’est pas le cas.

Chronologi­e des faits

✓  septembre  : e des Mondiaux à Noursoulta­n (Kazakhstan, - kg), Zelimkhan Khadjiev subit un contrôle antidopage.

✓  décembre  : World Wrestling, la Fédération internatio­nale, avertit la Fédération française de lutte du contrôle positif à la trimétazid­ine du Niçois. L’affaire est médiatisée une semaine plus tard.

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Quand l’affaire est sortie, j’étais en dépression. On aurait dit un zombie”

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Je déteste ceux qui trichent”

✓  février  : World Wrestling annonce qu’elle lui retire sa médaille de bronze et sa place aux Jeux. Elle est réattribué­e au Polonais Kamil Rybicki.

✓ juin  : l’Internatio­nal Testing Agency (ITA) instruit l’affaire et propose à World Wrestling de suspendre Khadjiev pour  ans. La Fédération internatio­nale propose la sanction au lutteur qui la refuse.

✓  juillet  : le Niçois est à nouveau condamné à  ans de suspension par la chambre disciplina­ire de World Wrestling et son juge unique (Adam Klevinas). Il fait appelle devant le Tribunal arbitral du sport (TAS).

✓ août-septembre  : le TAS devrait rendre son jugement.

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