Nice-Matin (Cannes)

La Tour St-Gabriel solitaire et oubliée

Ouvrage à vocation militaire n’offrant même pas un espace d’habitat, il a été construit du côté de Tarascon avec la finesse et la délicatess­e d’un palais.

- NELLY NUSSBAUM nous@nicematin.fr

Àcinq kilomètres de Tarascon, sur la route d’Arles, posée sur une hauteur se dresse une constructi­on qui semble oubliée. Proche de la chapelle Saint-Gabriel, cette tour solitaire qui n’a pas de nom propre est appelée Tour Saint-Gabriel. Peut-être un vestige du château templier de Lansac détruit vers 1360. Seul Prosper Mérimée avait en 1835, alors que l’archéologi­e médiévale

Un site important était encore balbutiant­e, remarqué le site qu’il a décrit en ces termes « derrière l’église, au sommet de la colline sur le penchant de laquelle elle est bâtie, s’élève une haute tour carrée, construite de grosses pierres en bossage. » Depuis, la tour est retombée dans l’oubli. Pourtant, située à l’extrémité orientale de la chaîne des Alpilles qui s’allonge entre Rhône et Durance, elle a dû constituer une place stratégiqu­e essentiell­e.

Une constructi­on impression­nante

Grande masse blanche, illuminée par le soleil qui joue sur les pierres en bossages – saillies à la surface de l’ouvrage dans un but d’ornementat­ion –, le monument se détache sur fond de verdure sombre, offrant une vision saisissant­e. En parvenant à son pied, on est pris d’admiration pour la beauté de l’édifice.

Si elle passe pour une constructi­on romaine, elle ressemble plutôt à une oeuvre de la seconde moitié du XIIe siècle, voire du début du XIIIe.

Mais son caractère unique, la rend difficile à dater. La tour, sans ouverture, a été bâtie directemen­t sur le rocher, taillé en talus. À droite de la porte, ouverte de plain-pied et large seulement de 0,80 m, un large fossé, taillé dans le roc, mais maintenant presque comblé, complète l’ensemble de cette fortificat­ion qu’il enferme dans un grand carré.

Il n’aurait constitué qu’un obstacle illusoire, si la défense n’avait été complétée au sommet par quelques bretèches ou des hourds – ouvertures de défense – permettant un tir vertical sur les assaillant­s qui auraient voulu forcer l’entrée. Deux autres tours carrées, d’un diamètre moindre, aujourd’hui presque entièremen­t ruinées, étaient placées de chaque côté de la tour principale. Elles ont été dressées en son devant, probableme­nt au XIVe siècle, en complément de défense.

Un triomphe de la pierre taillée

Par son magnifique travail de la pierre, la tour est un pur chefd’oeuvre, preuve de l’incomparab­le maîtrise des tailleurs de pierre qui s’est toujours affirmée en Provence de l’emprise romaine au XVIIIe siècle.

Les pierres, qui proviennen­t des carrières de Fontvieill­e situées à environ 6 kilomètres, sont de différente­s dimensions. Certaines mesurent 0,50 m de longueur et 0,30 m de hauteur. Celles placées en angle n’ont pas moins de 1,10 m de longueur, 0,32 m de hauteur et 0,52 m d’épaisseur. C’est considérab­le. Les parements sont faits de pierres à bossages plus ou moins saillantes et ciselées en relief discret. Le maître d’oeuvre aurait pu adopter le parti d’un mur lisse, mais il s’est complu dans des bossages de luxe, si remarquabl­ement affinés et si bien assurés qu’ils ont certaineme­nt nécessité l’emploi d’ouvriers très spécialisé­s. D’ailleurs, l’emploi des pierres à bossages dans l’architectu­re militaire médiévale pose bien des questions. Peutêtre permettaie­nt-elles de faire ricocher les boulets des pierriers, renforçant ainsi la protection des murs ?

Argument peu crédible, car une saillie n’ajoutait rien à un mur déjà épais de plusieurs mètres. En revanche, les aspérités pouvaient favoriser la pose d’échelles pour l’escalade et permettre de grimper à des soldats bien entraînés et légèrement équipés. En fait, il y a dans cette tour d’incontesta­bles émanations d’Antiquité. Rien d’étonnant puisque la région fut vraiment pétrie de romanité. Sans être taxés d’être des copistes de l’Antiquité, les maîtres du Moyen Âge lui ont emprunté ce qui leur paraissait techniquem­ent et esthétique­ment le meilleur, réalisant à l’instar de cette tour, de véritables morceaux choisis.

comme avant-poste au XIVe siècle

Source : Monuments méconnus de Provence par Henri-Paul Eydoux, éditions académique­s Perrin, 1978.

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. Installée sur un promontoir­e à une cinquantai­ne de mètres de la Chapelle Saint Gabriel, la tour sans nom en a pris le nom.
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