Et soudain, la fracture
En un mot comme en cent, c’est plus que jamais le b... ! Tout a déjà été dit sur les contradictions, les revirements, les postures et les impostures générés par l’épidémie, autant de marqueurs d’une cacophonie généralisée. Sauf que le ton est en train de monter, en même temps que la lassitude face à une crise sociale qui enfonce un coin d’insoumission dans la logique du tout-sanitaire. Jusqu’ici, contre l’infortune prévalait le bon coeur.
On se gondolait, pour ne pas en pleurer, des diagnostics antagonistes de scientifiques pontifiant à flux tendu, sourire satisfait aux lèvres. Le gouvernement, sans être épargné et malgré ses errements, bénéficiait d’une certaine mansuétude. Forcément : quand chacun, y compris au sein d’un même foyer, voit la situation sous un prisme différent, comment lui reprocher un tâtonnement qui est mondial ? Mais cette union sacrée vole en éclats, sous les coups de boutoir conjugués de l’impatience et de l’exaspération. Les élus locaux, qui furent souvent les premiers à fustiger le manque de réactivité de l’exécutif, l’accusent maintenant de tuer l’économie. Jusque-là tremblantes, par crainte d’être taxées d’indignité, des voix s’élèvent pour vanter la Suède et son dilettantisme relatif. Nicolas Bedos appelle «àvivreà fond, quitte à mourir ». Le professeur Alexandre Carpentier invite, lui, à mettre fin à une prophylaxie carabinée qui met la France par terre. « Empêcher un virus de circuler est une illusion. Plus de % de la population sera atteinte, quel que soit le niveau de coercition », estime-t-il. Le tableau général du pays, façon puzzle pour joueurs chevronnés, contribue à alimenter la circonspection et la rébellion. Dans une même ville, se côtoient chaque jour les attitudes les plus variées, de la surprotection tétanisée au laisser-courir bravache. Dans ce bazar supposé organisé, les restaurateurs ne peuvent comprendre le traitement de défaveur qui leur tombe dessus, quand bien d’autres nids à virus, dans les transports notamment, vont persister. Pauvre gouvernement, qui a consenti ces derniers mois tant d’efforts pour se mettre les élus locaux dans la poche et qui les voit de nouveau ruer dans les brancards, sur fond de concours de bistouquettes entre Paris et Marseille. Cette fracture va rendre la gestion de la crise un peu plus tortueuse encore. Le choix d’une approche humaniste pâtit, aujourd’hui, de son caractère exclusif et sans fin. Cette stratégie ayant sans doute sauvé plusieurs milliers de vies, impossible toutefois de rétropédaler vers une logique de fossoyeur qui nierait tout ce qui a été entrepris jusqu’alors. Nous voilà donc collectivement paumés, comme jamais. Et en proie à une irritation croissante propice à l’indiscipline. La facture d’interminables mois de trop grande confusion.
« Le tableau général du pays, façon puzzle, contribue à alimenter la circonspection. »