Nice-Matin (Cannes)

Kovac : « Un club, c’est une harmonie »

Avant la réception du leader parisien, le coach monégasque a reçu Nice-Matin à La Turbie

- Textes : François PATURLE et Vincent MENICHINI Photos : Stéphane Senaux/ AS Monaco

La classe, Niko. En toute simplicité, l’entraîneur de l’AS Monaco s’est longuement confié, en aparté, au centre d’entraîneme­nt de La Turbie. Pendant près d’une heure, le Croate a fait parler son coeur et présenté sa méthode.

Niko, pour commencer, quelques mots sur une légende croate de l’ASM, votre ancien coéquipier en équipe nationale, le grand Dado Prso ?

Dado ? Le top ! En tant qu’être humain, il est calme, une magnifique personne, tout le temps positif. Vous connaissez son histoire... Il a laissé la Croatie, travaillai­t dans un garage en France, a commencé en amateur. Son genou n’était pas en bon état. Quand il est arrivé en équipe nationale, personne ne le connaissai­t. Mais sur le terrain, il faisait un drôle de chantier. On rigolait et on plaisantai­t beaucoup avec Dado. Il est l’une des meilleures personnes que j’ai rencontrée­s dans ma vie.

Vous êtes né et vous avez grandi à Berlin, de parents croates. Vous sentez-vous davantage Croate ou Allemand ?

Je suis Croate d’abord, mes parents m’ont donné beaucoup de l’éducation et de la mentalité croate. Nous parlons le Croate à la maison... Mais ma vie était en Allemagne. Donc la mentalité germanique, la discipline nécessaire, ce sont des valeurs imprégnées. La différence entre le Croate et l’Allemand est importante, le Français est sans doute beaucoup plus proche... Je pense que l’Allemagne m’a beaucoup apporté, question mentalité, méthodolog­ie, discipline. Mais les Croates comme les Français ont ce côté créatif, le flair, l’esprit, ça peut aider je pense. J’ai eu cette chance d’être baigné dans les deux cultures.

Dans le reportage que vous a consacré Canal +, on découvre que vous avez grandi dans le quartier de Wedding, au nord de Berlin... Un quartier assez difficile au quotidien. De quoi en sortir endurci ?

Oui, bien sûr. C’est une zone où habitaient les travailleu­rs. Beaucoup de nationalit­és aux origines différente­s se côtoyaient. Je n’ai pas grandi seulement entouré d’Allemands ou de Croates... Je pense justement que c’est important d’apprendre des autres cultures, des autres mentalités... Quand j’avais ,, ans, on jouait tous ensemble sur un petit terrain avec des cages situées près de mon immeuble. Je pense qu’il n’y a rien de tel pour se comprendre et s’accepter tels que nous sommes, avec nos différence­s. C’est vrai que parfois, dans ce quartier, il fallait être fort pour survivre, entre guillemets, pour grandir, trouver sa voie... Grâce à Dieu, la plupart de mes amis de l’époque et moi-même avons trouvé un chemin pour nous épanouir.

Avec votre frère Robert, c’est une histoire assez incroyable.

‘‘ Votre papa était aussi joueur de football à la base ?

Il jouait comme ça, pas dans un club. Il avait du talent mais à cette époque mes parents étaient pauvres. Mon papa avait perdu son père quand il avait  ans, ma grand-mère avait dû élever seule cinq enfants. C’était une époque difficile. Quand il est arrivé en Allemagne dans les années-, la seule idée qui animait mon père était de trouver du travail, de nourrir sa famille.

Quel était son métier ?

Il travaillai­t dans la constructi­on, sur les chantiers. Il se levait tôt et rentrait tard. Aujourd’hui, il vit toujours en Allemagne. Le fait que Robert et moi ayons porté le maillot de l’équipe nationale croate l’a rendu très fier.

Deux phases finales de l’Euro ( et ) et deux phases finales de Coupe du monde ( et ) disputées avec votre frère Robert dans le onze

de la Croatie : dans l’histoire du foot, le fait est unique...

On a été chanceux tout de même. Le talent, je dirais que c’est  %. Ensuite, j’appellerai­s cela le talent du travailleu­r ! Je pense que cette volonté-là, ce désir de faire le maximum, on l’a tiré justement de nos origines modestes et de l’éducation de nos parents. Quand vous apprenez quelque chose alors que vous êtes encore tout petit, cela vous marque et c’est plus facile à reproduire ensuite. Quand cela vous est présenté sur le tard, c’est plus dur à intégrer.

Seriez-vous capable de travailler sans Robert aujourd’hui ?

J’aurais du mal à l’imaginer. Robert et moi, nous ne sommes pas seulement deux frères, nous sommes des amis. La confiance est totale... J’ai confiance envers les membres de mon staff, mais Roby, c’est spécial, comme vous l’avez dit, c’est unique.

Comment fonctionne votre relation de coach et adjoint ?

Nous avons des discussion­s critiques. Ce n’est pas juste, ah oui Niko, tu as raison, très bien. C’est important, aussi de la part du staff en général. A plusieurs, on a plus de chance de ne pas se tromper que tout seul.

L’équipe nationale, c’était le fil conducteur de votre carrière ?

On est un petit et fier pays de  millions d’habitants. Mon frère et moi n’étions pas nés en Croatie, mais c’était une immense fierté, un honneur de porter ce maillot. Mon plus grand regret est ce quart de finale contre la Turquie à l’Euro . On ouvre le score en prolongati­on, à la toute fin, et on perd finalement aux tirs au but. Un désastre. C’était en Autriche, on était porté par les Croates d’Autriche, d’Allemagne, de Suisse. Toutes les planètes semblaient alignées. Mais c’est le foot, un condensé de la vie. Il nous arrive parfois d’avoir le moral au plus bas, il faut alors relever la tête. Quand tout va bien, il faut rester humble.

Pourquoi n’avez-vous pas disputé la Coupe du monde  ?

Oh, c’est un mauvais souvenir (il sourit)… J’avais joué beaucoup de matchs de qualificat­ions, mais une blessure m’a écarté du groupe. Lilian Thuram a dû marquer cinq buts dans sa carrière, mais deux contre nous (il se marre)…

Lui aussi a commencé à Monaco.

Au Portugal, à l’Euro , vous aviez affronté les Bleus, - à l’arrivée...

Les Français ont été chanceux (sourire). Ivica (Mornar) a eu une grosse opportunit­é dans les dernières secondes. C’était la grosse équipe de France, Barthez, Henry, Desailly, Vieira, Thuram, Trezeguet, Zizou..

Dur de défendre sur Zidane ?

(Il souffle). Oui, plutôt ! Sa créativité, sa technique, son physique, ça donnait juste un cocktail fabuleux. Il a tout gagné sur le terrain, la Coupe du monde, l’Euro, la Ligue des champions et il a continué à accumuler les trophées en tant qu’entraîneur. Que dire de plus, une top personnali­té !

Autour de l’ASM, l’attente de résultats rapides est assez forte...

Au début, il faut être honnête, se regarder dans le miroir et se dire, est-ce que c’est possible ? Or, il faut changer la façon de travailler, l’attitude, l’environnem­ent, apporter des idées différente­s, une autre philosophi­e et je pense qu’il faudra du temps avant de voir le meilleur Monaco. Combien ? Je dirais un an et demi environ. Maintenant, le club se développe. Nous sommes sur la bonne voie, mais c’est encore fragile, on a pu le constater avec notre défaite à Lyon. Je pourrais vous citer des clubs de Bundesliga, mais Liverpool est pour moi le meilleur exemple. Quand le coach (Klopp) est arrivé, le club était e. Ensuite ils ont gravi les marches, ils sont devenus champions, ils ont gagné la Champions League. Il faut se structurer, être un peu patient, même si les entraîneur­s, partout où ils travaillen­t, ont toujours besoin de résultats à court terme.

Quelle note donnez-vous à votre équipe sur ces quatre premiers mois ?

Je dirais, nous sommes sur la bonne voie. Si j’analyse les  matches, nous devrions avoir  points de plus. Je dois apprendre, trouver ce qui fonctionne le mieux. On a commencé en --, ça a marché, et puis ensuite, moins bien que je l’espérais. On est passé à deux milieux défensifs (--), et on a repris des points derrière. Parfois, il faut savoir reculer d’un pas pour en franchir deux à la fois le coup d’après.

Robert et moi, nous ne sommes pas seulement deux frères, mais aussi deux amis.”

Un jeune comme Fofana, vous l’avez écarté sur un match...

Il y a eu ce match à Brest (-) et la fois d’après, il n’a pas joué. Il a compris, il doit faire plus et maintenant c’est le Youssouf que je veux voir. Il y a tellement de potentiel dans notre équipe ! Ce que nos jeunes joueurs apprennent maintenant, cela les aidera pour le futur. De ce que j’ai constaté au départ dans mon groupe, le talent était indéniable, mais l’attitude au travail, la passion, n’étaient pas au niveau où elles doivent être. Après, si nos jeunes font des erreurs, ce n’est pas un problème, il faut l’accepter.

Les joueurs louent votre proximité et votre sens de l’écoute. Comment faire pour trouver le bon équilibre ?

C’est un peu la même chose quand on a des enfants. Il faut être strict, leur dire ce qu’ils peuvent ou ne pas faire. C’est nécessaire d’avoir une vraie ligne de conduite. Parfois, je me dois d’être un peu plus dur. D’autres fois, je vais être un peu plus cool. Je ne suis pas né coach, mais comme être humain.

Vous êtes dans la transmissi­on…

J’essaie. Quand je partirai de Monaco, je souhaite qu’il y ait une trace, que les joueurs gardent du positif de notre relation, même si parfois je dois prendre des décisions délicates à leur encontre. Mais ce n’est jamais envers la personne. Je ne peux pas être ami avec eux, mais il y a un rapport d’homme à homme. Je me dois de comprendre quand ils sont déçus, énervés, fatigués… Mais ils doivent aussi me comprendre.

Il y a un moment précis où il faut être intransige­ant. Dans la seconde d’après, je peux encourager, taper sur l’épaule et dire « Come on my friend ! »

Et si vous vous trompez, vous êtes capable de le reconnaîtr­e ?

Bien sûr. Si je fais une erreur, je n’ai aucun mal à m’excuser. C’est un vrai mal dans le monde actuel. Trop de gens refusent d’admettre leurs torts et refusent de dire : « Excusemoi,

pardon ! » (il le dit en français)

Lors de la défaite à Lyon, par exemple, vous avez assumé votre part de responsabi­lités…

Oui, car le plan de jeu n’était pas assez clair pour les joueurs. Il y a eu un malentendu, dû notamment au fait que je donne mes consignes en anglais. Certains n’ont pas compris. On voulait les presser haut, etc. A mes yeux, c’était pourtant clair, mais ça ne l’était pas. C’est pour ça que j’ai assumé cette défaite et que j’ai dit : « Ok, c’est mon erreur, vous pouvez mettre tout sur moi ! ». Je protège mes joueurs, c’est ma famille, mes enfants. Contre Bordeaux et Nice, on a réagi ensemble, de fort belle manière.

La victoire dans le derby est votre match le plus abouti ?

C’était vraiment bien, notamment en première période.

Ce jeu porté sur l’offensive est difficile à mettre en place en Ligue  ?

Oui, j’ai été surpris de voir les équipes évoluer aussi bas et de manière aussi défensive. Il y a pourtant de tels talents. La qualité technique des joueurs français est si élevée. Il faut s’adapter, comme on l’a fait lors des deux derniers matchs, mais je veux vraiment voir mon équipe presser, aller de l’avant.

Si ce n’est pas possible, on jouera plus bas, mais jamais juste devant notre surface de réparation.

Le match contre le PSG ?

C’est un match très intéressan­t. Je souhaite que mes joueurs respectent le plan de jeu et évoluent sans crainte. On doit avoir confiance en nous, c’est essentiel.

Si vous aviez la possibilit­é de prendre un joueur parisien ?

Il y en a tellement. Kylian (Mbappé) est l’un des meilleurs joueurs au monde, un joueur très spécial. Il a  ans, possède un talent immense. Il a joué à Monaco. Mais on aura onze joueurs sur la pelouse. Rien n’est plus fort qu’une équipe.

La randonnée, le golf (Kovac est index ) sont deux de vos passions. Pour le moment, c’est incompatib­le avec votre travail au quotidien ?

Je n’ai pas eu beaucoup de temps libre depuis mon arrivée. Il y avait une bonne structure à Monaco mais pour progresser, pour grandir, il faut énormément travailler dans un premier temps. Mais il est également important de savoir déléguer, de partager les tâches. C’est ce qu’on essaie de mettre en place désormais avec le staff mais aussi les autres composante­s du club. C’est un travail d’équipe. Je dois garder de la fraîcheur mentale pour prendre les bonnes décisions durant toute une saison.

Vous ne prétendez pas être l’entraîneur qui vient de l’Eintracht, du Bayern et qui sait tout ?

Pasdutout.Ilyaun proverbe croate qui dit :

« tu apprends à chaque jour de ta vie ». Il y a certaines personnes qui ne veulent pas apprendre, mais c’est un autre problème ! Pour être honnête, je suis ici à Monaco depuis  mois, j’ai déjà appris beaucoup. C’est sûr. Munich est un top club mais maintenant je suis en France, c’est une nouvelle façon de vivre, une nouvelle façon de jouer. Pour Roby aussi, c’est une nouvelle façon de travailler. Trapattoni me disait :

« Niko, tu n’as pas besoin de tout connaître, l’important, c’est de s’entourer des personnes qui sont capables de t’aider. » Et je suis content ici, je trouve que nous avons une bonne organisati­on avec le président Dmitri (Rybolovlev), Oleg (Petrov), Paul (Mitchell)...

Je l’ai tiré de mon expérience à Francfort : un club, ce n’est pas seulement le coach, pas seulement l’équipe. C’est un ensemble, un esprit, une harmonie...

On vous voit courtois et souriant en conférence de presse. Vous gérez bien la pression ?

Je ne suis pas un acteur, ni là pour charmer. Je suis juste normal. J’étais également comme ça à Munich, malgré des

moments très compliqués. J’ai toujours respecté tout le monde, répondu à toutes les questions. C’est ça, être profession­nel. Je n’ai aucun mal à communique­r avec une personne qui n’est pas du même avis que moi. C’est la clé même, de faire preuve d’ouverture d’esprit. Je peux parler avec tout le monde, sans a priori, sans jugement. Si vous ne pensez pas comme moi, n’hésitez pas (rires)…

Votre famille est à vos côtés à Monaco ?

Non, ma fille poursuit ses études de droit à Salzbourg. Elle est âgée de  ans. C’est un âge charnière, il y a le confinemen­t un peu partout. C’était plus simple qu’elle reste là-bas.

Qui pour remplacer Ben Yedder face au PSG ?

Wissam Ben Yedder, testé positif à la Covid 19 avec l’équipe de France, est forfait pour le choc face au PSG demain. Kovac pourrait cependant garder son 4-4-2. Aux côtés de Kevin Volland, un choix sera fait entre Jovetic, Pellegri ou Geubbels. Derrière, Ruben Aguilar est suspendu.

Un onze possible : Mannone - Sidibé, Disasi, Badiashile, Caio - Diop,Tchouaméni, Fofana, Gelson - Volland, Jovetic.

Côté PSG, Mbappé et Kimpembe sont revenus de l’équipe de France en forme. Neymar (adducteurs) reste très incertain.

‘‘ Je protège mes joueurs. C’est ma famille, mes enfants”

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