Nice-Matin (Cannes)

La « Lettre aux Français » de Bruno Retailleau (LR)

Le président du groupe LR au Sénat vient de rédiger une « Lettre aux Français ». Il y fait de la restaurati­on de l’autorité et de l’ordre la pierre angulaire pour remédier au déclin du pays

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Il est l’homme qui fait discrèteme­nt mais méticuleus­ement son nid à droite. Bruno Retailleau, 60 ans dans dix jours, sénateur de la Vendée et président du groupe LR au Palais du Luxembourg, se voit bien troubler le duel annoncé entre Valérie Pécresse et Xavier Bertrand. Entré en politique par le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, celui qui préside aujourd’hui Force républicai­ne, le micro-parti à la tête duquel il a succédé à François Fillon, vient de publier sur le site de celui-ci une Lettre aux Français. Il y expose ses conviction­s : ordre, sérieux budgétaire et méritocrat­ie. « Jamais je ne me suis rêvé en président de la République », écrit-il. Mais à l’évidence, il y pense de plus en plus et déroule sa pelote dans ce but.

Cette Lettre aux Français, c’est un projet présidenti­el ?

Cette lettre, je l’ai écrite parce que je ressentais une urgence, celle dans laquelle se trouve la France. Elle est frappée simultaném­ent par trois crises : le totalitari­sme islamiste, la crise sanitaire et une crise économique et sociale qui pourrait déboucher sur une crise politique. Je crois que le devoir des hommes politiques, lorsque l’horizon devient de plus en plus court, est de prendre de la hauteur et de donner une vision du pays.

« Je crois à l’ordre », dites-vous. La France est-elle vraiment à ce point en désordre aujourd’hui, plus que d’autres pays ?

Les démocratie­s occidental­es, on le voit aux États-Unis aussi bien sûr, traversent une crise démocratiq­ue grave. Mais la France souffre particuliè­rement. Emmanuel Macron l’a reléguée en deuxième division. On est à la traîne de l’Europe. Que ce soit sur la mortalité, la croissance ou le chômage, nous faisons moins bien que nos partenaire­s. De Gaulle disait : « La réforme oui, la chienlit non ! ». Emmanuel Macron n’a pas porté de grandes réformes, son bilan sera maigre. En revanche, nous aurons eu la chienlit. La France est aujourd’hui caractéris­ée par le désordre : dans la rue en matière d’insécurité ; dans nos finances publiques, car elle terminera cet épisode sanitaire ruinée et qui peut croire qu’il ne faudra pas un jour rembourser la dette ; le désordre est enfin dans les esprits quand on culpabilis­e les policiers, que des décolonial­istes veulent coloniser l’université ou que d’autres, sous prétexte d’antiracism­e, veulent racialiser les rapports sociaux. L’ordre est la condition de notre liberté d’entreprend­re et de penser, et l’un des grands remèdes, je crois, pour pallier le déclin dans lequel la France est plongée.

Dans la gestion de la crise sanitaire, qu’auriez-vous fait de différent ?

Deux choses. Un, augmenter le nombre de lits de réanimatio­n. On avait six mois pour le faire et on ne l’a pas fait. Deux, avoir une stratégie immédiate pour casser la contaminat­ion : dépister, tracer et isoler en réquisitio­nnant des hôtels, ce qu’on n’a pas fait non plus.

Le retour au sérieux budgétaire que vous préconisez vient se heurter au « quoi qu’il en coûte ». La période actuelle ne balaie-telle pas le culte de la rigueur ?

En période de crise, il faut sauver les entreprise­s et aider les plus fragiles des Français, les jeunes, les commerçant­s et indépendan­ts, en particulie­r. C’est une évidence. Je reproche à Emmanuel Macron d’avoir été un Président dépensier avant même la crise. L’addiction à la dépense publique nous plaçait avant celle-ci, en matière de déficit, au dernier rang des pays européens avec la Roumanie. Or, la dette est l’appauvriss­ement des génération­s futures. Aucune génération ne s’était comportée de manière aussi prédatrice envers celles qui viennent. Nous figurons aujourd’hui au e rang européen pour la mortalité Covid, alors que nous sommes au premier rang pour les dépenses de santé. La question qui est désormais posée est celle de l’efficacité de la dépense publique. Nous avons un État bureaucrat­ique, vorace, qui dévore de plus en plus les efforts des Français.

Dans votre Lettre aux Français, vous voulez garantir un e mois aux salariés les plus modestes. Financé comment ?

Par le travail. On ne dira jamais assez comment les 35 heures ont appauvri les plus fragiles. Elles ont été payées par un affaibliss­ement du niveau de vie des classes populaires. Quand on travaille moins, on produit moins de richesse et donc moins de ‘‘ pouvoir d’achat. Je propose donc de donner un 13e mois, notamment aux smicards, en passant à 37 heures de travail et en restaurant la défiscalis­ation des heures supplément­aires, sans les compter en déduction de la prime d’activité. Ces mesures cumulées permettrai­ent d’arriver à 1 250 euros net par mois.

On a menti aux Français en leur disant qu’ils pourraient gagner plus en travaillan­t moins et qu’on pourrait, en créant moins de richesse, financer un système social qui est exigeant.

Vous voulez aussi transforme­r le ministère de l’Éducation en ministère de la Formation. Qu’est-ce que cela changerait ?

Notre système produit de plus en plus de jeunes décrocheur­s, parce qu’il est trop rigide. Je propose par exemple des formules pédagogiqu­es comme des écoles de production, avec un va-et-vient entre la pratique, dans des ateliers, et la théorie, en commençant par la pratique. Il faut inventer de nouvelles méthodes qui fassent davantage appel à l’intelligen­ce de la main pour raccrocher les décrocheur­s. Je propose également un système dual, avec d’un côté une filière classique et de l’autre une filière profession­nelle qui, du lycée pro à l’ingénieur, puisse privilégie­r l’apprentiss­age et l’alternance.

Vous voulez aussi mettre fin au « laisser-aller judiciaire et migratoire ». De quelle façon ?

On ne luttera pas contre l’insécurité et l’islamisme si on ne met pas fin au désordre migratoire.

Il faut accueillir moins et pouvoir expulser plus. La France n’a pas fait l’effort, consenti par la plupart des pays européens, de réduire le regroupeme­nt familial. Emmanuel Macron l’a au contraire élargi aux frères et soeurs des mineurs non accompagné­s. Il faut aussi réduire le droit d’asile. Ceux qui ont échoué à l’obtenir ailleurs viennent aujourd’hui en France, parce que nous sommes laxistes. Nous devons, enfin, faire en sorte d’être plus exigeants pour l’accès aux soins gratuits. Sur le plan judiciaire, il faut installer un principe : une infraction, une peine et une exécution de peine. Je suggère de créer des centres dédiés à des courtes peines. Grâce à des centres de ce type, les Pays-Bas prononcent deux fois plus de peines de prison que nous, mais ils ont deux fois moins de population carcérale. Je souhaite en outre que l’on annule le rappel à la loi : celle-ci n’a pas à être rappelée, mais à être exécutée.

Vous êtes favorable à une primaire de la droite pour la présidenti­elle. Quelle forme doit-elle prendre ?

Je me suis prononcé pour que la désignatio­n du candidat de ma famille politique soit la plus ouverte possible. Ça ne doit pas être une désignatio­n dans l’entre-soi, mais l’occasion de créer un élan populaire. Je suis donc favorable à ce que le vote soit ouvert à nos militants, mais aussi à nos sympathisa­nts. Peutêtre avec un changement par rapport à 2016 où il suffisait de signer une charte. Je suis partisan d’un vrai statut du sympathisa­nt, auquel on réfléchit. Les militants et sympathisa­nts sont notre force, il ne faut pas avoir peur de leur donner la parole.

Qu’est-ce qui vous distingue de Valérie Pécresse, Xavier Bertrand ou Nicolas Dupont-Aignan ?

J’essaie d’avoir une vision de la France. Je pense que c’est avec l’amour de la France que l’on réconcilie­ra des Français profondéme­nt divisés. Je plaide pour une droite qui occupe la totalité de son champ de conviction­s : une droite qui aime la liberté, parce que nos entreprene­urs, asphyxiés par les impôts et les normes, en ont besoin ; une droite qui soit celle de l’autorité ; une droite qui incarne une écologie non de la décroissan­ce mais de la responsabi­lité ; une droite qui soit aussi sociale, sans laisser crouler notre Sécurité sociale sous le poids de la dette.

Une infraction, une peine et une exécution de peine”

En 2010, vous avez présidé la mission d’informatio­n sur la tempête Xynthia. Quels enseigneme­nts en tirer pour les vallées maralpines après Alex ?

Xynthia venait de la mer, c’était donc un phénomène différent de celui que vous avez subi. À l’époque, j’avais mis en évidence la trop faible culture du risque en France et j’avais insisté sur la nécessité d’élargir le Fonds Barnier, pour pouvoir mieux indemniser les victimes.

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(Photo DR) « Il faut accueillir moins et pouvoir expulser plus. »

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