Derrière l’hommage le mal-être des profs
Nice. La minute de silence a été respectée mais s’est accompagnée par quelques débrayages de profs en colère qui n’ont pas eu l’autorisation de se concerter pour monter cet hommage
Il y a eu Samuel Paty, cet enseignant assassiné il y a quinze jours pour avoir fait son métier. Il y a eu Nadine, Simone, Vincent tombés sous les coups d’un terroriste islamiste, jeudi, dans la basilique de Notre-Dame à Nice. Des événements terribles qui ont choqué les Français et les Niçois, bouleversé la communauté enseignante. Alors, pour les profs, cette rentrée de la Toussaint ne devait pas être comme les autres. Mais solennelle, empreinte d’émotions et d’enseignement, pour une minute de silence respectée et honorée. Sans aucun débordement d’élèves. Elle l’a été dans la grande majorité des établissements scolaires des Alpes-Maritimes et du Var. Ailleurs, la reprise des cours s’est faite dans la colère, avec des débrayages d’enseignants plongés dans le désarroi et le mal-être.
Temps d’échange accordé puis refusé
À l’origine de ce mouvement, un temps de concertation réclamé par les profs pour préparer cette rentrée si spéciale. Temps accordé par le ministère avant de se rétracter, vendredi après-midi, en raison de « l’urgence sanitaire » et « le contexte terroriste ».
« Ces deux heures banalisées, sans cours, que l’on demandait, on en avait besoin. Pour permettre, à nous, enseignants, d’échanger après tout ce qu’on a vécu, souffle Fabienne Langoureau, secrétaire académique du SNES-FSU, syndicat enseignant. Hier matin, la majorité des collèges et lycées du département, tout en accueillant les élèves, a accordé aux enseignants ce moment de concertation. « Ailleurs, les profs ont dû débrayer pour prendre ce temps d’échange », appuie Fabienne Langoureau. Selon le SNES-FSU, cela a été le cas dans les collèges Giono, Port-Lympia à Nice, La Bourgade à La Trinité, Carnot à Grasse, ainsi que dans les lycées Maulnier, Parc-Impérial à Nice, Bristol à Cannes.
Parler entre eux pour pouvoir mettre des mots sur l’ignominie. Se concerter pour trouver le ton juste pour s’adresser aux élèves. « Parce que reprendre les cours comme si rien ne s’était passé, c’est juste impossible », fulmine Didier, professeur de SVT au lycée Thierry-Maulnier à Nice qui a débrayé hier.
« Nous sommes submergés par l’émotion »
Pour Christopher, professeur d’histoire et géographie au collège Port-Lympia à Nice la minute
(1) de silence observée hier en mémoire de Samuel Paty est insuffisante.
« Comment expliquer à des élèves de onze à quinze ans que des personnes ont été égorgées, qu’un professeur a été décapité. Nous sommes, nous-mêmes, submergés par l’émotion, dans l’incapacité de faire cours. Or, l’administration, au lieu de nous soutenir, nous laisse seuls, face à nos élèves, en nous lançant un “débrouillez-vous”. C’est extrêmement violent. »
Une colère que partage Fabienne Langoureau : « Dites-moi qu’est-ce qui aurait fondamentalement changé, si au lieu d’accueillir 700 élèves à 8 heures (hier) sans aucune distanciation physique, on les avait reçus à 10 heures ? On marche sur la tête ! L’urgence sanitaire et le contexte terroriste ne sont que des mots. Juste une façon de se débarrasser du problème ! », s’étrangle cette professeure de lettres au lycée Calmette (Nice).
« Pour mes élèves, cela ne sert à rien d’en parler »
Hier matin, elle n’a pas fait cours, mais a parlé « pendant deux heures à ses élèves ». De Samuel Paty, de l’attentat à la basilique NotreDame. « Mes élèves m’ont répondu que “cela ne sert à rien d’en parler, qu’eux, ils vivent avec”. » À Maulnier, les profs en grève se sont organisés pour reprendre les cours, ce matin, différemment. « Nous serons quatre enseignants par classe, pour parler aux élèves afin d’appuyer notre message, martèle Didier. Leur expliquer que ce sont nos valeurs, nos libertés, notre humanité qui sont attaquées. On pensait que le professeur était considéré, protégé. On s’est trompé. À nous de construire quelque chose de différent pour ne pas laisser nos élèves dériver sur les réseaux sociaux. »