Nice-Matin (Cannes)

La libraire refuse toujours de fermer !

À Cannes, la librairie indépendan­te Autour d’un livre, ouverte malgré les injonction­s de l’État, devient symbole national. En cas d’amende, l’auteur niçois Didier van Cauwelaert la paiera !

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

II est des titres, habilement agencés en vitrine, qui en disent plus long que tous les pamphlets. Rue Jean-Jaurès à Cannes, pas besoin d’être grand clerc pour deviner que la librairie Autour d’un livre est entrée en révolte : 1984 de George Orwell, Putain de Covid de Védécé ; Française d’Alexandre Jardin (et son bandeau promotionn­el : « désobéir à la bêtise du monde ») «Le Printemps suivant » ,laBDde Margaux Motin ou encore un ouvrage jeunesse de poèmes illustrés : Qui lira rira ! Rira bien le dernier ? Pour l’heure, Florence Kammermann et son compagnon Jean-Charles ont la moue rageuse derrière le masque. Accueillan­ts pour les clients (« moi, je les appelle plutôt les lecteurs », corrige la patronne des lieux) qui ont continué de venir en nombre samedi.

« Certains viennent acheter un livre pour protester »

Mais toujours remontés contre ce confinemen­t gouverneme­ntal qui referme à nouveau les livres en vente sur place, sans tourner pour autant la page de la pandémie. Depuis le début du deuxième confinemen­t, l’échoppe aux 30 000 références sur 100 m2 de plancher reste donc ouverte, comme l’indique une ardoise à l’entrée : « Toujours là pour vous ».

« Que les livres ne soient pas considérés comme un bien essentiel est une aberration !, s’insurge Florence, que tous les médias solliciten­t. Rien que dans la rue Jean-Jaurès, on peut acheter librement de la chicha, du chocolat, du vin, mais nous, il faudrait qu’on ferme ! ».

Du lundi au samedi de 10 à 18 h, pénétrer dans Autour d’un livre est donc devenu « un acte de résistance, àses yeux. Au départ, on se battait juste pour la survie économique de notre établissem­ent. Si on respecte ce deuxième confinemen­t, avec seulement 20 % de chiffre d’affaires par click and collect, on dépose le bilan et la seule librairie indépendan­te de Cannes disparaît, assure Florence. Peu à peu, nous devenons un symbole même si je ne tenais pas à me mettre ainsi en lumière. En plus de nos lecteurs habituels, beaucoup viennent acheter un livre pour protester ! ». Et pourtant, la pression réglementa­ire se fait de plus en plus sentir sur son enseigne. Vendredi, la police nationale est passée à deux reprises : le matin pour constater l’ouverture. L’après-midi, « pour faire évacuer la librairie » en signalant à sa propriétai­re qu’elle allait recevoir un PV. « Mais Didier van Cauwelaert, notre parrain, a déjà fait savoir qu’il paierait symbolique­ment l’amende. Et Alexandre Jardin s’est à son tour désigné pour régler la prochaine. Les auteurs sont solidaires des libraires ».

Comme sa maison personnell­e

Celle qui relate ses péripéties kafkaïenne­s sur son compte Facebook confesse aussi écrire son propre livre :

Journal d’une libraire confinée... et résistante !

« Moi, je veux juste sauver ma librairie et travailler normalemen­t, précise-t-elle. Je ne nuis à la santé de personne et je suis d’ailleurs très drastique sur le respect des règles sanitaires, car il ne s’agit pas non plus de nier le virus ». Avec le livre pour soigner l’esprit au moins, alors que le corps reste menacé. D’autant plus que Florence entretient une relation intime avec l’objet de papier. « Je suis née à Beyrouth et dès l’âge de sept ans, j’ai vécu toute la guerre du Liban. Or, la seule chose que je pouvais faire pour m’évader de cette réalité, c’était lire. J’ai donc lu beaucoup de livres, ce sont les pierres de ma maison personnell­e ».

Avocat contre l’État, hors-la-loi assumée

Une maison que cet ancien reporter au Proche-Orient, devenue mère de famille, a matérialis­ée avec cette librairie originale et chaleureus­e, où les lecteurs peuvent rencontrer un auteur (Amélie Nothomb, Sébastien Spitzer ou Nicolas Sarkozy récemment) autour d’un livre... Et d’un dîner, ou bouquiner dans l’arrière-salle qui fait office de salon de thé. « J’ai investi 250 000 € pour créer ce concept, je paie 4000€ de loyer mensuel sans compter les frais annexes, alors je vais me battre jusqu’au bout pour sauver ma librairie de l’injustice. Je suis une hors-la-loi assumée », martèle Florence, qui se dit prête à engager un avocat contre l’État.

Et puis, colère passée, le naturel revient au galop. La voilà qui se saisit d’un nouveau bouquin à conseiller.

« La Forêt aux violons , une sorte de conte pour évoquer le luthier Stradivari­us, très joliment écrit, idéal pour le confinemen­t ».

Qui sait ? La lecture aussi, peut adoucir les moeurs...

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 ??  ?? À Cannes, Florence Kammermann et son compagnon ne veulent pas tirer la couverture à eux, mais pas question de fermer la librairie Autour d’un livre au nom du confinemen­t imposé. (Photo A. Carini)
À Cannes, Florence Kammermann et son compagnon ne veulent pas tirer la couverture à eux, mais pas question de fermer la librairie Autour d’un livre au nom du confinemen­t imposé. (Photo A. Carini)

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