Nice-Matin (Cannes)

Les superstiti­ons de la Toussaint

Autrefois en Provence, la mort faisait si peur que nul ne s’aventurait à prononcer ce mot. Aussi, tout était fait pour conjurer le mauvais sort.

- NELLY NUSSBAUM nous@nicematin.fr

Longtemps, la période de la Toussaint fut sujet de superstiti­ons, voire de frayeur pour les Provençaux. Aussi, ils suivaient des rituels bien établis et respectaie­nt les interdits. Ces jours-ci, dans la maison, la vie s’arrêtait, on respectait le silence des morts. On éteignait le feu, on arrêtait les horloges, on s’arrêtait aussi de travailler. Le soir, on se réunissait en famille pour prendre le repas dit des armettos – petites âmes ou âmes du purgatoire et évoquer la mémoire des disparus autour de la table familiale. Le repas ne comportait que châtaignes, lentilles, pois chiches cuits dans la braise et une bouteille de vin cuit. Certains, lorsqu’ils allaient se coucher, plaçaient une châtaigne sous l’oreiller. Ainsi se préservaie­nt-ils des revenants qui, en cette nuit de Toussaint, n’hésitaient pas à hanter leur ancienne demeure et à tirer les pieds de leurs descendant­s lorsqu’ils dormaient. Dans chaque famille, on laissait une place à table pour les morts de l’année, on remplissai­t des assiettes et, le lendemain, on donnait cette nourriture aux pauvres.

Ne pas braver les interdits

Ces jour-là, il fallait respecter un grand nombre d’interdits. Notamment celui qui concernait saint Hubert, le patron des chasseurs. En effet, la chasse était interdite. Et, les inconditio­nnels qui s’y risquaient étaient victimes de nombreuses mésaventur­es et allaient vite se repentir d’avoir cédé à leur passion. Souvent, ils pouvaient poursuivre un gibier pendant des heures sans pouvoir l’attraper. Pire encore, les chasseurs impies étaient souvent nargués par leur gibier, que ce fut une grive ou un lapin. La bête attirait le chasseur au bord d’un précipice et se mettait à crier : Veni, veni mi cercar ! (Viens, viens me chercher !) Le chasseur avait alors une telle frayeur qu’il prenait la poudre d’escampette et rentrait chez lui en se jurant de ne plus jamais chasser un jour

Il se dit aussi qu’à Toulon, une blanchisse­use qui n’observa pas cet interdit vit couler du sang, alors qu’elle versait de l’eau bouillante dans son cuvier à lessive ! Elle était si impie que cela ne l’arrêta pas et elle continua à verser son eau bouillante. Plus cela allait, plus le sang coulait fort. Au bout d’un moment, la blanchisse­use prit peur, mais à peine avait-elle regretté ses actes qu’elle tomba raide morte. de Toussaint !

Même tradition pour la pêche. Les pêcheurs qui préféraien­t le gain à la piété faisaient ce jour-là de fort mauvaises pêches et bien souvent, risquaient leur vie (lire encadré). Autre interdit, laver le linge. En effet, la lessive rappelait trop celle que l’on devait faire lorsqu’un malade mourait à la maison. La ménagère ou la blanchisse­use qui passait outre exposait ses proches ou le propriétai­re du linge à mourir dans l’année.

D’autre part, les Provençaux attendaien­t toujours une visite le soir de la Toussaint. En effet, dans chaque village, des jeunes gens et des familles pauvres parcouraie­nt le village en s’arrêtant à chaque porte pour réclamer l’arùo (l’âme). Ils récupéraie­nt ainsi friandises ou fruits et, lorsqu’ils avaient fait le tour du village, ils allaient déguster le produit de leur quête ! Plusieurs de ces coutumes ont eu la vie dure et ont perduré jusqu’au début du XXe siècle. La guerre de 14-18 en a cependant enterré plusieurs, sans doute en raison du trop grand nombre de morts dans les familles.

Frapper aux portes pour une friandise rappelle étrangemen­t Halloween...

Sources : Almanach de la mémoire et des coutumes de Provence par Claire Tiévant. Albin Michel éditeurs. 1984.

 ??  ?? . Avec pour dîner, un chaudron de châtaignes, la soirée de la Toussaint était consacrée à évoquer les morts, mais aussi à l’initiation des plus jeunes aux grandes étapes de la vie.
. Malgré le symbole d’un repas frugal, la soirée pouvait également prendre une tournure festive car à la Toussaint on célébrait aussi l’arrivée de l’automne avec la Castanada – la fête de la châtaigne. . Les jeunes et les plus pauvres allaient frapper aux portes en quête d’une poignée de châtaignes ou d’une friandise… Halloween avant la mode ! (Cartes postales anciennes et DR)
. Avec pour dîner, un chaudron de châtaignes, la soirée de la Toussaint était consacrée à évoquer les morts, mais aussi à l’initiation des plus jeunes aux grandes étapes de la vie. . Malgré le symbole d’un repas frugal, la soirée pouvait également prendre une tournure festive car à la Toussaint on célébrait aussi l’arrivée de l’automne avec la Castanada – la fête de la châtaigne. . Les jeunes et les plus pauvres allaient frapper aux portes en quête d’une poignée de châtaignes ou d’une friandise… Halloween avant la mode ! (Cartes postales anciennes et DR)
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France