Square Eyes Survivre déconnecté au monde virtuel
Babel graphique qui puise sa force dans un univers où l’architecture dystopique et le numérique fraient, Square Eyes, malgré son intrigue complexe et sa froideur apparente, parvient à parler à l’inconscient tout en touchant les sens.
Le pitch
Dans un monde utopique déshumanisé, une jeune femme, Fin, s’est déconnectée du réseau. Quelques mois plus tôt, elle avait inventé un programme novateur qui attisait les convoitises... Celui-ci permettait au cerveau humain d’imaginer et de créer, telle une imprimante 3D, n’importe quel objet. À présent, la voici qui évolue, incertaine, dans un environnement où mémoire, rêves et monde numérique se brouillent...
L’avis
Ce projet d’Anna Mill découle d’un maelstrom de centres
‘‘ d’intérêt. Une passion pour le dessin et la narration, une fascination pour les grandes villes, espaces et objets, ajoutés à un mélange d’inquiétude et d’excitation concernant la technologie et le futur.
Et voici comment la Britannique, qui enseigne l’architecture aux universités de Londres et Nottingham, modèle une intrigue d’anticipation parsemée de « mystère, comédie, action et contemplation ». « J’ai mis huit ans à finaliser cet album », énonce-t-elle pour accentuer l’enjeu que représente pour elle un tel aboutissement réalisé à quatre mains avec Luke Jones, maître de conférences dans une école d’art. Bien loin des albums de SF traditionnels usinés à la chaîne par les grands éditeurs, nous sommes ici en présence d’un album, format carré, tout en atmosphères, qui joue sur les couleurs, transparences, juxtapositions et représentation parfaite de la réalité augmentée pour emmener loin, très loin... Nous voici embarqué avec Fin, jeune femme « déconnectée » qui ne comprend plus la configuration du monde dont elle foule l’environnement aux multiples dimensions. À la porte du monde virtuel, elle se retrouve bientôt à la porte de son appartement lorsqu’elle découvre qu’une autre femme s’y est installée et vit sa vie. Comme si elle n’existait plus ! Tout cela paraît bien confus, d’autant qu’Anna Mill enchaîne des séries de pages sans le moindre dialogue pour mieux accentuer l’état d’hébétude de sa protagoniste. Là encore, il faut se laisser porter par ses sensations pour ne pas se « déconnecter » à notre tour. Pas vraiment de risque. Le graphisme et les décors, qui surfent sur des influences aussi brillantes que Katsuhiro Otomo et Moebius, sont si captivants qu’ils suffisent à susciter l’envie de tourner page après page. Seule critique, les caractères sont Anna Mill parfois tellement minuscules ou surimprimés sur le dessin, qu’ils en deviennent illisibles...
Pour le reste, Square Eyes demeure une superproduction étonnamment désarçonnante sur la bataille pour le contrôle douteux des données personnelles (bonjour Facebook !). Autre originalité, rencontrer Fin au début. Et la voir s’évanouir à la... fin !
J’ai mis huit ans à finaliser cet album”
Le bonus
La version originale de l’album a remporté un World Illustration Award l’an dernier.