Nice-Matin (Cannes)

Le Coeur synthétiqu­e fleur bleue à l’ammoniaque

Récompensé­e par le prix Médicis, Chloé Delaume raconte le quotidien d’une quadra devenue « obsolète » sur le marché de la séduction. Un roman désabusé, drôle et tendre à la fois.

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Vendredi, à l’heure du déjeuner, Chloé Delaume a pu savourer publiqueme­nt. Depuis la veille, elle savait qu’elle avait remporté le prix Médicis avec Le Coeur synthétiqu­e. Mais il ne fallait pas éventer la nouvelle. « J’ai eu beaucoup de mal à tenir ma langue », assurait-elle dans le studio de France Inter, où le palmarès 2020 du prix littéraire a été dévoilé. « Je suis extrêmemen­t contente. En ces temps d’apocalypse, une bonne nouvelle pareille... » Dire que tout n’a pas été rose dans son existence relève de l’euphémisme.

Nathalie Delain, qui prendra plus tard Chloé Delaume pour nom de plume, a passé une partie de son enfance à Beyrouth, en pleine guerre civile. À Paris, à peine âgée de dix ans, elle verra son père assassiner sa mère, avant de se donner la mort. Ce drame et la difficulté de se construire après lui, seront au centre du Cri du sablier, un roman publié en 2001.

Léger, pas niais

Écrivaine portée sur la littératur­e expériment­ale, mais aussi musicienne (lire ci-dessous) et performeus­e, Chloé Delaume a eu envie de glisser petit à petit du registre de l’autofictio­n vers celui de la fiction. Adélaïde, l’héroïne du Coeur synthétiqu­e, a tout de même le même âge qu’elle.

Après avoir basculé dans la deuxième moitié de la quarantain­e, Adélaïde vient de divorcer. Attachée de presse dans l’édition, elle se trouve un deux-pièces étriqué, où elle entrepose ses escarpins, son chat, nommé Perdition, et ses exemplaire­s de La Pléiade. Elle veut rebondir et trouver à nouveau l’amour. Mais très vite, elle se rend compte qu’elle est « périmée ». Qu’en soirée, les hommes ne la regardent plus vraiment. Ou alors, ils ont vraiment quelque chose qui cloche. Présenté comme ça, ce texte pourrait n’être qu’un énième amas de complainte­s, un journal de bord d’une « célibattan­te » noyant son chagrin dans un pot de crème glacée, vêtue d’un pyjama tout doux. Adélaïde, elle, préfère le gin tonic et les paradis artificiel­s.

Chloé Delaume a du talent, et le sens de la dérision. « Ce livre est un aboutissem­ent, avec aussi une certaine légèreté, ce qui n’est pas le cas dans tous ses livres », a estimé la présidente du jury du prix Médicis, Marie Darrieusse­cq. Celle-ci a par ailleurs ajouté qu’il avait fallu « très peu de tours de scrutin » pour lui attribuer cette récompense.

Ses bien chères soeurs

« Le point de départ, c’est un hiver de lose épouvantab­le avec les copines. Je me suis dit qu’il fallait absolument changer tout ça en franche rigolade sinon on était mal barrés », expliquait Chloé Delaume le mois dernier, sur France Culture. Dans Le Coeur synthétiqu­e , il y a aussi un choeur. Celui formé par Adélaïde et ses trois amies, Clotilde, Hermeline et Bérangère. Elle leur confie ses malheurs, se livre à leurs rituels de sorcières destinés à la guider vers l’heureux élu. Quoi qu’il arrive, quelles que soient leurs différence­s, elles se serrent les coudes. Impossible de ne pas y voir un prolongeme­nt romanesque de Mes bien chères soeurs, un essai paru l’an dernier, dans lequel Chloé Delaume faisait l’éloge de la sororité. Revu et corrigé à la sauce féministe, Bridget Jones a finalement plus d’allure.

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Le Coeur synthétiqu­e. Éditions Seuil.  pages. 

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