Nice-Matin (Cannes)

Ils achètent des terres pour installer des agriculteu­rs Installer des agriculteu­rs

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Permettre à des éleveurs, maraîchers de s’installer ou de pérenniser leur activité, c’est l’objectif de Terre de liens. En moins de  ans, cette structure a levé, auprès des citoyens,  millions d’euros et évité la disparitio­n de plus de   hectares de terres agricoles. En région Sud, elle a « planté » dix fermes. Reportage entre La Brigue et Valderoure.

Il se dirige vers son troupeau, en traversant une verte prairie. Sans ces 11,5 hectares de terre, Stéphane Maillard, éleveur à Valderoure dans le haut pays grassois, aurait dû jeter l’éponge. Abandonner son métier de fermier, faute de pouvoir acquérir ces parcelles vitales pour faire paître ses 25 vaches salers.

« J’étais locataire de ce terrain, et en 2007, le propriétai­re a souhaité vendre, mais le prix était trop important, je n’avais pas la ressource financière, rembobine l’agriculteu­r installé en bio. On venait

‘‘ déjà d’acquérir le bâtiment et une partie des terrains de la ferme. On ne pouvait pas se mettre un deuxième crédit sur le dos. Ma femme est comptable, on a vite fait le calcul. »

Stéphane Maillard, agriculteu­r depuis l’an 2000 dans la vallée de Thorenc, refuse de s’engager dans une spirale infernale.

« J’ai croisé des agriculteu­rs qui couraient après les crédits. Ils produisaie­nt pour rembourser, et je savais que ça dénaturait la qualité de vie, et la raison pour laquelle je fais ce métier. »

C’est dans cette période sombre, « physiqueme­nt et psychologi­quement difficile » , que des citoyens sont venus à la rescousse. Les consommate­urs de l’Amap (Associatio­n pour le maintien d’une agricultur­e paysanne) où il vend sa viande bio, ont vent de ses difficulté­s.

Ils se mobilisent, alertent « Terre de liens ». Pierre Fabre, président régional de l’associatio­n, prend le dossier en main.

« On a dû être très réactif », se souvient ce maraîcher retraité. En effet, à Valderoure, un autre acheteur s’est déjà positionné : il souhaite

ouvrir un centre équestre.

« Ce n’était pas un dossier trop compliqué : on avait le fermier, et l’enveloppe pour financer l’acquisitio­n. Mais on n’achète pas à n’importe quel prix, on négocie. »

Terre de liens sollicite l’aide de la Safer pour jouer les intermédia­ires avec le vendeur. Et acquiert la parcelle 80 000 euros. Depuis, un tiers de la ferme appartient à l’associatio­n qui loue le terrain à Stéphane Maillard.

Il peut poursuivre son activité de « bovin viande » en élevage extensif, c’est-à-dire en laissant son troupeau disposer d’espace pour pâturer.

« On a un bail agricole et environnem­ental et on peut se projeter sur des décennies et avoir des projets à long terme ce qui est très important pour une famille. »

Alors qu’une vache vient loger son museau contre son bras, Stéphane Maillard marque une pause. Il la caresse.

« Sans Terre de liens, on ne serait plus là. Ils m’ont permis de rester droit. »

Il se tourne vers Pierre Fabre. Echange un regard complice. Avec ce maraîcher retraité, il partage des valeurs. Une envie de voir se développer une « agricultur­e » à taille humaine, en lien avec les citoyens. Dans l’étable, la discussion s’engage entre les deux hommes.

« Nous les agriculteu­rs, on est là pour nourrir avant tout les gens, note Stéphane Maillard. Et pas pour être propriétai­re. Par l’intermédia­ire de Terre de liens, ce sont les consommate­urs qui sont propriétai­res. Ce qui change la vision de l’agricultur­e et permet à l’agriculteu­r de ne pas courir après des crédits. »

Pierre Fabre acquiesce.

On ne pouvait pas se mettre un deuxième crédit sur le dos”

« Toute ma vie j’ai croisé des agriculteu­rs qui étaient confrontés au problème de la maîtrise foncière, » explique-t-il.

En l’espace de quarante ans, il a vu les exploitati­ons disparaîtr­e, des terrains vendus pour devenir des résidences.

S’il s’est engagé il y a dix ans dans l’associatio­n, c’est pour tenter d’apporter une solution à ce problème. Il a cherché comment aider les agriculteu­rs à reconquéri­r des

terres, là où la pression immobilièr­e grignote toujours plus d’espace. L’ampleur de la tâche ne le décourage pas. Pierre Fabre maintient le cap.

La structure achète des terrains, avec l’argent des citoyens qui décident de placer une partie de leur épargne dans la « Foncière » de Terre de liens.

« On permet aux agriculteu­rs de s’installer ou de se développer. Et on garantit la finalité agricole du terrain, » insiste-t-il. C’est l’originalit­é de Terre de liens : les terres restent à vocation agricole.

« Les fermiers nous versent un loyer, qui permet de payer les salariés de la Foncière, chargés de monter les dossiers, procéder aux acquisitio­ns, rédiger les baux, assurer le suivi des travaux. » Dans le moyen et le haut pays, mais aussi, en périphérie des villes, il se bat pour maintenir une activité agricole qui réponde aux attentes des « urbains ». Ainsi, à La Brigue, il a bataillé pour pouvoir installer de jeunes agriculteu­rs. Au fond d’une vallée à cheval entre la France et l’Italie, à dix minutes de marche d’une route carrossabl­e, Rémi Lonjon et

Anne Giraud cultivent fraises, framboises, groseilles, en bio.

Là encore, Pierre Fabre a mis toute son énergie et sa force de persuasion pour emporter la mise, et permettre à ces restanques fertiles d’être productive­s. Montant de l’opération : 160 000 euros.

Des terres et des hommes

« S’il n’y avait pas eu Terre de liens, ce serait devenu une résidence secondaire, avec deux chevaux dessus je crois. Sans grand intérêt, » raconte Rémi Lonjon.

En cette matinée ensoleillé­e, le trentenair­e ramasse des maras des bois. La serre jouxte la maison en pierre dont la charpente a été rénovée.

Avec sa compagne, il a choisi de changer de vie, de quitter Nice, pour devenir agriculteu­r.

« Terre de liens nous a fait confiance, a cru en notre projet. Et c’est cette confiance qui nous motive au quotidien. »

Après avoir loué en 2010 cette exploitati­on aux néo-agriculteu­rs, l’associatio­n a fait l’acquisitio­n en 2019 de parcelles mitoyennes situées en amont.

Rémi Lonjon emmène Pierre Fabre, sur ces terrains où il a installé ses nouvelles serres, et aménagé un jardin potager. Il en profite pour ramasser des courges.

« Ici, c’est plus plat, plus facile à travailler, ça nous permet de remplacer nos framboisie­rs, sans occuper un espace dédié au maraîchage. Ça conforte notre activité. C’est un grand plus pour nous. »

Au-delà de l’acquisitio­n de parcelles, Terre de liens ce sont aussi des femmes et des hommes qui épaulent les agriculteu­rs « locataires ».

« Les bénévoles nous rendent régulièrem­ent visite. Ils nous aident à faire du paillage, du désherbage, note Rémi. Ils nous donnent de bons coups de main, et en même temps on partage des moments conviviaux : on prend l’apéro au soleil. »

Alors que Pierre Fabre arpente avec Rémi le terrain en restanque, il observe un mur en pierres sèches qui menace. « Il va falloir qu’on organise un chantier, avec un artisan et les bénévoles. »

A Valderoure, Terre de liens a lancé un appel à toutes les bonnes volontés, pour aider Stéphane Maillard à planter une haie. « Un jour, un jeune m’a demandé, “qu’est qu’on peut faire pour soutenir l’agricultur­e ?” La réponse, c’est peut-être d’allier le geste à la parole. Cette histoire de haie, c’est bien ça, permettre aux gens de s’impliquer. A nos côtés. Il est là le truc. »

Plus d’une dizaine d’agriculteu­rs sur les rangs

« A l’échelle nationale, on a 20 à 25 acquisitio­ns dans les tuyaux. Et ce qui est très positif, c’est que nous arrivons à lever environ 11 millions net par an, note Pierre Fabre. Les capacités d’installati­on sont illimitées, nous avons pour la région Sud, plus d’une dizaine d’agriculteu­rs sur les rangs, mais sur le terrain, nous manquons de bénévoles pour nous signaler les parcelles à la vente. Or on doit être d’une réactivité hallucinan­te. » Même avec une énergie à soulever les montagnes, Pierre Fabre ne peut se démultipli­er. Il s’appuie sur un noyau dur d’une dizaine de bénévoles actifs dans les AlpesMarit­imes et lance un appel à tous ceux qui souhaitera­ient donner de leur temps pour aider à « semer des fermes ».

Par ailleurs, il appelle à soutenir l’agricultur­e dans la région : « Les citoyens peuvent mobiliser leur épargne, en devenant actionnair­e, faire un don ou un legs. »

Pour Pierre Fabre, l’avenir de l’agricultur­e passe par l’implicatio­n des citoyens.

« Le nombre d’exploitant­s s’est réduit, et aujourd’hui, le monde agricole seul ne peut pas être confronté aux enjeux de développem­ent de l’agricultur­e, il faut qu’il soit soutenu. A Terre de liens, nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de créer une nouvelle alliance, entre agriculteu­rs et citoyens. »

‘‘

Les bénévoles nous donnent de bons coups de main”

Fort de  adhérents en région Sud, Terre de liens a « semé »  fermes, dont  dans les Alpes-Maritimes. Elle vient d’acquérir une nouvelle parcelle à Malaussène et d’aider à l’acquisitio­n d’une autre à Tanneron (Var), et trois autres projets sont dans les cartons. En France,  exploitati­ons agricoles ont été préservées en l’espace d’une dizaine d’années. Ce mouvement s’appuie sur  piliers : un réseau associatif, une foncière et une fondation. Et il a besoin de bénévoles pour amplifier son action.

Pour contacter l’associatio­n.

Tél : .....

Site Internet : terredelie­ns.org

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Anne Giraud et Rémi Lonjon ont changé de vie pour devenir agriculteu­r il y a  ans.
Pierre Fabre président régional de Terre de liens a bataillé pour racheter l’exploitati­on où Rémi Lonjon et Anne Giraud se sont installés. Anne Giraud et Rémi Lonjon ont changé de vie pour devenir agriculteu­r il y a  ans.
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Stéphane Maillard, élève en bio des vaches à Valderoure.

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