Nice-Matin (Cannes)

Pourquoi la stèle de saint Sumian a le nombril usé ?

En Provence, nombre de sites portent le nom de ce saint. À Brignoles, sa statue est usée par... des siècles de baisers apposés sur son nombril par des femmes en mal d’enfants.

- NELLY NUSSBAUM nous@nicematin.fr

En raison de son climat bénéfique et de sa position géographiq­ue sur la grande voie Aurélienne qui reliait l’Italie à l’Espagne, Brignoles a de tout temps été un relais commercial où transitaie­nt produits de toute la région et provoquait un important brassage de population­s. Aujourd’hui encore, la ville, située au carrefour des routes du haut Var et du littoral, conserve le rôle important de ville-marché qu’elle détient depuis l’Antiquité. Il est donc naturel que l’on y trouve de nombreux vestiges des lieux de cultes édifiés par les différents peuples qui, par leur passage, ont façonné l’Histoire de la ville.

Saint Sumian, objet de culte priapique

La Provence possède un certain nombre d’autels-cippes en forme de pilier quadrangul­aire portant des inscriptio­ns et destiné à contenir des reliques de martyrs. Lorsqu’ils comportent une cupule à libation – petite coupe creusée dans la

‘‘ pierre pour offrandes –, ils sont appelés ara. Ce sont là des types primitifs d’autels dérivés de ceux, votifs ou funéraires païens, auxquels se sont progressiv­ement substitués les allars (autels tabulaires), mieux adaptés aux besoins liturgique­s.

Et, il est à Brignoles, un ara qui fut longtemps le dernier espoir des femmes infertiles. En effet, cet étrange cippe mérovingie­n représenta­nt un curieux personnage sculpté dans un bloc de pierre et entouré d’ornements galloromai­ns (lire encadré) fut longtemps un objet de culte priapique – relatif à Priape, dieu de la fertilité dans la mythologie grecque. Bien que son identifica­tion soit encore une énigme, nombre d’historiens s’accordent à dire que la statue évoque saint Siméon, soit sant Sumian en provençal, dont le culte s’était répandu en Italie dès le Ve siècle.

Pendant des siècles, les jeunes filles et les femmes stériles venaient poser leurs lèvres à l’endroit qui est le lien de la vie. Un point aujourd’hui bien usé et qui, placé sous les mains croisées de la statue, est appelé l’« embourigo de sant Sumian », soit son nombril ! Ce culte très particulie­r qui rattache aux différents rites actifs de fécondité a fini par être interdit par l’église vers le XVe siècle.

Mésaventur­es d’un saint voyageur

Mais, avant de reposer au Musée des Comte de Provence, le sant Sumian brignolais a pas mal bougé. Il faisait initialeme­nt partie d’un autel installé dans une chapelle appelée sanctuaire saint Sumian, située à 400 mètres au sud des remparts de Brignoles et attachée à l’abbaye Saint-Césaire d’Arles au XIIe siècle, si elle est encore signalée au XVe siècle, elle fut démolie à la fin du XVIe siècle. Puis, considéré comme simple bloc de calcaire, ce monolithe fut réemployé comme chaînage dans un mur des remparts de la ville, juste au bord de la route. Récupéré, il fit un bref passage dans l’église de Brignoles avant d’être récupéré en 1953 par le Dr André Jaubert (1870-1961) et installé dans son Musée du Vieux Brignoles. Il a été classé monument historique le 2 septembre 1954. Si de nos jours, on ne peut plus embrasser le nombril de sant Sumian, il reste la consolatio­n d’admirer la statue au musée baptisé aujourd’hui Musée des comtes de Provence à Brignoles. Une énigme est encore à résoudre. On ne sait pas vraiment pourquoi cette effigie de Siméon ou Sumian... Car en fait, même si on trouve son nom un peu partout dans la région, il n’y a aucune trace de son passage en Provence !

Culte de la fécondité jusqu’au début du XXe siècle”

Remercieme­nts à Camille Robillard, chargée des collection­s, Musée des comtes de Provence, Brignoles.

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