Sommes-nous entrés dans l’ère post-antibiotique ?
L’infectiologue niçoise, le Dr Véronique Mondain, tire la sonnette d’alarme. Si on ne réagit pas, on pourrait se retrouver confronté à une antibiorésistance généralisée
La découverte des antibiotiques à la fin des années trente par Alexander Fleming a totalement bouleversé la médecine. Sans eux, les infections courantes pourraient être mortelles. Leur action est simple : ils tuent les bactéries. Sauf que ces dernières savent riposter. « En moyenne, au bout de cinq ans, les bactéries exposées à un antibiotique commencent à exprimer une résistance. C’est un processus naturel d’adaptation. Le souci se pose lorsque ces bactéries résistantes trouvent des conditions idéales de multiplication et qu’on ne parvient plus à en venir à bout » ,résume le Dr Mondain, infectiologue au CHU de Nice. En cause dans cette antibiorésistance, la pression de sélection exercée par les antibiotiques omniprésents dans l’environnement. Ces quinze dernières années, leur utilisation mondiale aurait grimpé de… 65 % !
« La sensibilisation au problème de l’antibiorésistance est très récente. L’ONU s’est saisie du problème seulement en 2016, mais le situe aujourd’hui au même niveau que l’autre grand défi de l’humanité qu’est le réchauffement climatique. Les deux sujets partagent certaines causes liées aux comportements humains », pointe le Dr Mondain. Si la prise de conscience est tardive, les dégâts, eux, sont déjà bien visibles. «Des personnes meurent chaque jour parce qu’aucun antibiotique n’est plus efficace sur les bactéries qui les ont infectées. » Aujourd’hui, on évalue les décès annuels liés à la résistance bactérienne à 700 000 dans le monde par an (dont 33 000 en Europe). Certains experts estiment qu’en 2050, ce chiffre pourrait atteindre 10 millions ! La situation est particulièrement dramatique dans le sous-continent indien et en Chine où « l’antibiorésistance de bactéries banales de notre tube digestif, les escherichia coli, est supérieure à 60 % à la plupart des antibiotiques (contre environ 10 % en France), note le Dr Mondain. Par ailleurs, on sait qu’une personne sur deux qui se rend en Asie revient avec des bactéries multirésistantes dans le tube digestif. »
« Pas automatique ! »
À l’origine de cette résistance aux antibiotiques, trois causes majeures: « la surconsommation humaine, le mésusage animal et les problèmes environnementaux » ,résume l’infectiologue (lire encadrés). Concernant la surconsommation études confirment qu’il y a encore une prescription sur deux inutile ou inappropriée. « Le cas des angines est assez révélateur, soulève le Dr Mondain. 80 % d’entre elles sont virales – donc ne nécessitent pas d’antibiothérapie – et 20 % bactériennes. Il faudrait déjà commencer par faire un strepto-test (un prélèvement rapide dans la gorge, Ndlr) pour savoir de quel type d’angine il s’agit. Or, souvent les médecins ne le font pas. Dans les pays du Nord, très « vertueux » sur le maniement des antibiotiques, ils ne sont plus du tout utilisés dans le traitement des angines simples, même bactériennes. » Dans le contexte sanitaire, la spécialiste pointe une autre « erreur » : «Des antibiotiques sont presque systématiquement prescrits dans les cas de Covid alors que les surinfections bactériennes sont largement inférieures à 10 %. »
Microbiotes, phages
Si l’antibiorésistance est une réalité, elle n’est pas nécessairement une fatalité. « À son niveau, chaque citoyen peut agir, martèle le Dr Mondain. Le professeur Claude Bernard disait : « Le microbe n’est rien, le terrain est tout ». Une alimentation saine, de l’activité physique, pas de tabac, sont autant de facteurs qui vont favoriser une bonne immunité. »
Au plan de la recherche, et audelà de la découverte de nouveaux antibiotiques, plusieurs pistes sont intéressantes : l’utilisation du microbiote, les phages (virus des bactéries). Parfois, la phyto-aromathérapie peut permettre l’épargne des antibiotiques pour des infections bénignes. Au final, l’antibiorésistance est un phénomène universel qui doit être abordé sous l’angle de la santé globale (le principe « One Health » développé notamment par l’ONU),