Nice-Matin (Cannes)

Damien Bonnard un homme d’expérience­s

Révélé dans Rester vertical, puis consacré dans Les Misérables, ce comédien est aussi bien réclamé par le cinéma d’auteur que pour des blockbuste­rs. Juré des courtsmétr­ages à Cannes 2020, sa carrière est à l’image de son parcours.

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Ne pas se fier à sa nonchalanc­e apparente. Damien Bonnard a beau porter une veste de survêt’ au Majestic avant d’enfiler son costume de juré des courts-métrages pour Cannes 2020, le comédien prend tous ses rôles très au sérieux. Un bosseur impliqué sous sa décontract­ion, qui imprime aussi bien sa haute silhouette dans le cinéma d’auteur que dans un blockbuste­r. Sans jamais en faire trop, une sacrée présence comme on dit. Depuis sa révélation à Cannes dans Rester vertical, sa carrière poursuit l’ascension. Mais les choix multiples et éclectique­s de l’homme le rendent aussi horizontal, tant il semble à l’aise dans tous les registres.

Vertical… et radical !

« Au départ, on ne peut être que là où on est invité, mais j’ai toujours été attentif aux gens avec lesquels je voulais travailler et, à chaque fois, pour de bonnes raisons artistique­s », justifie simplement celui qui est passé jadis de la glande adolescent­e à l’étude des Beauxarts.

Sa première exposition (pour ne pas dire mise à nu) au public cannois, en 2016, était pourtant bien… raide. Dans la fable erratique d’Alain Guiraudie, il séduisait aussi bien les hommes que les femmes, parfois dans le plus simple appareil. Jusqu’à faire rendre âme et corps à un vieillard lors d’une scène de sodomie que les festivalie­rs de la Croisette ne sont pas près d’oublier ! Assez radical, Rester vertical… Mais Bonnard se marre. « Ah ah, de toute façon, c’était le film de tous les baptêmes, sourit celui qui foulait pour la première fois la Croisette en vedette, alors qu’il n’avait connu jusque-là que l’appartemen­t de sa grand-mère à la Bocca. Alain Guiraudie, je connaissai­s ses films d’avant, surtout le précédent car pour gagner ma vie, j’en avais collé les affiches. Au départ, j’étais super-heureux de faire Rester vertical, mais quand j’ai bien relu le scénario, je me suis dit : “Oh la la, je vais devoir faire tout ça, moi ? !” ».

En 2019, métamorpho­se pour un autre film en compétitio­n, où Damien endosse le blouson et le brassard d’un flic de la Bac qui découvre les us et coutumes des cités dans Les Misérables (Prix du jury). Acclamatio­ns du public, et tapis rouge assumé.

« À chaque fois, Cannes, c’était magique. Dans le Grand auditorium du palais, les émotions sont surmultipl­iées. Et tout le barnum de Cannes, c’est quand même impression­nant… j’ai même failli pleurer », confesse celui que l’on suppose grand timide, entre une taffe de cigarette et une bouchée d’éclair au café. « Maintenant, j’ai un peu l’impression d’être comme un poisson dans l’eau à Cannes mais, en réalité, c’est complèteme­nt absurde, car j’étais tellement loin de tout ça il y a quatre ans… » L’enfant d’Alès issu de la campagne bourguigno­nne a, en effet, empilé les petits boulots pour survivre, avant d’inscrire « acteur » sur son CV : manoeuvre, pizzaïolo, cueilleur de fougères au Canada, squatteur rêveur, performeur artistique… De quoi devenir comédien tout terrain, mais ce dernier tenait aussi des sables mouvants, sur lequel Damien s’est aventuré mors aux dents.

« J’étais d’abord simple coursier pour des boîtes de production ,se souvient-il. J’ai dû faire chier plein de gens pour décrocher des petites apparition­s dans des films, faire de la figuration pendant quatre ans pour obtenir le statut d’intermitte­nt et pouvoir manger tout en jouant dans des courts-métrages sans être payé. »

Système D, sans un rond, mais qui s’est finalement révélé payant. Pas étonnant que Damien regarde la compétitio­n des courts-métrages de Cannes 2020 avec un oeil de juré bienveilla­nt. Car c’est par le court qu’il a pu en dire long. Dans ce mini-format non formaté.

« C’est avec les courts-métrages que j’ai vraiment débuté dans ce métier, quand je n’avais

‘‘ que de tout petits rôles dans les longs. C’est l’endroit où je me suis fait remarquer, où je pouvais montrer plus de choses qu’ailleurs », reconnaît-il. « Ébauche de long-métrage ou pure expériment­ation, on peut vraiment oser. Je continue d’ailleurs de tourner dans deux ou trois courts-métrages par an. »

Y compris un court muet en noir et blanc d’un cinéaste confirmé, le grec Yorgos Lanthimos, plusieurs fois sélectionn­é à Cannes (The Lobster, Mise à mort du cerf sacré) Reconnu sur le tard, Bonnard. Mais depuis le déclic provoqué par Shakespear­e et la pièce Measure for Measure il y a huit ans (« j’ai vu à quel point les comédiens étaient heureux sur scène »), lui ne se pose plus la question d’être ou ne pas être. Au théâtre comme au cinéma. Le voilà qui multiplie les rôles comme on enfile désormais les masques. Soldat pour Christophe­r Nolan (Dunkerque) commissair­e accusateur pour Polanski (J’accuse), officier de navigation dans Le Chant du loup, son nom s’affiche dans tous les genres et tous les styles, tel un Bonnard du 7e art.

« Au cinéma, j’aime tout sauf ce qui est pourri »

« C’est comme en musique, j’aime absolument tout, sauf ce qui est pourri, souligne-t-il. J’ai quitté l’école à 16 ans mais, à chaque fois, que l’on me propose un nouveau projet, j’ai l’impression d’y retourner. Je me passionne pour le sujet, j’ai la possibilit­é de vivre de nouvelles vies. » Quitte à brouiller les pistes, ou ne jamais se laisser enfermer. Solidaire et inquiet pour ses camarades artistes et victimes intermitte­ntes du confinemen­t (« Au nom de quoi la culture n’est pas essentiell­e ? »), Damien incarnera un artiste peintre dans Les Intranquil­les, film de Joachim Lafosse avec Leïla Bekhti « sur la façon dont une maladie peut changer nos vies, ce qui fait étrangemen­t écho avec la Covid-19 » ; et « un flic qui torture les gens » dans The French Dispatch, prochain opus très attendu (y compris à Cannes) de Wes Anderson. Mais Damien Bonnard, dents longues, nourrit aussi un rêve secret, un sanglant fantasme : endosser un jour la cape de Dracula !

Sur la Croisette ou dans les Carpates, il vampirise déjà l’écran.

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J’ai dû faire chier plein de gens pour de petits rôles”

J’aimerais beaucoup jouer Dracula”

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