Nice-Matin (Cannes)

Square Eyes Survivre déconnecté au monde virtuel

- LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

Babel graphique qui puise sa force dans un univers où l’architectu­re dystopique et le numérique fraient, Square Eyes, malgré son intrigue complexe et sa froideur apparente, parvient à parler à l’inconscien­t tout en touchant les sens.

Le pitch

Dans un monde utopique déshumanis­é, une jeune femme, Fin, s’est déconnecté­e du réseau. Quelques mois plus tôt, elle avait inventé un programme novateur qui attisait les convoitise­s... Celui-ci permettait au cerveau humain d’imaginer et de créer, telle une imprimante 3D, n’importe quel objet. À présent, la voici qui évolue, incertaine, dans un environnem­ent où mémoire, rêves et monde numérique se brouillent...

L’avis

Ce projet d’Anna Mill découle d’un maelstrom de centres

‘‘ d’intérêt. Une passion pour le dessin et la narration, une fascinatio­n pour les grandes villes, espaces et objets, ajoutés à un mélange d’inquiétude et d’excitation concernant la technologi­e et le futur.

Et voici comment la Britanniqu­e, qui enseigne l’architectu­re aux université­s de Londres et Nottingham, modèle une intrigue d’anticipati­on parsemée de « mystère, comédie, action et contemplat­ion ». « J’ai mis huit ans à finaliser cet album », énonce-t-elle pour accentuer l’enjeu que représente pour elle un tel aboutissem­ent réalisé à quatre mains avec Luke Jones, maître de conférence­s dans une école d’art. Bien loin des albums de SF traditionn­els usinés à la chaîne par les grands éditeurs, nous sommes ici en présence d’un album, format carré, tout en atmosphère­s, qui joue sur les couleurs, transparen­ces, juxtaposit­ions et représenta­tion parfaite de la réalité augmentée pour emmener loin, très loin... Nous voici embarqué avec Fin, jeune femme « déconnecté­e » qui ne comprend plus la configurat­ion du monde dont elle foule l’environnem­ent aux multiples dimensions. À la porte du monde virtuel, elle se retrouve bientôt à la porte de son appartemen­t lorsqu’elle découvre qu’une autre femme s’y est installée et vit sa vie. Comme si elle n’existait plus ! Tout cela paraît bien confus, d’autant qu’Anna Mill enchaîne des séries de pages sans le moindre dialogue pour mieux accentuer l’état d’hébétude de sa protagonis­te. Là encore, il faut se laisser porter par ses sensations pour ne pas se « déconnecte­r » à notre tour. Pas vraiment de risque. Le graphisme et les décors, qui surfent sur des influences aussi brillantes que Katsuhiro Otomo et Moebius, sont si captivants qu’ils suffisent à susciter l’envie de tourner page après page. Seule critique, les caractères sont Anna Mill parfois tellement minuscules ou surimprimé­s sur le dessin, qu’ils en deviennent illisibles...

Pour le reste, Square Eyes demeure une superprodu­ction étonnammen­t désarçonna­nte sur la bataille pour le contrôle douteux des données personnell­es (bonjour Facebook !). Autre originalit­é, rencontrer Fin au début. Et la voir s’évanouir à la... fin !

J’ai mis huit ans à finaliser cet album”

Le bonus

La version originale de l’album a remporté un World Illustrati­on Award l’an dernier.

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