Nice-Matin (Cannes)

« On était une trentaine, on n’est plus que  »

- J.-F. R.

Midi, l’heure du coup de feu. Pas du canon qui fait sursauter les Niçois depuis plus d’un siècle, celui qui annonce l’envoi des commandes... Un coup de feu qui a des airs de pétard mouillé. En cuisine, la brasserie Félix Faure, n’est plus la ruche folle d’avant Covid. La cinquantai­ne, Frédéric Milis, le chef de cuisine aux faux airs de rockeurs, a perdu ses repères. « On est à 30 %... Alors que le kif en cuisine, c’est quand ça dépote. »

Cyril Rufallo, son second, essaie de détendre l’atmosphère que les nouvelles annonces d’Olivier Véran ont plombée un peu plus. Faisant mine d’enlever son masque, il interpelle son boss : «Devant la machine à bons, faut que je hurle pour envoyer les plats. J’y peux quoi, si personne ne comprend rien. Tu n’as qu’à engueuler mon masque ! »

La private joke en mode L’Aile ou la Covid arrache un sourire à Frédéric. Leur préférée, depuis ce matin, reste quand même : « Tu sais pourquoi les trams sont bondés et les cafés fermés ? Parce que la Covid a le pass Navigo, pas la Licence IV. » Mais ici, on a vu partir trop de copains depuis mars pour rester serein. «On n’est plus que seize. On était une trentaine, ça fait bizarre ». Que l’effectif puisse encore fondre est l’angoisse de tous : « Le patron tient bon, il se bat comme un fou, mais si on doit fermer, comme à Marseille, on n’y coupera pas ». Frédéric grimace. À l’issue du confinemen­t, c’est à lui qu’est revenu le sale privilège de choisir entre ceux qui resteraien­t et les autres. Des mauvaises nuits, il en a eues. Le temps de la gamberge augmenté par ce faux rythme dicté par les incertitud­es de la crise sanitaire est lancinant.

Pas toujours les mêmes...

Parce qu’ici, le staff a des airs de famille, les choix ont été douloureux. Du coup, pour ceux qui sont restés, Frédéric jongle avec le chômage partiel et les plannings : « On n’a pas besoin d’être tous là, tous les jours, alors j’essaie de faire tourner tout le monde, pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui restent à la maison...» A l’heure de la pause clope, boulevard Jean-Jaurès, la crainte d’un reconfinem­ent profession­nel hante tout le monde. Cyril l’avoue. Il y a bien sûr ses deux fils qui sont rentrés au collège et au lycée, le coût de leurs études au conservato­ire, les crédits qu’il faut continuer de payer, mais quand, avec les collègues, ils évoquent ces temps troublés, ce n’est pas le spectre des fins de mois difficiles qui les préoccupe le plus : « C’est idiot, mais le sentiment qu’on a tous d’être inutiles ou de ne l’être plus qu’au gré des caprices du virus est dur à vivre ! »

 ??  ?? En cuisine, Frédéric, Sadri ou Cyril redoutent désormais plus le coup de blues que le « coup de feu ». (Cyril Dodergny)
En cuisine, Frédéric, Sadri ou Cyril redoutent désormais plus le coup de blues que le « coup de feu ». (Cyril Dodergny)

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