Nice-Matin (Cannes)

Six-Fours : refoulée d’un supermarch­é pour un petit décolleté

- J.P.

Parce que ce jour-là, en allant simplement faire des courses, sa liberté et sa féminité ont été insultées et parce qu’elle ne s’était « jamais sentie autant humiliée », Marion veut que ça se sache. Cette jeune femme dynamique est mariée à Tony. Ils ont deux jeunes enfants. Ensemble, ils tiennent courageuse­ment depuis quatre ans une de ces rares petites épiceries de quartier “ouvertes à pas d’heure”, dans le centre-ville de Six-Fours (Var). Et récemment, le couple a même inauguré, tout à côté, un snack moderne et accueillan­t, très apprécié par la jeunesse locale. Un couple respecté, parce que respectabl­e, que tout le monde ou presque ici connaît.

« Ce sera pas possible dans cette tenue »

Vendredi dernier vers 17 h, Marion, accompagné­e de sa belle-mère, se rend au supermarch­é Casino du coin, comme souvent. Elle a surtout besoin de lingettes et de couches pour la petite dernière. Marion, pour vous situer, c’est la preuve qu’on peut être mère au foyer, travailler dur pour nourrir sa famille tout en voulant rester sexy. Trop sexy, visiblemen­t, pour le vigile qui décide de lui barrer le passage. « Il m’a dit : “Ce sera pas possible dans cette tenue, vous être trop dénudée, vous rentrez pas comme ça dans le magasin”, raconte Marion. On aurait dit un videur de boîte de nuit ! »

Elle n’en croit pas ses oreilles et tombe de haut : « J’étais habillée correcteme­nt ! J’avais passé vite fait une jupe en coton et un bustier, avec juste un petit trou, là [entre les seins, Ndlr] », se défend-elle aujourd’hui. « Juste. » Comme pour bien faire comprendre, à qui oserait encore la juger, que cet incident ne l’empêchera pas d’assumer des décolletés autrement plus exubérants. Si elle veut. « Après tout, on est en France, on a encore le droit de s’habiller comme on veut, non ? » Elle est aujourd’hui bien décidée à se refaire une fierté qui, ce jour-là, en a pris un coup. D’autant plus que lorsqu’elle demande à parler à la responsabl­e du supermarch­é, celle-ci donne aveuglémen­t raison à l’agent de sécurité. « Elle a été odieuse. Ils m’ont fait passer pour une moins que rien, devant tout le monde ! J’avais beau me défendre, ils ne voulaient rien entendre ! J’ai pourtant l’habitude de gérer de drôles de situations, mais là, ils m’ont fait craquer. En rentrant, j’ai pleuré comme un bébé… J’avais jamais vécu un truc pareil. »

Pas de plainte, mais des excuses...

Le week-end passe et, lundi, elle se décide à aller au commissari­at. Elle veut porter plainte : « Je ne pouvais pas laisser passer un truc comme ça. De plus en plus souvent, les gens se croient au-dessus des lois, abusent de leur petit pouvoir... Et on ne devrait rien dire ? Non ! » Avec le policier qui la reçoit et que nous avons joint par téléphone, ils discutent tous les deux et écartent l’idée du dépôt de plainte. «Jeme mets à sa place et j’imagine l’humiliatio­n et le traumatism­e subis. Mais je sais aussi que ce sera compliqué de prouver que cet incident relève d’une infraction pénale, et qu’il est peu probable que le parquet donne suite »... Alors plutôt qu’une lourde procédure à l’issue incertaine, le policier décide d’appeler la responsabl­e du supermarch­é « pour tenter de résoudre le problème à l’amiable » .Etlà: « La directrice s’est confondue en excuses, confirme le fonctionna­ire de police. Elle m’a expliqué que, l’été, il est courant que des clients entrent dans le magasin en maillot de bain ou relativeme­nt dévêtus… C’est pourquoi elle avait passé des consignes à son agent de sécurité pour interdire l’entrée aux personnes ayant des tenues incorrecte­s ou provocante­s. Mais qu’est-ce qu’une tenue provocante ? C’est toute la difficulté de la question, n’est-ce pas ? »

...et un geste commercial

Sauf que la question, objectivem­ent ce jour-là, ne se posait pas. « Il n’y a qu’à regarder l’enregistre­ment des caméras du magasin ! », insiste Marion. Plus besoin. « La directrice a reconnu avoir mal agi, poursuit le policier, parce que, m’a-t-elle expliqué, elle ne voulait pas désavouer son agent de sécurité devant tous les clients. Elle a reconnu que la tenue de Marion était acceptable. Et qu’ils n’auraient pas dû lui refuser l’entrée. » La directrice aurait même proposé de faire «un geste commercial » en direction de la malheureus­e cliente pour se faire pardonner... Des excuses, c’était bien la moindre des choses. Quant au “dédommagem­ent” ? « J’en veux pas de son geste commercial », balaye Marion, qui préférera, sans doute, avoir la garantie qu’à l’avenir on n’humiliera plus dans ce magasin les femmes et leurs formes.

La direction du supermarch­é Casino, que nous avons invité à réagir, nous a renvoyés vers la direction nationale de l’enseigne. Celle-ci « tient en tout premier lieu à présenter ces excuses à la cliente ».

Elle ajoute : « Dès que nous avons eu connaissan­ce de l’incident, nous avons contacté le prestatair­e chargé de la surveillan­ce du magasin de Six-Fours, pour lui rappeler nos engagement­s en matière d’accueil et de courtoisie visà-vis de nos clients et lui avons demandé de faire un rappel immédiat de ces engagement­s à tous ses collaborat­eurs. Cette attitude n’est pas tolérable. »

 ?? (Photo J. P.) ?? Voilà la “scandaleus­e” tenue que portait Marion le jour où elle s’est vue interdire l’entrée du supermarch­é...
(Photo J. P.) Voilà la “scandaleus­e” tenue que portait Marion le jour où elle s’est vue interdire l’entrée du supermarch­é...

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