« La région entretient des liens forts avec le Liban »
Franco-Libanais, Bernard El Ghoul a dirigé Sciences Po Menton de 2005 à 2019. Depuis, il a pris les rênes de la Maison du Liban à Paris. Il décrypte sa relation privilégiée avec la région Sud
Quel est votre ressenti à la vue de ces images terrifiantes ?
Mon sentiment, à km de là, c’est évidemment la sidération, la tristesse. Cette catastrophe touche un pays déjà considérablement meurtri. Ce que je retiens de ces dernières heures, c’est quand même l’élan de solidarité nationale et internationale. Dans des circonstances aussi tragiques, le Liban peut compter sur des pays amis, au premier rang desquels la France. Le déplacement du Président Macron demain [aujourd’hui] est révélateur de ce lien très privilégié qui, malgré toutes ces difficultés, continue d’unir la France et le Liban. En tant que Franco-Libanais, j’y suis particulièrement sensible.
Comment qualifieriez-vous la relation entre ces deux pays ?
Il y a deux choses très fortes. D’une part, la France protectrice des chrétiens d’Orient. Elle est intervenue à plusieurs reprises pour protéger les populations chrétiennes dans leur lutte face à d’autres. D’autre part, le mandat français et les relations toutes particulières qui en sont nées. La séparation entre la France et le Liban ne s’est pas faite dans la douleur et la guerre, comme cela a pu être le cas avec d’autres territoires qui ont été français.
La Côte d’Azur compte une vaste communauté libanaise. Quels liens historiques nous unissent ?
Le Liban fonctionne avec une diaspora plus nombreuse à l’extérieur qu’à l’intérieur. La ville de Marseille a, ainsi, été un port de transit pour les Libanais qui cherchaient à émigrer vers les Amériques ou l’Afrique, fin XIXedébut XXe. Il y a eu un consulat à Marseille dès les années . Il y a des liens politiques, économiques et socio-culturels très forts.
D’où pro viennent-ils ?
Ils sont de différentes natures. Après son départ du Liban, le général Aoun a été en exil à Marseille. Il y a vécu et y a développé un certain nombre de relations. Aujourd’hui, la région Sud entretient des liens forts avec le Liban. J’ai d’ailleurs participé à la délégation qu’y a conduite Renaud Muselier il y a plus d’un an. Christian Estrosi, en tant que président du réseau des villes Euromed, a aussi organisé des conférences avec des élus libanais. Et les présidents de la République successifs ont tous montré un intérêt fort pour le Liban. La relation de Jacques Chirac avec feu Rafic Hariri en a été le symbole.
En quoi cette communauté constitue-t-elle une richesse ?
Il y a des liens économiques forts : des hommes d’affaires tels qu’Iskandar Safa, avec le domaine Barbossi à Mandelieu, mais aussi Rodolphe Saadé qui dirige la CMA-CGM à Marseille, un acteur économique mondial de premier plan. Par ailleurs, on voit une vraie diversité dans cette diaspora : médecins, chauffeurs de taxis, avocats, garagistes... Cette communauté partage un vrai amour du Liban et de la France. Et elle se retrouve dans leurs liens.
Autour de quelles valeurs ?
L’ouverture d’esprit. La tolérance. La liberté d’expression. Dans une région très marquée par les obscurantismes, le Liban, avec tous ses défauts, reste un exemple de trait d’union entre l’Orient et l’Occident. Avec toutes ses limites, le modèle libanais reste à chérir, en termes de coexistence religieuse et de communautés.
Comment organiser la solidarité envers le Liban ?
Le pays vit une crise économique et financière depuis plusieurs mois. La diaspora libanaise s’est largement mobilisée pour aider les familles sur place. Je sais que cet effort va redoubler. Beaucoup d’ONG se mobilisent en faveur du Liban. Il faut que les compatriotes libanais, et les amis du Liban – au premier rang desquels les Français – se mobilisent. Enfin, l’action gouvernementale est à saluer.
Comment se relever ?
Les Libanais ont toujours fait preuve de beaucoup de résilience. Ils ont été le terrain de la guerre des autres, ont traversé quinze ans de guerre civile. L’épreuve d’aujourd’hui est d’une ampleur encore nouvelle et inconnue. L’urgence est à l’aide aux victimes et à leurs familles. Une fois ces besoins essentiels couverts, il faudra rouvrir le douloureux chapitre de la situation économique et financière.