Nice-Matin (Cannes)

Amélie Nothomb «Jesuisplus jeune qu’à ans!»

La romancière belge, incontourn­able locomotive de chaque rentrée littéraire, est attendue à Cannes ce mercredi pour dédicacer son vingt-neuvième roman. Hors de question d’annuler ce genre de rendez-vous dit-elle.

- AMÉLIE MAURETTE amaurette@nicematin.fr

Pas une rentrée sans le « nouveau » Amélie Nothomb. Cette fois-ci, c’est Les Aérostats, son vingt-neuvième roman publié sur une centaine écrits. Un roman dans lequel Ange, une étudiante de dix-neuf ans, sérieuse, plutôt intello, se retrouve à conseiller des lectures à Pie, un ado, sérieux, plutôt rebelle. Le Rouge et le Noir, L’Iliade et L’Odyssée, La Métamorpho­se… L’occasion, pour la finaliste du Goncourt 2019 (avec Soif), de replonger dans sa propre jeunesse et son propre rapport à la lecture. « Sa nécessité », dit-elle, « notamment en ce moment ». Autre nécessité, pour la romancière aux quarante traduction­s : rencontrer ses lecteurs. Et malgré le contexte, elle tient à son rendez-vous, ce mercredi, dans une librairie cannoise. Elle y tient tellement que c’est par téléphone qu’elle nous répond, ne se consacrant, le jour même, qu’à ses lecteurs.

Quelles que soient les circonstan­ces, vous ne suspendez pas ces séances de signatures ?

Hors de question ! En temps normal je n’annule jamais aucune dédicace, alors à plus forte raison dans les circonstan­ces que nous traversons. Nous vivons quelque chose de très dur, nous sommes tous logés à la même enseigne. Mon message en venant à Cannes, c’est : ‘‘La vie continue’’. On se protège, on met des masques, on ne se touche pas, mais la vie continue.

Les festivals du livre de Nice et de Mouans-Sartoux ont dû être annulés…

C’est terrible. Un crève-coeur. Je comprends qu’on trouve ça dangereux et je ne juge pas ceux qui prennent ces décisions. Mais raison de plus pour qu’en prenant toutes les précaution­s qu’il faut, je maintienne ces petits rendezvous que je considère comme une permanence du coeur. Ça fait vingt-huit ans que je suis publiée et une amitié est née entre mes lecteurs et moi.

Et toujours pas de réseaux sociaux pour maintenir le lien ?

Je ne sais même pas ce que c’est ! Mes amis m’en parlent et j’avoue que tout ce qu’on m’en raconte me réfrigère… Je me dis : ‘‘Mon Dieu, comment est-ce qu’on peut s’aimer de cette façon ?’’ Je préfère de loin la bonne vieille lettre.

Les Aérostats est un roman court, au ton sobre. Il fallait trancher avec l’imposant Soif ?

J’ai écrit Les Aérostats l’été juste avant la publicatio­n de Soif . Il est venu comme ça, mais oui, quand il s’est agi de savoir quel livre viendrait après Soif – question épineuse –, il m’est apparu que Les Aérostats convenait très bien. C’est en effet très différent et, alors que j’étais bien loin de me douter de la crise qui allait nous tomber dessus, je trouve que le choix est judicieux. Parce que le grand sujet des Aérostats, c’est la lecture, sa nécessité. Or, pendant le confinemen­t et ce qui suit, je ne suis pas la seule à avoir été sauvée par la lecture. De telles épreuves, c’est le moment de lire de grands livres.

Il y a deux sujets dans ce livre : la littératur­e et l’adolescenc­e. Vos deux thèmes favoris ?

L’adolescenc­e est un de mes plus grands sujets, oui ! C’est une question qui me hante. Quelle que soit la personne que je rencontre, j’ai envie de demander : ‘‘Comment avez-vous survécu à votre adolescenc­e ?’’ Je suis tellement étonnée d’avoir survécu à la mienne. Comment les autres ont-ils réussi ce miracle ?

L’Iliade et L’Odyssée, remède à la crise d’ado ?

Et pourquoi pas ! C’est un livre qui m’a sauvée quand j’avais quinze ans. Mon message est le suivant : n’ayez pas peur de conseiller un livre difficile à un adolescent. Ils aiment les défis. Ils comprennen­t que c’est un monument et la réaction est toujours intéressan­te.

Apprendrai­t-on mal la lecture aux plus jeunes aujourd’hui ?

Je ne suis pas là pour faire la morale aux professeur­s, ils sont nombreux à faire extrêmemen­t bien leur travail, mais je suis perplexe quand j’entends dire qu’on ne propose parfois plus de lire un livre en entier. Si on ne lit pas en entier, comment peut-on trouver ça intéressan­t ? Beaucoup d’adolescent­s me demandent quoi lire et je ne propose jamais de choix faciles. Ce n’est pas grave s’ils n’aiment pas : quand nous avons appris à manger, il y avait aussi des aliments que nous n’aimions pas. Le goût, ça se forme aussi comme ça.

‘‘Tout grand texte contient une expiation et des meurtres’’, écrivez-vous. Il est souvent, dans celui-ci encore, question de meurtre dans vos livres…

C’est une des grandes questions littéraire­s. La littératur­e a à voir avec Thanatos, avec la pulsion de mort. Elle joue le rôle de catharsis, comme dans la tragédie grecque où le meurtre à lieu dans la narration parce qu’il ne peut pas avoir lieu dans la réalité… On peut tuer quelqu’un dans la littératur­e et se délivrer en toute légalité !

‘‘La jeunesse est un talent, il faut des années pour l’acquérir’’, écrivez-vous aussi. À cinquanteq­uatre ans, êtes-vous enfin jeune ?

Je suis en tout cas plus jeune que quand j’avais dix-neuf ans ! À cette époque, j’étais comme

Ange, tragiqueme­nt sérieuse. Maintenant je suis une vieille peau, mais j’ai de la vitalité !

Qu’ont changé les années ?

Ne plus avoir peur d’aller vers l’autre. Ne plus vivre dans la terreur de déplaire. Accepter de déplaire, c’est une force que je n’avais pas avant et qui permet d’être enfin jeune.

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De telles épreuves, c’est le moment de lire de grands livres”

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Maintenant je suis une vieille peau, mais j’ai de la vitalité !”

Les prénoms dans vos livres sont très importants. Amélie n’est pas votre prénom de naissance, qu’est-ce qu’il représente ?

Ce n’est pas le prénom qui figure sur ma carte d’identité mais c’est ainsi qu’on m’a toujours appelée. Pour moi c’est vrai, c’est très important qu’on ait le prénom qui nous convienne. C’est une exigence platonicie­nne : le grand créateur fait sonner les mots sur le tube du langage et vérifie que le son convient à la chose qu’il est censé désigner. C’est une belle exigence et ce n’est pas toujours atteint en ce qui concerne le prénom des gens. Amélie, c’est tout à fait moi… Quelque chose d’assez vif, à la fois classique et piquant, je me sens bien dans ce prénom.

Les Aérostats.

Amélie Nothomb.

Albin Michel. 180 pages.

17,90 €. En signature à la librairie Autour d‘un livre à Cannes, mercredi 30 septembre, à 14 h 30. Rens. 04.93.68.01.99.

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