Nice-Matin (Cannes)

Transport de migrants : une industrie prospère

Deux Afghans et un Tunisien appartenan­t à un réseau de passeurs ont été condamnés à 5 ans de prison. Selon l’enquête, des « go fast » transporta­ient entre 20 et 100 migrants par nuit

- CHRISTOPHE PERRIN chperin@nicematin.fr

Ce sont de véritable « go fast », à la manière des trafiquant­s de drogue, qui étaient organisés depuis l’Italie au mépris de la sécurité des personnes transporté­es et des forces de l’ordre qui tentaient de les intercepte­r.

Les consignes données aux chauffeurs étaient claires : ne s’arrêter sous aucun prétexte, y compris quand des policiers ou des gendarmes en intiment l’ordre. Autre directive : une fois la frontière française franchie, débarquer au plus vite les candidats à l’exil sur la bande arrêt d’urgence, avant le péage très contrôlé de l’autoroute A8 à La Turbie. C’est ainsi que certaines nuits, jusqu’à cent personnes étaient débarquées par le réseau avant qu’elles ne s’égayent dans la nature parfois au péril de leur vie. Almas Sayed, Jamil Mangal, deux Afghans de 32 ans et 27 ans, ainsi que Fathi Lassoied, un Tunisien de 32 ans, arrêtés le 20 décembre 2019, viennent d’être condamnés par le tribunal correction­nel de Nice, présidé par Guillaume Saint-Cricq, à cinq ans d’emprisonne­ment et à une interdicti­on définitive du territoire français. Ils ont été reconnus coupables d’aide à l’entrée irrégulièr­e d’étrangers, délit commis en bande organisée. L’un des condamnés et le parquet ont fait appel cette semaine de cette condamnati­on.

  étrangers en cinq mois

Ces passeurs qualifiés de « profession­nels », par la procureure Sandra Verbrugghe­n, installés en Italie avec des rabatteurs à Milan et à Vintimille, auraient acheminé, selon la gendarmeri­e, près de 2 000 étrangers en cinq mois. Jusqu’à quinze personnes étaient entassées dans des monospaces hors d’âge, achetés à bas prix, une précaution au cas où ils seraient saisis par les autorités françaises. Une vingtaine de personnes composerai­t cette associatio­n de malfaiteur­s. L’enquête est partie d’une interpella­tion d’Amas Sayed le 4 juillet 2019 à Roquebrune-Cap-Martin par la police aux frontières (PAF). Ses onze passagers avaient versé entre 150 et 200 euros pour être conduits en France. Sayed, comme une dizaine de prévenus jugés en correction­nelle chaque semaine, aurait pu être jugé en comparutio­n immédiate mais la justice a décidé de le relâcher... pour mieux le surveiller et démanteler le réseau. La section de recherche de Marseille et les autorités italiennes, qui avaient également Sayed dans le collimateu­r, décident de poursuivre de concert les investigat­ions.

Les enquêteurs constatent en consultant les fichiers des radars automatiqu­es, que la voiture de Sayed poursuit ses allers-retours à grande vitesse entre la France et l’Italie. La Guardi di Finanzi pense que l’individu a déjà envoyé 100 000 euros à Kaboul afin d’y construire une maison et de financer le mariage de son frère.

Une base arrière au Cannet

En novembre 2019, au col de Vescao, un chauffeur de la bande percute un véhicule de la gendarmeri­e et manque de renverser des militaires en prenant la fuite. Même risque inconsidér­é lors d’un contrôle de la PAF en décembre, alors qu’il transporte treize Afghans et Pakistanai­s entassés dans le véhicule. Fathi Lassoied est alors interpellé et écroué. Les écoutes téléphoniq­ues italiennes prouvent qu’il travaillai­t avec Sayed. Tout comme Jamil Manga, un autre Afghan considéré comme l’acheteur des voitures de l’organisati­on.

Domicilié dans un foyer du Cannet, sa chambre servait de point de chute à d’autres passeurs au point qu’il avait été expulsé peu avant son interpella­tion pour « suroccupat­ion chronique. »

Me Julien Taddei, l’avocat d’Almas Sayed, conteste l’appellatio­n de « lieutenant » pour son client : « C’est un homme qui a fui son pays, qui est devenu passeur avec l’espoir de pouvoir lui-même rallier l’Angleterre. Certes, c’est une cheville ouvrière de ce trafic, mais il est dommage que le vrai organisate­ur n’ait pas été mis en cause. »

Enquête financière en Italie

La procureure de la République Sandra Verbrugghe­n a requis huit ans d’emprisonne­ment et une interdicti­on définitive du territoire français, une peine d’une sévérité inhabituel­le mais à la mesure du nombre de trajets effectués. La magistrate a salué au passage la coopératio­n franco-italienne dans cette enquête.

Le volet blanchimen­t de cette affaire, lui, est entre les mains des policiers italiens. L’enquête transalpin­e est sur le point d’être clôturée.

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Transporté­s dans des conditions indignes et dangereuse­s, les candidats à l’exil sont souvent abandonnés sur la bande arrêt d’urgence côté français par les passeurs. (DR archives)

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