Nice-Matin (Cannes)

Claude, cannoise, a senti le souffle de la mort

- JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD jfroubaud@nicematin.fr

« Je suis une miraculée. Juste une petite entaille sur les lèvres, mais en vie. » Claude Lagier était pourtant aux toutes premières loges. À moins de trois cents mètres de l’épicentre de cette colossale explosion. Après la mort de son mari, cette Cannoise de 73 ans s’est installée au Liban. Son fils venait d’y épouser une Libanaise. « Quand Léonie, ma petitefill­e, est née, j’ai quitté la Côte d’Azur pour être grand-mère à plein temps. » C’est au Convinium VI, un bel immeuble du quartier de Gemmayzé qu’elle s’est installée il y a sept ans. Appartemen­t avec vue mer. Grande terrasse au 11e étage qui surplombe le port de Beyrouth. Une vie tranquille. Et hier l’horreur absolue... «On avait eu la révolution sous nos fenêtres, mais là ce qui s’est passé est indescript­ible. »

L’apocalypse sous sa fenêtre

Claude pourtant n’aurait pas dû être là. L’été, comme beaucoup de Beyrouthin­s, la communauté française – 24 000 ressortiss­ants – a l’habitude de partir au frais à la montagne, quand elle ne prend pas ses congés en France. Claude, elle, avait choisi de passer l’été à la campagne avec ses enfants. Et le destin a failli lui jouer un mauvais tour. Avant-hier matin, en effet, elle se rend compte qu’elle a oublié certaines affaires de sa petitefill­e à Beyrouth. Elle décide de faire l’aller-retour. « J’arrive à Gemmayzé en milieu d’après-midi. Il est autour de 17 heures. Je suis sur le point de repartir quand survient la première explosion. » La déflagrati­on est lourde. « Je pense d’abord à un attentat. Le siège du Parlement est à quelques rues... mais en sortant sur la terrasse, je vois bien que ce n’est pas ça. Que ça vient de tout près. Quasiment sous mes fenêtres. À moins de 300 mètres. Sur le port. »

Claude se réfugie à l’intérieur. Dans le salon, elle s’assied sur une des lourdes chaises en métal de la salle à manger. Elle ne pense pas un instant à une possible réplique. Elle cherche juste à joindre son fils... et le second blast survient. « Là, c’est colossal. Monstrueux. Le souffle surtout ! Heureuseme­nt, les sièges sont tellement lourds qu’on arrive à s’y cramponner lorsque le souffle traverse l’immeuble. Mais autour de nous, tout vole en éclat. Les baies vitrées totalement pulvérisée­s. Les meubles qui valdinguen­t dans tous les sens. Même la porte blindée est arrachée...» Dans le silence assourdiss­ant qui suit, Claude est stupéfaite. Ce souffle de mort ne lui a laissé qu’une petite entaille à la lèvre. « Je suis vivante ! » L’appartemen­t, en revanche, est un champ de ruines.

« Trois de mes voisins sont morts...»

Impossible, d’ailleurs, de quitter l’immeuble. L’électricit­é, déjà très aléatoire en temps normal, a sauté. Au 11e étage, l’ascenseur est en rideau. La cage d’escalier est obstruée par des gravats, des blocs de béton et d’improbable­s herses constituée­s par les rampes tordues sous l’impact de l’explosion. « La nuit tombe. On n’entend plus que le bruit des sirènes partout. C’est à ce moment-là que je me rends compte que mon chat est mort... Une porte arrachée par le souffle de l’explosion l’a littéralem­ent coupé en deux...»

Ce n’est que deux heures plus tard qu’elle mesurera l’étendue de la catastroph­e. Des voisins l’ont appelée au secours. Dans l’immeuble qui fait face au sien, encore plus proche de l’épicentre, ils sont bloqués au 12e étage. Les escaliers, ici, se sont totalement effondrés. Alors qu’avec l’aide de son fils qu’elle est finalement parvenue à joindre, elle descend les onze étages dans le noir le plus complet, avançant à tâtons dans les décombres. Enfin libérée, Claude apprend que trois de ses voisins sont morts.

Le soir, enfin en sécurité loin de Beyrouth, elle ne pourra, d’ailleurs, s’empêcher de penser à une phrase que sa belle-fille, libanaise, aime à répéter « Elle dit toujours qu’avec leurs “sept plaies”, les Égyptiens sont de sacrés veinards... Je crains, hélas, qu’elle ait raison. La crise et le Covid avaient déjà mis le Liban à plat. Ce matin, ce si beau pays est à terre. »

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 ??  ?? Claude Lagier avec sa petitefill­e. (DR)
Claude Lagier avec sa petitefill­e. (DR)

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