Nice-Matin (Cannes)

Zielinska une vieille histoire de blé

À Nice, cette Polonaise, historienn­e de formation, utilise des farines produites à partir de variétés anciennes pour confection­ner des pains d’exception dans un tout petit local.

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Quand il s’agit de lâcher une branche pour en saisir éventuelle­ment une autre, certains tremblent de tout leur corps. D’autres, comme Dominika Zielinska, se lancent sans états d’âme.

Arrivée de Varsovie il y a seize ans, elle avait changé de vie une première fois auparavant. Après ses études d’histoire, elle s’était embarquée dans le marketing chez Yves Rocher. Une fois à Nice, elle avait monté un site Internet d’histoires personnali­sées pour enfants. Puis elle est devenue boulangère. Comment dit-on « caméléon » en polonais ?

Transmissi­on

À l’origine de cette mue vers la mie, il y avait « l’envie de quitter l’environnem­ent du bureau ». Et une histoire de famille, aussi. « En Pologne, quand j’étais petite, toutes les femmes faisaient le pain le weekend. Les grands-mères, les tantes, préparaien­t du pain de seigle, avec des graines ou des airelles dedans. Il y a cette idée de tradition féminine, une énergie qui se transmet entre les génération­s. En France, la boulangeri­e est plus masculine. On pense aux muscles, à la technicité. Mais on peut être petite, frêle, et faire différemme­nt » ,assure Dominika avec un air de défi. Après quelques expériment­ations à domicile, une séparation a changé la donne. « Il fallait que je trouve un local, pas très loin de chez moi et de l’école de ma fille. Parce que je m’attendais à avoir beaucoup, beaucoup de travail, sans personne pour m’aider. »

Il y a tout juste un an, elle a atterri dans un local version mouchoir de poche, rue Penchienat­ti, une rue bourgeoise du centre de Nice. « Ça fait exactement 25 mètres carrés. Il faut tout calculer et se faire livrer régulièrem­ent la farine pour ne pas encombrer l’espace. Mais on est bien ici », énonce notre hôte, en plein pétrissage. Initialeme­nt, le lieu était destiné à être uniquement un labo. L’antre où elle s’activerait pour approvisio­nner des restaurant­s et points de vente en quête d’une tranche d’authentici­té. Après la cantine bio Badaboom et l’épicerie bio Jean de la tomate, Le Méridien, Café Paulette, La Merenda ou encore Biocoop et 21 Paysans ont suivi. Et des curieux ont commencé à passer une tête pour tenter de s’offrir une tartine de bonheur. Le confinemen­t a accéléré la donne. Par téléphone, par les réseaux sociaux ou sur place, pendant une courte promenade, de nombreuses personnes s’étant mis en tête de mieux manger, ont voulu être ravitaillé­es. Dominika Zielinska est désormais épaulée par Carmel Carouana, une jeune Parisienne visiblemen­t aussi méticuleus­e et passionnée qu’elle.

Identité

Des pains dorés sagement alignés attendent les clients. Ils sont « ronds, maternels, séducteurs, rassurants, surprenant­s, addictifs, féminins », comme le clamait il y a quelque mois la patronne des lieux dans une publicatio­n Facebook. On a envie de croquer dedans, mais on se tient bien.

« Il n’y en a pas un pareil et ça me plaît », appuie Dominika. « Ils s’ouvrent tout seuls, je ne grigne pas mes pains. On dit que ces coups de lame sont la signature du boulanger. Mais ce n’est pas mon trip, je n’ai pas besoin de ça. »

Aujourd’hui, la jolie devanture ocre affiche fièrement Zielinska en lettres noires. Mais au départ, il était écrit Pétanielle et Barbu. Un nom qui fleurait bon la Provence, devaient se dire les passants. Sans savoir, comme nous, que les deux mots désignent en fait des variétés de blés ancestraux. La pétanielle noire était autrefois cultivée dans le Comté de Nice. Un épi d’une blancheur éclatante devenant brun une fois à maturité.

Résurrecti­on

Engagée dans une démarche écologique et citoyenne, notre néo-boulangère a commencé à s’intéresser aux semences anciennes. « Un jour, j’ai eu un déclic en regardant le reportage Graines de rebelles. On ne parle pas assez de la mainmise des industriel­s sur les semences. Cela a drastiquem­ent changé notre alimentati­on, en mal. De petites associatio­ns et entreprise­s essaient de faire quelque chose contre ça. »

Un stage à Cucugnan, dans l’Aude, chez Roland Feuillas, ancien ingénieur devenu paysan-boulanger, option humaniste, achèvera de la convaincre. Pendant deux ans, Dominika Zielinska aura multiplié les recherches dans des banques de semences, en Russie, en Allemagne et en Israël, pour pouvoir dénicher la fameuse pétanielle. Qu’elle met aujourd’hui un point d’honneur à ressuscite­r chaque semaine.

En lisant les étiquettes placées devant les sorties du four, on fait d’autres découverte­s : touselle de Nîmes, engrain, kamut… Tout bio, tout au levain. Juste à côté de la pompe à huile provençale, des parts de focaccia côtoient des babkas, ces brioches gourmandes torsadées d’Europe de l’Est. Une certaine idée de la fraternité. 13, rue Penchienat­ti à Nice.

Rens. 07.66.46.74.96. et facebook.com/Zielinskap­ain

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