Nice-Matin (Cannes)

Par Sarah Barukh

Plumes célèbres ou auteurs prometteur­s, leurs écrits nous ont manqué ces derniers mois. Pendant tout l’été, chaque semaine, nous vous donnerons à voir de leur prose sous la forme d’une nouvelle. Créée spécialeme­nt pour notre journal, elle est illustrée pa

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Dimanche 3 mai, 17 heures. Le taxi s’arrête. Je monte dans l’ascenseur, les étages défilent. Ma mère se tient sur le pas de la porte. Elle a dû me guetter depuis le balcon.

– Tu as fait bon voyage, chérie ? Je me contente de la serrer dans mes bras. Ses cheveux dégagent une odeur diffuse de ragoût et de patchouli. Toutes ces rides sur ses joues...

Je ne m’y ferai jamais. Soixante et onze ans ! Ma mère, qui rayonnait en bikini sur la plage en été, dévalait les pistes des Alpes en hiver. Ses doigts se tordent, elle a perdu quelques centimètre­s. Ma maman est une petite vieille.

– Allez viens, j’ai fait ton lit. Avec des draps propres !

Je la suis. Nous longeons le couloir. Le mur est couvert de photos. Les naissances, les vacances, les Noëls... Soudain mon coeur se serre. Elle a remplacé le portrait de Sam et moi à notre mariage par l’affiche d’un arbre dans le désert du Néguev. - Je ne voulais pas que tu sois triste en vous voyant tous les deux, se justifie-t-elle.

Elle a sûrement choisi ce symbole pour m’encourager à rebondir, à me battre encore et toujours, pour m’élever malgré l’aridité de l’existence. Pourtant

je n’y vois qu’un arbre, seul, au milieu d’une terre brûlée. J’ai toujours eu l’esprit mal tourné !

– En plus, j’adore cette photo, ajoute-t-elle pleine d’entrain. Elle est très célèbre tu sais, c’est un grand journalist­e qui l’a prise !

–Qui?

– Je sais plus, c’est écrit derrière.

Trois lettres en bois sur la porte de ma chambre. L.E.A. Offertes par je ne sais plus qui à ma naissance. Les angles se sont arrondis, les couleurs ont terni. Un peu comme moi. Léa… Je me suis toujours demandé pourquoi on m’avait appelée comme ça. Ma mère m’avait donné plusieurs explicatio­ns. « Ça sonnait bien. » « C’est pour tati Léa, tu ne l’as pas connue. » À force d’insister j’ai découvert que cette « tati » ne s’était jamais mariée et qu’elle était morte à cinquante-sept ans dans d’atroces souffrance­s. Mais ça ne me suffisait pas à comprendre pourquoi je n’aimais pas ce prénom. J’ai creusé jusqu’aux origines. Dans la Bible, Léa est la malheureus­e, la mal-aimée, celle que l’on épouse par dépit, en guerre perpétuell­e contre sa soeur… Est-ce que tout n’était pas déjà écrit ? Ma chambre d’ado n’a pas été épargnée par le passage au troisième âge de mes parents. Un vélo d’appartemen­t trône au milieu, de petites altères sont entassées dans les coins, et mon père a remplacé mon ancien bureau par sa cave à vin. Mais il paraît qu’il a « dégoté des putains de bouteilles », alors...

- Tout va s’arranger, tu verras. Je hoche la tête. Non, ça ne s’arrangera pas. Je vais m’habituer, c’est tout.

- Je te laisse t’installer.

- Merci maman.

Je pose mon sac aux pieds du lit une place sur lequel dort Initiaux, ma peluche qui n’a plus grand-chose d’un chat. En face, mes DVD débordent de l’étagère. Love Story, Dirty Dancing et toutes les romances qui ont bercé mes nuits de collégienn­e, me laissant croire que seul l’amour valait la peine, quitte à en mourir... Alors que j’ai aujourd’hui la preuve que rien ne comble plus qu’un bon plat de pâtes. Des piles de livres, de CD, mélange douteux d’Ace of Base et Flaubert. Il y a toujours ma couverture assortie à la chaise et aux rideaux qui cachent la cité d’en face, source d’histoires inépuisabl­es. Combien d’heures ai-je passé à observer ces centaines de fenêtres. Petites, carrées, empilées sur ces façades ternes. Derrière, combien de femmes abandonnée­s, d’enfants, de fêtes, de coups, de portes ouvertes, de mafé, de musiques, de « nique la police », de mariages et d’espoirs déçus ? 19 heures. Des rires me parviennen­t de la cuisine. Mes parents sont en train de manger devant la télé. Ils se moquent de la tenue d’une candidate à un jeu avant de reprendre en choeur le refrain d’un tube de Téléphone, leur fromage à la main.

– Vous vouliez pas qu’on dîne ensemble ?

– Mais y’a Nagui ! En plus là Benjamin joue gros... – Benjamin ?

–- Oui ça fait trois semaines qu’il est champion !

Ma soeur m’avait prévenue. Ils ne loupent jamais cette émission. Je reçois une notificati­on Instagram. En ouvrant, je découvre une vidéo où un type s’étale dans le métro, un bouquet de fleurs à la main. Au-dessous Jérémy a écrit : « Je crois que je t’ai encore loupée ! » Je réponds : « De toute façon, je n’aime pas trop les

Dans la Bible,

Léa est la malheureus­e

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