Nice-Matin (Cannes)

Plantu : « Des fractures sérieuses dans notre pays »

Le dessinateu­r de presse est un habitué des rencontres avec les lycéens. Il rend hommage à ceux, qui, comme Samuel Paty, défendent la culture, la fraternité et la laïcité

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE GEORGES

Dessinateu­r de presse et caricaturi­ste, notamment au journal Le Monde depuis 1972, Jean Plantureux, alias Plantu, est engagé dans la défense de la liberté d’expression, de la tolérance et de la démocratie. Il sera à Toulon le 29 octobre à l’invitation du Club de la presse du Var.

Des dessinateu­rs de presse, des caricaturi­stes, des journalist­es, des policiers et gendarmes, un prêtre, des citoyens « lambda » et maintenant un professeur. Que vous inspire ce nouvel attentat islamiste ?

Le fait d’aller régulièrem­ent dans les écoles me montre à quel point il existe des fractures assez sérieuses dans notre pays. Cette montée des incompréhe­nsions, je la rencontre régulièrem­ent dans certaines classes et je tire mon chapeau à tous ces professeur­s qui ont le courage de défendre la culture, la fraternité et la laïcité.

Que vous dit Marianne que vous stylisez dans nombre de vos dessins ?

Elle est un peu perdue Marianne. C’est la raison pour laquelle je la représente très souvent en BleuBlanc-Rouge.

Vous allez dans les lycées à la rencontre des jeunes. Que dites-vous à ceux qui ne sont pas « Charlie » ?

D’abord, je les écoute. J’essaye de comprendre leur ressenti. Et puis, je leur parle des tabous au travers des dessins et leur dis par exemple qu’il existe des tabous en Haïti : les dessinateu­rs évitent de dessiner des zombies… En Tanzanie, par exemple, le dessinateu­r évite le sujet tabou comme le drame des enfants albinos ; et puis un doigt se lève et j’apprends qu’il y a une région de Madagascar qui vit le même tabou et alors le dialogue se fait que nous échangeons très simplement. Par la suite les thèmes soulevés seront repris par les enseignant­s au sein de leurs classes.

Votre dessin a-t-il changé depuis les attentats de Charlie Hebdo ?

Non, mon dessin n’a pas changé ; j’ai la grande chance de travailler dans un journal qui me laisse m’exprimer avec beaucoup de liberté. Est-ce que cela veut dire que je me permets tout et n’importe quoi ? Bien sûr que non. Par exemple, j’évite de parler de la vie privée de tel ou tel responsabl­e politique. La maladie est aussi un sujet que j’essaye d’éviter ; c’est ce que font en général tous les dessinateu­rs de presse. Et s’il s’agit d’attaquer un sujet dérangeant, comme la religion, je choisis ma cible et je suis très clair : par exemple, le salafisme qui se croit supérieur à la République.

Votre profession est exposée. Plantu a-t-il peur, comme beaucoup aujourd’hui ?

Cela fait un drôle d’effet de recevoir un coup de téléphone de ministère de l’Intérieur pour me dire que je serai dorénavant accompagné d’officiers de sécurité : c’est ma vie depuis six ans.

Dans ce contexte, quel est l’avenir du dessin de presse ?

Continuer à ne rien lâcher, continuer à défendre les dessinateu­rs menacés. Et je pense aussi à tous les dessinateu­rs que nous défendons et qui sont injustemen­t traités d’antisémite­s. Ça aussi c’est un combat compliqué.

Plantu crayonne et écorche la politique depuis des décennies. Subissez-vous des pressions ? Comment y réagissez-vous ?

La pression la plus pénible, c’est celle de mon miroir qui me bouscule et me dit que j’aurais dû faire mieux. Je me souviens qu’il y a  ans, quand j’ai commencé, j’étais impression­né par les journalist­es du Monde que je regardais comme des grands professeur­s. Et maintenant j’ai un nouveau stress : j’ai peur de décevoir des lecteurs qui m’ont aimé il y a  ou  ans.

L’autocensur­e est-elle le pire des fléaux ?

Je ne connais pas de journalist­es qui écrivent tout ce qui leur passe par la tête. C’est une question qu’on me pose souvent dans les écoles : quand une petite jeune fille demande à son copain si on voit le furoncle qu’elle a sur le nez, le copain répond souvent : «Oh c’est rien, ça se voit à peine » alors qu’on ne voit que ça… Ça, c’est le début de l’autocensur­e

Vous aurez  ans en , chaque matin, vous avez envie d’aller au contact ou vous vient aussi l’idée de tout laisser tomber ?

J’ai la grande chance, au journal Le Monde, d’avoir réussi la manière de passer la main : à partir de mars, mes dessins seront remplacés par un dessin internatio­nal de Cartooning for Peace. C’est génial car il y aura encore pour longtemps des dessins politiques àlaunedu Monde. Un jour, ce sera un dessin palestinie­n, le lendemain un dessin israélien et le lendemain encore un dessin américain ou russe. Génial et passionnan­t !

Dans sa longue carrière, Plantu s’est-il déjà planté ? Quand ?

Oh ! Cela m’est arrivé quelques fois dont la fois où j’ai entendu sur M que le pape Jean Paul II enregistra­it un clip avec Plastic Bertrand. La stagiaire au service culturel m’a dit que c’était une vraie info. Et le dessin a été imprimé comme cela.

Vous êtes invité par le Club de la presse du Var, le  octobre à Toulon, serez-vous bien là ?

Oui, je serai là et ça me fera vraiment plaisir de me retrouver à Toulon. J’aime cette ville et ça me rappelle mes vacances quand j’étais petit. Et je pense à tous ces Français qui ont vécu les inondation­s de ces derniers jours. Et puis, plus récemment, je me souviens être allé rencontrer les prisonnier­s dans la prison de Toulon et c’était tout simplement passionnan­t. Tout à l’heure, je rendais hommage aux professeur­s dans les écoles, et là, j’ai vraiment envie de rendre hommage à toutes les personnes qui essayent de faire entrer la culture dans les prisons.

Comment dessinerie­z-vous le monde meilleur ?

J’envie les dessins de Peynet, ce grand dessinateu­r, que j’ai rencontré à Antibes il y a plus de vingt ans : il dessinait des petits amoureux qui allaient écouter de la musique dans les kiosques au milieu des jardins publics. Comme dit Maryse, la femme de Wolinski : « Nous avons perdu nos années d’insoucianc­e. » Heureuseme­nt, Il nous reste la musique.

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(DR) Le dessinateu­r Plantu.

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