Nice-Matin (Cannes)

Nathalie Péchalat : « Nous ne sommes pas des justiciers »

- PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MICHEL tmichel@nicematin.fr

Membre du jury des Sportel Awards ,la « Cléopâtre » du patinage français, désormais présidente de la Fédération des sports de glace, entend redorer un patinage terni par les affaires de harcèlemen­ts moral et sexuel, et appelle le gouverneme­nt à aider le monde du sport face à la crise actuelle

Elle manie le verbe avec la même aisance qu’elle domptait la glace. Aiguisé comme les lames de ses patins olympiques, le propos de Nathalie Péchalat l’a portée à la tête de la Fédération des sports de glace (FFSG) le 14 mars alors que le patinage artistique français était traîné dans la boue après des révélation­s de harcèlemen­ts moral, physique et sexuel. Le lendemain, le pays tout entier était confiné et la pratique sportive muselée. Dans l’ombre, et en équipe, la triple championne d’Europe de danse sur glace a alors fait le ménage en interne, sans stigmatise­r les forces en présence. Une mise à niveau éthique et juridique essentiell­e pour celle qui refuse de personnifi­er son action et a appris à cloisonner son intimité, notamment face à l’indélicate­sse de magazines people gourmands de clichés de la belle et son mari, Jean Dujardin. Retraitée des patinoires depuis 2014, année de sa finale dans Danse avec les Stars, Nathalie Péchalat continue de prendre une envergure qu’on lui prédisait déjà en coulisses des grandes compétitio­ns. D’autant que la Rouennaise, engagée auprès de l’associatio­n Premiers de cordée – qui amène le sport auprès des enfants hospitalis­és –, n’est pas du genre à fuir ses responsabi­lités. Un caractère bien trempé qui sait se nourrir du doute et interpelle aujourd’hui l’État : « On a l’impression d’être les oubliés du gouverneme­nt ».

Vous voilà présidente de la FFSG, logique dans votre parcours ?

C’était surtout soudain. Ça a été vraiment lié à la débâcle médiatique qu’on connaît et assez rapidement il a fallu se déterminer. Au bout de quelques jours je me suis rendu compte que j’y pensais beaucoup trop pour renier le fait que ça m’intéressai­t, dans le sens où c’est en faisant partie d’un système qu’on peut arriver à le faire évoluer. Ce n’était pas l’objectif de ma vie mais je me suis dit qu’il fallait y aller.

Êtes-vous à l’aise avec cette fonction politique ?

Je ne vois pas les choses comme ça et j’espère que ça va rester comme ça [rires]. Ce n’est pas une place pour laquelle je suis prête à donner mes valeurs et ma vie personnell­e. Je le fais du mieux que je peux et donne énormément d’énergie mais je ne suis pas prête à tout pour sauver ma place, juste prête à tout pour faire évoluer la Fédération.

Tout est bien cloisonné…

Oui et si ça doit s’arrêter demain, ça s’arrêtera. Je ne suis pas dans le tissu politique. Si on est partenaire et qu’on travaille ensemble, comme on le fait avec le ministère des Sports, ça se passe bien. Quand on n’est pas d’accord on se le dit et on avance ensemble, en trouvant d’autres solutions.

Vous avez pris vos fonctions au coeur d’une crise sanitaire et de dénonciati­ons de harcèlemen­ts en interne, qu’en est-il ?

C’est l’année magique [rires] .Ona tout eu. On a pu mettre énormément d’actions en place sur le volet éthique pour donner des clés à nos dirigeants et encadrants, qu’il est primordial de ne pas stigmatise­r. On sait que ça arrive, que ce ne sont pas forcément des cas isolés, mais il faut aussi aider à départager un comporteme­nt inappropri­é d’un comporteme­nt approprié. On est là pour aider et on a mis en place une référente qui reçoit les fiches de signalemen­t. On peut traiter tous ces problèmes de violences physiques, morales ou sexuelles.

Il y a eu une vraie réaction, donc.

Oui ! On est prêts à aider les victimes, écouter les témoins, sanctionne­r les coupables lorsque c’est avéré, et solidifier le tissu des encadrants dans le but de rendre de la confiance à nos licenciés. Sur le plan juridique, il a aussi fallu modifier les statuts et règlements, dont le Code du sport, qui n’étaient plus conformes aux lois. Ça a pris une énorme partie de l’été mais c’est un chantier qui permet d’éviter le zigzag juridique à chaque dossier compliqué.

Et la crise sanitaire et économique ?

Ça a été la cerise sur le gâteau. C’est une situation critique et complexe parce qu’il n’y a pas que la Fédération qui est en jeu mais tous les clubs sportifs et nos sportifs de haut niveau, qui peinent à se remobilise­r alors qu’ils n’ont pas forcément d’échéances fixes. Nos clubs sportifs ont une perte de  % de licenciés et certains vont licencier leurs entraîneur­s et fermer. Ce n’est plus un modèle viable et, au-delà des associatio­ns sportives, ne pas pouvoir faire son sport est un vrai problème de société.

Dont on mesurera les conséquenc­es à long terme…

Ça va être catastroph­ique. On nous prive de certaines libertés, je le comprends et nous sommes tous prêts à l’accepter, mais ne pas pouvoir faire du sport pour s’entretenir physiqueme­nt et s’échapper mentalemen­t est dramatique. Et puis le sport aide à lutter contre les violences, la radicalisa­tion, ça crée du lien social, ça gomme les différence­s, ça apprend le respect de l’autre et le respect du règlement.

Des clubs comme les Brûleurs de Loups (Grenoble) en hockey ont lancé une pétition pour accueillir du public. Qu’en pensez-vous ?

Les gens ne peuvent pas faire du sport, ni le regarder. Comment peut-on espérer que le modèle économique et social puisse filer droit même jusqu’à Paris . Ça me paraît dingue. Une tribune a été signée par  fédération­s dans L’Équipe, dont la FFSG, justement pour alerter. On comprend que nous n’étions pas la priorité, qu’il y avait d’autres soucis, mais là on a l’impression d’être les oubliés du gouverneme­nt.

En tant que maman, quel message adresserie­z-vous aux parents de victimes de harcèlemen­ts ?

On a incité à la libération de la parole, les choses changent et les mentalités vont pouvoir évoluer. Une fédération ne peut pas se substituer à la justice, par contre on peut accompagne­r, recueillir les signalemen­ts et transmettr­e à la cellule sport du gouverneme­nt qui mène une enquête. Nous ne sommes pas des justiciers mais on creuse l’enquête et on se porte partie civile dans tous les dossiers de violences sexuelles. On a aussi réactivé la commission disciplina­ire pour pouvoir sanctionne­r ceux qui posent des soucis.

La libération de la parole en interne est primordial­e. Avezvous échappé vous-même à une forme de harcèlemen­t ?

Mon histoire personnell­e m’appartient. Ce qui m’intéresse en tant que présidente, c’est ce qu’on peut faire aujourd’hui et demain pour sauver, rassurer, et assurer la sécurité de nos licenciés.

Vous n’entendez pas personnifi­er ce combat contre les violences ?

Je ne suis pas du tout là pour ça, ce n’est pas ma place. Je ne suis d’ailleurs pas là pour vous raconter mon histoire personnell­e.

Le faites-vous dans votre livre Les Bénéfices du doute, à paraître le  novembre ?

Non plus [rires]. Je raconte ma carrière depuis  ans mais ce n’est pas une autobiogra­phie, plutôt comment j’ai traité le doute à différents moments de ma vie.

Quand avez-vous compris que le doute pouvait être votre allié ?

Assez tard finalement. Je devais avoir bien  ans. Quand on est enfant on ne doute pas, on est dans le jeu. En grandissan­t, moins il y a de jeu, plus il y a d’enjeux et de pressions qui pèsent sur les épaules et font douter. Jusqu’au jour où je me suis rendu compte qu’en humanisant le doute, en l’acceptant, en le nommant, je pouvais le convoquer, le chasser. Avoir une relation d’égal à égal. Ce n’est pas lui qui décidait à quel moment il devait intervenir et comment je devais réagir. Je me suis sentie épaulée par ce petit bonhomme qui est devenu un allié. Si je ne le vois pas pendant quelques semaines, ça m’inquiète, je me dis qu’il y a un souci [rires]. Qu’il faut qu’on se parle.

Vous vous êtes confrontée à d’autres mentalités en Russie et aux États-Unis, des expérience­s que vous souhaitez mettre au profit de la formation française ?

Oui totalement. En Russie j’ai pris confiance en moi, j’ai accepté même les points négatifs parce que le coach soulignait mes points positifs. Je n’ai jamais eu l’impression d’être une moins que rien et de devoir me lever pour aller au turbin. Aux États-Unis, c’est vraiment la culture de l’échec qui mène à la réussite. La première fois que je me suis cassée la figure, mon entraîneur m’a applaudi ! Je me suis dit qu’il se fichait de moi mais en fait il trouvait génial que je sorte de ma zone de confort, pour pouvoir progresser. Ces six années d’expatriati­on m’ont changé énormément. Je n’ai jamais été isolée, j’ai toujours fait en sorte de reconstrui­re mon chez moi, même ailleurs.

‘‘ Le sport aide à lutter contre la radicalisa­tion ”

Monaco a une culture des sports de glace, à commencer par son Prince qui a participé à cinq olympiades en bobsleigh. Est-ce un partenaire d’avenir ?

En carrière je me souviens qu’on passait beaucoup de temps avec le team leader de Monaco, on avait l’impression de faire partie de la même maison donc on va continuer et même développer cette relation. Il y a des échanges d’athlètes et de bons procédés et on est en pourparler­s dans des discipline­s comme le bob. On travaille main dans la main.

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