Transport de migrants : une industrie prospère
Deux Afghans et un Tunisien appartenant à un réseau de passeurs ont été condamnés à 5 ans de prison. Selon l’enquête, des « go fast » transportaient entre 20 et 100 migrants par nuit
Ce sont de véritable « go fast », à la manière des trafiquants de drogue, qui étaient organisés depuis l’Italie au mépris de la sécurité des personnes transportées et des forces de l’ordre qui tentaient de les intercepter.
Les consignes données aux chauffeurs étaient claires : ne s’arrêter sous aucun prétexte, y compris quand des policiers ou des gendarmes en intiment l’ordre. Autre directive : une fois la frontière française franchie, débarquer au plus vite les candidats à l’exil sur la bande arrêt d’urgence, avant le péage très contrôlé de l’autoroute A8 à La Turbie. C’est ainsi que certaines nuits, jusqu’à cent personnes étaient débarquées par le réseau avant qu’elles ne s’égayent dans la nature parfois au péril de leur vie. Almas Sayed, Jamil Mangal, deux Afghans de 32 ans et 27 ans, ainsi que Fathi Lassoied, un Tunisien de 32 ans, arrêtés le 20 décembre 2019, viennent d’être condamnés par le tribunal correctionnel de Nice, présidé par Guillaume Saint-Cricq, à cinq ans d’emprisonnement et à une interdiction définitive du territoire français. Ils ont été reconnus coupables d’aide à l’entrée irrégulière d’étrangers, délit commis en bande organisée. L’un des condamnés et le parquet ont fait appel cette semaine de cette condamnation.
étrangers en cinq mois
Ces passeurs qualifiés de « professionnels », par la procureure Sandra Verbrugghen, installés en Italie avec des rabatteurs à Milan et à Vintimille, auraient acheminé, selon la gendarmerie, près de 2 000 étrangers en cinq mois. Jusqu’à quinze personnes étaient entassées dans des monospaces hors d’âge, achetés à bas prix, une précaution au cas où ils seraient saisis par les autorités françaises. Une vingtaine de personnes composerait cette association de malfaiteurs. L’enquête est partie d’une interpellation d’Amas Sayed le 4 juillet 2019 à Roquebrune-Cap-Martin par la police aux frontières (PAF). Ses onze passagers avaient versé entre 150 et 200 euros pour être conduits en France. Sayed, comme une dizaine de prévenus jugés en correctionnelle chaque semaine, aurait pu être jugé en comparution immédiate mais la justice a décidé de le relâcher... pour mieux le surveiller et démanteler le réseau. La section de recherche de Marseille et les autorités italiennes, qui avaient également Sayed dans le collimateur, décident de poursuivre de concert les investigations.
Les enquêteurs constatent en consultant les fichiers des radars automatiques, que la voiture de Sayed poursuit ses allers-retours à grande vitesse entre la France et l’Italie. La Guardi di Finanzi pense que l’individu a déjà envoyé 100 000 euros à Kaboul afin d’y construire une maison et de financer le mariage de son frère.
Une base arrière au Cannet
En novembre 2019, au col de Vescao, un chauffeur de la bande percute un véhicule de la gendarmerie et manque de renverser des militaires en prenant la fuite. Même risque inconsidéré lors d’un contrôle de la PAF en décembre, alors qu’il transporte treize Afghans et Pakistanais entassés dans le véhicule. Fathi Lassoied est alors interpellé et écroué. Les écoutes téléphoniques italiennes prouvent qu’il travaillait avec Sayed. Tout comme Jamil Manga, un autre Afghan considéré comme l’acheteur des voitures de l’organisation.
Domicilié dans un foyer du Cannet, sa chambre servait de point de chute à d’autres passeurs au point qu’il avait été expulsé peu avant son interpellation pour « suroccupation chronique. »
Me Julien Taddei, l’avocat d’Almas Sayed, conteste l’appellation de « lieutenant » pour son client : « C’est un homme qui a fui son pays, qui est devenu passeur avec l’espoir de pouvoir lui-même rallier l’Angleterre. Certes, c’est une cheville ouvrière de ce trafic, mais il est dommage que le vrai organisateur n’ait pas été mis en cause. »
Enquête financière en Italie
La procureure de la République Sandra Verbrugghen a requis huit ans d’emprisonnement et une interdiction définitive du territoire français, une peine d’une sévérité inhabituelle mais à la mesure du nombre de trajets effectués. La magistrate a salué au passage la coopération franco-italienne dans cette enquête.
Le volet blanchiment de cette affaire, lui, est entre les mains des policiers italiens. L’enquête transalpine est sur le point d’être clôturée.