Le chef Jacques Rolancy rend son tablier au virus !
« Le Rolancy’s » et « Le Bistrot des viviers » de la rue Alphonse-Karr, à Nice, mis en liquidation judiciaire. La Covid-19 est la goutte de trop dans un contexte déjà flambé par la crise ambiante
Son turbot grillé était divin et son foie gras poêlé sur un lit de saumon mariné et navets confits a fait vibrer plus d’un palais. Mais c’est fini. Les spécialités de Jacques Rolancy vont laisser un souvenir au goût amer : le Meilleur ouvrier de France a rendu son tablier. Ses deux affaires contiguës, le Rolancy’s et le Bistrot des viviers, 22, rue Alphonse-Karr, à Nice, ont été mises en liquidation judiciaire.
Fermé depuis le confinement, en mars, le double restaurant couvrant 500 m2, assurant 90 couverts par service, n’a plus jamais rouvert. Hier matin, un huissier est venu faire l’inventaire du matériel qui sera vendu aux enchères et le liquidateur a trois mois pour céder le local au plus offrant…
Fin de quatorze années de délice pour cette enseigne prisée par une belle clientèle faite de Niçois, de touristes, de gens aisés, de jeunes moins nantis, d’artistes en quête de quiétude feutrée…
En baisse depuis
Malgré sa tristesse résignée, Jacques Rolancy, 58 ans, raconte l’aventure de ce « gros bateau ». Des difficultés financières ? Oui : depuis 2010. En cause : « La crise économique, les attentats, les travaux du tram, les “gilets jaunes”. » Baisse du chiffre d’affaires même si la maison a été restructurée et les dépenses surveillées. «Enpersonnel, on était limite. On tournait à dix et si l’un des employés était malade, les autres acceptaient de travailler plus et je les en remercie profondément. Des fois, on était trop nombreux, d’autres fois, insuffisants. »
Jacques Rolancy. Lyonnais. A travaillé avec Alain Chapel, Joël Robuchon. A passé quatorze ans à Londres, comme chef de cuisine d’un palace, le Hilton Park Lane. Meilleur ouvrier de France en 1996. Reprend Les Viviers en 2006, où il débite 2 tonnes de poisson par mois, acheté en direct. À la fois chef de cuisine et chef d’entreprise. Au four et au moulin. Un mix qui n’a pas toujours fait recette : « Il y a trois ans, j’ai pris un coach pour essayer d’analyser et comprendre mes problèmes. On a changé la carte et les prix. En fait, ma gestion n’était pas assez pointilleuse. Une des raisons aussi du fléchissement, mais quand on a la tête dans le guidon, on perd du recul, malgré les économies qu’on peut faire. »
Le coup de hachoir
Arrive le coronavirus. Le coup de hachoir. « En mars, on n’a pas obtenu le prêt garanti par l’État, car mes bilans n’étaient pas suffisamment bons. Pourtant j’avais l’espoir de rouvrir, j’avais engagé des travaux, mais la Banque de France a dit non. Comment, dans ce cas, payer loyer, personnel, fournisseurs ? Alors j’ai dit stop ! »
Les affaires en tandem sont mises en vente. Sans suite. « Ceux qui veulent acheter attendent au maximum. » Mais le chef n’a pas voulu passer à la casserole de cette manière. Il a préféré être mangé à la sauce du tribunal de commerce qui a prononcé sa liquidation judiciaire voici une semaine.
Il ne touchera rien. Il est touchant : « J’avais investi 500 000 euros, mais la santé n’a pas de prix… Notre corps est le temple de notre esprit, il serait dommage de ne pas conserver sa santé si nous voulons avoir l’entière possession de ses facultés intellectuelles et physiques. »
Connecté à un ailleurs
Sa richesse est au fond de son coeur : quatorze ans de passion culinaire partagée, non seulement autour des tables chics, mais aussi dans des associations, des écoles, des hôpitaux pour enfants, personnes âgées, handicapés à qui il a réappris la cuisine. « Voir tous ces sourires… Le vrai plaisir de notre métier. La convivialité. Offrir à l’autre. »
Jacques Rolancy a des larmes dans la voix, mais le bleu de ses yeux est déjà tourné vers le futur. Il saura tourner la page. Il va rebondir. Où ? Quand ? Comment ? Mystère : « Je reste dans la cuisine, je vais retravailler, mais pour prendre du plaisir avec mon épouse. » Comme c’est alléchant…