Nice-Matin (Cannes)

Par Laure Manel

Plumes célèbres ou auteurs prometteur­s, leurs écrits nous ont manqué. Pendant tout l’été, chaque semaine, nous vous donnerons à voir de leur prose sous la forme d’une nouvelle. Créée spécialeme­nt pour notre journal, elle est illustrée par Sylvie T., dessi

-

Le bateau l’avait déposée de bonne heure, avec les autres passagers matinaux. On lui avait tellement rabâché : « C’est une île superbe »,« la Corse en miniature »,« un paradis sur terre » qu’elle avait fini par se laisser tenter. Une virée de deux jours qu’elle avait pu caser dans ses vacances. Quand elle avait vu des photos, sur Internet, elle avait eu l’impression fugace mais prégnante d’être déjà venue. Ce que lui avait confirmé Alex, son frère : plus jeunes, ils y avaient passé une journée avec leurs parents. À l’époque, elle ne devait pas avoir plus de six ans. De quoi avoir oublié les lieux, les couleurs, les odeurs. que le bateau approchait du port. Elle avait posé le pied sur le quai avec la ferme intention de découvrir l’île entière. Armée d’une carte, elle s’était donné pour mission d’arpenter la moitié ouest le premier jour. En fin d’après-midi, alors que les touristes commençaie­nt à se raréfier, elle avait fait halte sur la plage d’Argent. Sa serviette posée, elle avait retiré sa robe et couru vers la mer turquoise. Toute la journée, elle avait rêvé de ce moment divin. Toute la journée, toutes les nuances de bleu qui s’étaient offertes à ses regards n’avaient été que tentations, promesses de plaisir.

Elle plongea dans cette eau avec la même gourmandis­e que le gastronome déguste un macaron d’exception. L’eau était délicieuse. Après quelques brasses, elle avait fait l’étoile de mer, flottant ainsi, le regard vers le ciel, recevant sur son visage le soleil encore brûlant.

De retour sur la plage, elle s’était allongée sur sa serviette en laissant à la brise légère le soin de la sécher. Quel bonheur, en cet instant, de sentir sur sa peau la caresse douce de l’astre qui se penchait doucement vers l’ouest. Elle avait jeté son dévolu sur un restaurant de fruits de mer et s’était installée en terrasse, partagée entre la dégustatio­n de sa bouillabai­sse et l’observatio­n des passants. L’île s’était vidée des touristes venus pour la journée. Restaient les bienheureu­x qui s’apprêtaien­t à y passer la nuit et pouvaient profiter du décor en savourant le calme revenu. Comme elle. Dans la tiédeur d’un soir d’été.

Une étrange sérénité s’empara d’elle. Elle poussa intérieure­ment un soupir d’aise. Le poisson était parfaiteme­nt cuit, la soupe et la rouille particuliè­rement réussies. Mais ce n’était pas tout. Ces vacances solitaires – ses premières – lui faisaient, étonnammen­t, un bien fou. Elle avait passé quelques jours du côté d’Aubagne, à marcher au pays de Pagnol et s’était replongée dans La gloire de mon père. Elle allait rentrer avec l’envie de relire ses romans comme ses pièces de théâtre, et de revoir ses films (Marius, Fanny, César…). Toute son enfance. Elle n’avait aucune envie de remonter à Paris. Pensa en frissonnan­t à son retour inévitable. Listait déjà toutes les tâches qui l’attendaien­t au bureau. Elle secoua la tête comme pour mieux chasser ces idées pénibles. C’est alors qu’elle le vit.

Habillé en serveur, il prenait la commande de clients, sur la terrasse du restaurant voisin. Son coeur manqua un battement. Sa respiratio­n se bloqua. Une vague de chaleur monta à ses joues. Était-ce vraiment lui ? Sa carrure, son profil, sa gestuelle, tout l’indiquait, mais tant d’années avaient passé… Elle devait le voir de face pour en être sûre. Il fallait qu’elle puisse voir ses yeux, renouer avec son regard, effacer ses

Porqueroll­es s’était laissée embrasser du regard

Une étrange sérénité s’empara d’elle

Newspapers in French

Newspapers from France