Pierre Bury : « Ceux qui parlent comme ça, sont dans l’entre-soi »
Pierre Bury est prof de français à Cannes. Cet agrégé de lettres modernes est aussi le président du SPELC Côte d’Azur, premier syndicat des enseignants du privé de l’académie de Nice. Bref, un bon client pourrait-on croire, à classer parmi ceux qui usent et abusent de ce langage « précieux » qui confère à certains représentants de l’Éducation nationale cette finesse de verbe à faire pâlir d’envie les propres contributeurs du Larrousse. Mais en fait, pas du tout.
L’homme le confesse même dans un sourire : « On se réfère à une sorte de nomenclature professionnelle estampillée Éducation nationale. Ça fait sérieux mais c’est surtout drôle et même souvent très drôle. » Et d’ailleurs, il en rit Pierre Bury qui rappelle qu’historiquement, l’emploi de mots « savants
» dans l’enseignement pour désigner les choses les plus banales n’est pas nouveau… « Cela tourne depuis une trentaine d’années et c’est encore plus ancien dans les tuyaux. Ça vient essentiellement de l’EPS [Éducation physique et sportive, Ndlr] qui a
toujours été en avance par rapport aux autres matières en termes de pédagogie. À la base, il s’agissait d’un terrain d’expérimentation pour être plus efficace. Tout part donc d’une bonne intention qui était de rendre les choses un peu plus précises et d’éviter les ambiguïtés. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, on arrive à l’effet inverse. Quand on parle d’un outil scripteur pour désigner un stylo, il y a un côté scientiste comme si on n’était pas une branche suffisamment professionnalisée et qu’il avait fallu remédier à cela. Après,
c’est aussi un effet de mode. »
Mais le langage « pédadingo » ainsi qu’il a été baptisé dans la bande dessinée Les profs, vise aussi selon Pierre Bury à gommer certaines inégalités et à valoriser nos chères petites têtes blondes... « On a trouvé que le terme “élève” n’était plus politiquement correct et on l’a remplacé par celui “d’apprenant” qui est moins réducteur. »
« Un discours opaque pour faire... plus pro »
Et les profs, entre eux, pratiquent-ils le « pédadingo » et surtout, se comprennentils lorsqu’ils en font usage ? « Parfois, on se pose la question. À part ceux qui font de la recherche et qui sont dans la technicité... Mais je ne suis pas sûr qu’un prof de sport qui a un peu de bouteille sache de quoi on lui parle si on évoque le
“référentiel bondissant à la trajectoire aléatoire” qui n’est rien d’autre qu’un ballon de rugby. La vraie question, c’est à quoi sert un tel verbiage ? Je pense que le fond n’est pas très puissant. C’est fait pour se rassurer. Ceux qui parlent comme ça sont dans l’entre-soi. Certains croient que si l’on comprend bien ce qu’ils racontent, ça ne fait pas pro. Il faut que leur discours reste un peu opaque et il y a donc un peu de surenchère. Par ailleurs, les sacro-saintes inspections existent toujours et si l’on ne place pas les bons mots, ça ne le fait pas ! Le problème de ce vocabulaire, conclut Pierre Bury, c’est qu’il se veut didactique. Tout n’est pas à jeter mais nous, ce qui nous intéresse, c’est ce qui est pédagogique. »
Voilà un bon sujet de réflexion pour l’Éducation nationale.