Les superstitions de la Toussaint
Autrefois en Provence, la mort faisait si peur que nul ne s’aventurait à prononcer ce mot. Aussi, tout était fait pour conjurer le mauvais sort.
Longtemps, la période de la Toussaint fut sujet de superstitions, voire de frayeur pour les Provençaux. Aussi, ils suivaient des rituels bien établis et respectaient les interdits. Ces jours-ci, dans la maison, la vie s’arrêtait, on respectait le silence des morts. On éteignait le feu, on arrêtait les horloges, on s’arrêtait aussi de travailler. Le soir, on se réunissait en famille pour prendre le repas dit des armettos – petites âmes ou âmes du purgatoire et évoquer la mémoire des disparus autour de la table familiale. Le repas ne comportait que châtaignes, lentilles, pois chiches cuits dans la braise et une bouteille de vin cuit. Certains, lorsqu’ils allaient se coucher, plaçaient une châtaigne sous l’oreiller. Ainsi se préservaient-ils des revenants qui, en cette nuit de Toussaint, n’hésitaient pas à hanter leur ancienne demeure et à tirer les pieds de leurs descendants lorsqu’ils dormaient. Dans chaque famille, on laissait une place à table pour les morts de l’année, on remplissait des assiettes et, le lendemain, on donnait cette nourriture aux pauvres.
Ne pas braver les interdits
Ces jour-là, il fallait respecter un grand nombre d’interdits. Notamment celui qui concernait saint Hubert, le patron des chasseurs. En effet, la chasse était interdite. Et, les inconditionnels qui s’y risquaient étaient victimes de nombreuses mésaventures et allaient vite se repentir d’avoir cédé à leur passion. Souvent, ils pouvaient poursuivre un gibier pendant des heures sans pouvoir l’attraper. Pire encore, les chasseurs impies étaient souvent nargués par leur gibier, que ce fut une grive ou un lapin. La bête attirait le chasseur au bord d’un précipice et se mettait à crier : Veni, veni mi cercar ! (Viens, viens me chercher !) Le chasseur avait alors une telle frayeur qu’il prenait la poudre d’escampette et rentrait chez lui en se jurant de ne plus jamais chasser un jour
Il se dit aussi qu’à Toulon, une blanchisseuse qui n’observa pas cet interdit vit couler du sang, alors qu’elle versait de l’eau bouillante dans son cuvier à lessive ! Elle était si impie que cela ne l’arrêta pas et elle continua à verser son eau bouillante. Plus cela allait, plus le sang coulait fort. Au bout d’un moment, la blanchisseuse prit peur, mais à peine avait-elle regretté ses actes qu’elle tomba raide morte. de Toussaint !
Même tradition pour la pêche. Les pêcheurs qui préféraient le gain à la piété faisaient ce jour-là de fort mauvaises pêches et bien souvent, risquaient leur vie (lire encadré). Autre interdit, laver le linge. En effet, la lessive rappelait trop celle que l’on devait faire lorsqu’un malade mourait à la maison. La ménagère ou la blanchisseuse qui passait outre exposait ses proches ou le propriétaire du linge à mourir dans l’année.
D’autre part, les Provençaux attendaient toujours une visite le soir de la Toussaint. En effet, dans chaque village, des jeunes gens et des familles pauvres parcouraient le village en s’arrêtant à chaque porte pour réclamer l’arùo (l’âme). Ils récupéraient ainsi friandises ou fruits et, lorsqu’ils avaient fait le tour du village, ils allaient déguster le produit de leur quête ! Plusieurs de ces coutumes ont eu la vie dure et ont perduré jusqu’au début du XXe siècle. La guerre de 14-18 en a cependant enterré plusieurs, sans doute en raison du trop grand nombre de morts dans les familles.
Frapper aux portes pour une friandise rappelle étrangement Halloween...
Sources : Almanach de la mémoire et des coutumes de Provence par Claire Tiévant. Albin Michel éditeurs. 1984.