Nice-Matin (Cannes)

Gautier Capuçon Hexagonale­ment vôtre

Loin des salles prestigieu­ses où il se produit habituelle­ment, le violoncell­iste arpente les villes et villages, dont Nice et Brignoles, avec sa tournée Un vrai retour aux sources.

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Mercredi en fin d’aprèsmidi, on l’a rejoint dans le hall de l’hôtel Aston. Sa femme, Delphine, et ses deux filles, Sissi et Fée, n’étaient pas très loin. Comme un air de vacances pour Gautier Capuçon, décontract­é en jean, polo blanc et solaires à écailles. À la veille de son concert gratuit sur la Coulée verte niçoise, avec Jérôme Ducros au piano, le violoncell­iste semblait bien loin de son quotidien habituel, rythmé par les vols internatio­naux à répétition et les escales dans les plus belles salles de la planète.

Au fil des annulation­s dues au coronaviru­s, celui qui se décrit comme « plutôt actif » aurait pu perdre pied. Pendant le confinemen­t, il avait trouvé la parade. «Je sentais l’angoisse monter dans ce flou total. J’ai pris le violoncell­e et j’ai posté ma première vidéo sur Instagram. La musique est un refuge pour moi. Et cela a été un vrai partage, avec des retours des gens très forts. »

Une fois autorisé à remettre le nez dehors, le Savoyard a voulu voir du pays. Gautier Capuçon avait lancé un appel aux communes de France. Contre un cachet qu’il estimait modeste (2 800 euros pour les communes de moins de 3 000 habitants jusqu’à 9 800 euros pour celles de plus de 60 000 personnes). De quoi provoquer la gronde d’autres « confrères » moins célèbres et rarement rémunérés autant. Gautier Capuçon ne souhaite plus aborder le sujet. Il y a répondu à sa manière, en renonçant à ses rémunérati­ons et en finançant lui-même les frais de sa tournée.

Expérience humaine

Trêve de mots, place aux notes. Et au partage. Le 30 juin dernier, l’artiste a démarré sa tournée à Lonsle-Saunier. Aussois, Chouvigny, Veuil, Soisson, Saint-Omer, Mirecourt, Vougeot et Tonnerre ont suivi. Avant Nice donc, et Brignoles, ce samedi 1er août, pour une date gratuite sur la place SaintPierr­e affichant déjà complet. Un « retour aux sources » bienvenu. « En ce moment, je vis une expérience musicale, évidemment, mais surtout une expérience humaine extraordin­aire. Face à moi, il y a toujours plus de la moitié du public qui n’a jamais assisté à un concert classique. »

Une belle opportunit­é de séduire un nouveau public, mais aussi une « vraie responsabi­lité », selon Gautier Capuçon. « Quand on se produit devant des mélomanes, il ne faut évidemment pas les décevoir. Parce que ces gens viennent avec une attente. C’est un challenge, mais on est face à des gens qui ont les clés de lecture. Quand vous venez pour la première fois à un concert classique, vous n’avez pas ces clés. Et si vous n’aimez pas, vous ne reviendrez pas. On entend souvent dire que l’image de la musique classique est élitiste. C’est à nous d’aller vers les gens. Quand je vois des gamins écouter trois suites de Bach pendant une heure et demie sans bouger, je trouve ça magique. »

Plaisir partagé

Afin de séduire de nouvelles paires d’oreilles, Gautier Capuçon et Jérôme Ducros (« un merveilleu­x compositeu­r et arrangeur, mon plus vieux complice, avec lequel je joue depuis que j’ai quinze ans » ) déroulent un programme mixte. Des mouvements de Brahms, Chostakovi­tch et Rachmanino­v pour commencer. Puis des pièces jouées pendant le confinemen­t sur Instagram. La Méditation de Thaïs ,de Massenet, ou bien des transcript­ions d’opéras de Dvorák, comme Roussalka, du Puccini, Carmen... « Tout simplement des oeuvres qu’on aime jouer. On se fait plaisir et on essaye de faire plaisir », résume le frère cadet du violoniste Renaud Capuçon.

Pour lui, cette saison estivale présente d’autres atouts. Déchargé d’une partie de la pression précédant une grande représenta­tion, le musicien âgé de 38 ans, qui a souvent évoqué son « fantasme » consistant à réduire sensibleme­nt son nombre de concerts à l’année, savoure le fait de pouvoir « reprendre le temps de jouir du moment présent, de faire des rencontres. Finalement, on se rend compte que tout va peut-être trop vite dans notre société. »

Transmissi­on

À Nice et à Brignoles, comme sur d’autres dates de sa tournée, le virtuose a pris part aux actions d’Orchestre à l’école, une associatio­n qui fait un boulot de dingue avec les enfants. « Des luthiers et des musiciens profession­nels les encadrent, on leur fournit un instrument pendant trois ans. Les jeunes jouent ensemble, ils apprennent la rigueur et la concentrat­ion, mais aussi à ne pas se moquer des erreurs des autres. »

De son côté, Gautier Capuçon aime aussi partager son savoir avec la nouvelle génération, que ce soit avec la classe d’excellence chapeautée par la Fondation Louis Vuitton ou des master class en ligne. « Je suis très conscient de ce que mes professeur­s, mes maîtres, m’ont apporté. J’ai envie, à mon tour, de donner à d’autres. Mais là encore, c’est un échange. Il y a du factuel. On apprend à lire les notes. Il y a un rythme, une croche, une noire... Même s’il n’y a pas de recette miracle, on parle d’autres choses : comment gérer ses émotions, comprendre ses doutes, appréhende­r la scène, etc. »

Émotions

Après avoir bouclé son tour de France, Gautier Capuçon pourra passer à un autre chapitre. Le 6 novembre prochain, il présentera son nouvel album, Émotions, chez Warner Classic. Avec Jérôme Ducros, Adrien Perruchon, la maîtrise Notre-Dame-de-Paris et l’orchestre de chambre de Paris, il y jouera « à la fois des oeuvres classiques qui ne sont pas écrites pour un violoncell­e, comme les Variations Enigma, d’Elgar, ou l’Adagio d’Albinoni. Et puis quelques oeuvres qui ne sont pas classiques comme Hallelujah de Leonard Cohen. Il y aura aussi L’Hymne à l’amour ,de Piaf, qui a également beaucoup compté pour moi pendant le confinemen­t. C’était un message pour les soignants et tous les autres corps de métiers qui nous ont permis de vivre pendant cette période. » De quoi faire tiquer les plus conservate­urs ? « Quoi qu’on fasse, on aura toujours des remarques. Pourquoi n’aurait-on pas le droit d’interpréte­r une belle musique ? »

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La musique est un refuge pour moi”

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Tout va peut-être trop vite dans notre société”

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