Nice-Matin (Cannes)

Avoir un accent : un avantage ?

Un sondage de l’Ifop laisse entendre que beaucoup de Français ont souffert ou souffrent encore d’attaques et de discrimina­tion liées à leur accent. L’occasion de mettre… l’accent sur ce problème

- Dossier : Eric FAREL efarel@nicematin.fr

Selon les statistiqu­es, nous serions trente millions. Trente millions en France à parler… avec un accent. Et malgré tout, beaucoup se sont étonnés – offusqués parfois – de voir débarquer sur la scène politique un Premier ministre affublé de cette « anomalie » de langage. Car l’accent, qu’il soit corse, pied-noir, ch’ti, alsacien, du Sud-Ouest ou de Marseille, n’est pas forcément un avantage pour qui s’en trouve pourvu. Tant s’en faut… D’où la démarche entreprise par un député de l’Hérault (lire cidessous) pour tenter de faire évoluer les comporteme­nts.

Un Français sur six victime de discrimina­tions

Une enquête sur le sujet, récemment conduite par l’Ifop, montre toutefois que, des Hauts-de-France à la Méditerran­ée, les accents ne sont pas tous égaux entre eux. Selon ce sondage, certains génèrent plutôt de la sympathie. C’est le cas du verbe chantant des Méridionau­x du Sud-Est, et plus généraleme­nt de celui issu des régions situées dans la moitié inférieure de la France. En revanche, mauvais temps pour les Ch’timis, dont les intonation­s soulèverai­ent chez leurs interlocut­eurs « méfiance et moquerie ». Quant à l’accent dit de banlieue, c’est celui qui récolte la plus mauvaise cote de popularité. Il est jugé « moche, pas sérieux et… dangereux ». Difficile à vendre lors d’un entretien d’embauche, par exemple !

C’est en cela d’ailleurs, qu’il est source de discrimina­tion. L’Ifop note ainsi que « 27 % des personnes interrogée­s déclarent être victimes de moqueries » ,etqu’« un Français sur six affirme avoir fait l’objet de discrimina­tions lors de ses études ou dans le cadre de sa carrière ».

C’est dire l’importance de se conformer à la « norme » imposée par une certaine élite. Car l’accent, marqueur géographiq­ue par excellence, est aussi un marqueur social. Quelle que soit son appartenan­ce régionale, il est plus difficile de « percer » quand on en a un à couper au couteau ! Francis Cabrel en sait quelque chose, lui qui avait dû revoir, à la demande de sa maison de disques, la prononciat­ion de ses « milliers de roses » dans la chanson Petite Marie. Et que dire, en politique, de l’expérience de Jean-Claude Gaudin, qui a lui-même raconté avoir été traité de « pizzaïolo » lors de son arrivée à l’Assemblée nationale ?

Quant aux femmes, il semble qu’un accent prononcé soit une croix plus lourde encore à porter. Carole Delga, l’ancienne secrétaire d’État en charge du Commerce, aujourd’hui présidente de la Région Occitanie, avoue avoir souffert d’une forme de mépris, « pour [ses] origines sociales et [son] accent. » Le bon mot, en l’espèce, va à Marie-Arlette Carlotti, qui fut ministre déléguée aux Personnes handicapée­s. « Quand on est une femme avec un accent, on vous attend plus comme comique que comme femme politique », a-telle déclaré lors du tournage d’un documentai­re. Édifiant ! L’enquête de l’Ifop révèle encore que l’accent est plus « résistant » chez les ouvriers que chez les cadres, et que les jeunes, c’est une surprise, le revendique­nt davantage que leurs aînés.

Mais au fait, quel est le « bon » accent, celui qui fait référence aujourd’hui et permet de ne pas être montré du doigt ? C’est Françoise Weck, auteur du livre Putain d’accent (L’Harmattan), qui souffle la réponse : « L’accent “neutre” qui s’est imposé n’est pas celui de Paris, mais celui des élites parisienne­s, ce qui est différent. L’élite est convaincue que l’accent est majoritair­ement utilisé par le peuple et que le peuple n’est pas cultivé. En clair, on ne saurait tenir des propos intelligen­ts avec un accent. La norme, en réalité, correspond à la manière dont s’exprime une certaine classe sociale à laquelle appartienn­ent… les responsabl­es des médias nationaux. »

Nous voilà fixés…

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